Le temps d’une fête ou tous les jours,
version sexy ou version nature, il y a dans cette quête d’un soi transcendé,
des désirs plus ou moins avouables et plus ou moins conscients. Petit voyage
sous les paillettes et les fards.
« J’ai mis de l’or dans mes
cheveux / Un peu plus de noir sur mes yeux… », chantait Dalida dans Il venait
d’avoir 18 ans, une de ces chansons populaires qui recèlent toujours une pépite
de vérité brute. Nous en avons toutes fait l’expérience, pour une soirée en
famille, entre amis ou avec son amoureux, se faire belle, c’est surtout adopter
la règle du « un peu plus ». Un peu plus de temps devant son miroir, un peu
plus de maquillage, un peu plus de peau dévoilée, un peu plus d’audace ou
d’exigence… Un peu plus que l’ordinaire, en tout cas.
Se faire belle, c’est aussi, pour
certaines, une éthique et une esthétique à vivre au quotidien. Jamais de visage
nu ni de look négligé, l’apparence doit être chaque jour à son zénith… Donner à
voir le meilleur de soi, le temps d’une soirée ou tous les jours, n’est pas
anodin. Les arguments désinvoltes masquent la plupart du temps une réalité
complexe. Faites-en l’expérience, posez la question autour de vous : « Pour
toi, à quoi ça sert de t’apprêter ? » Et si l’on vous répond : « Ça sert à me
plaire ! » ne croyez votre interlocutrice qu’à moitié.
« En vérité, on ne le fait jamais pour soi, c’est une illusion et une idée reçue, affirme Isabel Korolitski, psychanalyste. Quand on se fait belle, ou beau d’ailleurs, c’est toujours pour l’autre, pour le rencontrer. Dans la réalité ou le fantasme. Au moment où l’on se maquille et où l’on s’habille, même si on ne va voir personne, on le fait à partir de critères esthétiques définis par l’autre. Cet autre qui peut être sa mère, son homme, une amie, ou encore la mode du moment… »
Conquérir et se protéger
Dans le désir de donner à voir le
meilleur de soi, que ce soit le plus sexy, le plus élégant, le plus féminin ou
le plus enfantin, l’autre est donc toujours présent. Un autre dont on veut
capter le regard pour se sentir exister de manière plus intense. « C’est une
forme de recherche de reconnaissance », précise Isabel Korolitski.
Sonia, 33 ans, vit avec Mathieu depuis quatre ans, elle en est très amoureuse et lui est fidèle. « Mais quand je vais à une fête avec lui, je veux que l’on me voie, je veux que Mathieu voie les hommes me regarder, qu’il lise le désir dans leur regard. Quand je mets mes talons et ma robe fourreau noire, je me pense invincible, je sens l’énergie qui monte en moi quand je me prépare, c’est comme si je buvais un alcool fort, une excitation qui me fait tourner la tête. Ça me met dans un état second, un état très sexuel. »
Faire converger les regards vers
soi, incarner une femme que l’on ne s’autorise à être que le temps d’une fête,
cela rappelle la vocation première du carnaval, de la mascarade, dont est issu
le mot « maquillage ». Pour J.-D. Nasio, psychanalyste, « c’est effectivement
être dans un désir de conquête de l’autre, de l’homme. Ce désir d’être la reine
de celui que l’on aime, mais aussi la reine de la soirée, est le propre de la
féminité. C’est prouver que l’on sait se montrer et se cacher en même temps :
“Je te montre que je veux ton désir, mais je ne te dis pas que je te désire”,
ce double message qui est l’essence même de la séduction féminine. »
Mais si prendre grand soin de son
apparence traduit le désir d’être désirée, cela peut aussi signifier :
tenez-vous loin de moi, n’entrez pas dans mon intimité. « Se faire belle permet
d’aider à mettre une distance entre soi et les autres quand on veut mettre ses
propres émotions à distance, confirme Isabel Korolitski. Ce peut être aussi une
façon de mettre un masque. » Aude, 41 ans, dirige un service juridique – « un
milieu d’hommes » – dans une grande société. « Me faire jolie tous les matins
m’aide à me sentir à la fois féminine et forte, dans la mesure où mon apparence
“parfaite” ne montre que ce que je veux dire de moi. Derrière mon image
impeccable, il y a parfois une personne qui n’est pas toujours au mieux de sa
forme, mais ça, ça ne regarde que moi, c’est archiprivé ! »
Se faire du bien et s’affirmer
Lorsque l’opération « se faire
belle » est une réussite, nous ressentons un bien-être physique qui « contamine
» très vite le moral. « Quand mon copain m’a quittée l’année dernière, seuls
mes proches ont vu que ça n’allait pas, confie Marion, 34 ans. Sinon, je
mettais mes jolies robes, mes ballerines, comme si de rien n’était. Dans un
premier temps, c’était par orgueil, et puis je me suis rendu compte que cette
légèreté que j’affichais, je la ressentais de plus en plus ! »
Jamais un mascara ne fera office
de baguette magique, mais se faire belle quand le quotidien est pesant peut
réveiller la vitalité. « Il y a des moments de vie où investir une partie de
son énergie à embellir son apparence peut vraiment changer la perception de la
réalité, explique Isabel Korolitski. Cela permet d’avancer “malgré”, et, chemin
faisant, on se rend compte que la vie est là et notre désir aussi. Les
vêtements et le maquillage nous permettent également, malgré les soucis, la
tristesse, de ne pas peser sur les autres. C’est une forme de respect de soi et
de souci de son entourage. »
Après chacune de ses séances de chimiothérapie, Annabelle, 45 ans, s’achetait un nouveau vêtement. « Un truc sublime que je mettais le lendemain. C’était mon défi à la maladie. Je me disais : “Je mourrai peut-être, mais je mourrai en beauté !” C’était ça ma dignité. Mon fils m’a dit plus tard que lorsqu’il me voyait me mettre mon rouge à lèvres, il avait l’impression que rien ne pourrait m’arriver ! »
C’est en se faisant belle un soir
que la vie de Samira, 32 ans, a changé. « Il y a quatre ans, j’étais la petite
souris grise, pas de maquillage, les cheveux tirés, look banal. Il faut dire
que je travaille à la Sécu, ce n’est pas spécialement “mode” comme milieu ! Et
puis il y a eu une fête dans notre service, un pot de départ, et là, je ne sais
pas pourquoi, j’ai mis le paquet. Je me suis maquillée à l’orientale, les yeux
très noirs, j’ai mis des boucles d’oreilles marocaines en argent, très longues,
et j’ai lâché mes cheveux. Les collègues ne me reconnaissaient pas, j’ai eu
plein de compliments, je me sentais belle comme jamais. J’ai aussi vu la tête
d’un chef dont on m’avait dit qu’il était raciste, il devait me trouver “trop
arabe” à son goût ! C’est ce soir-là que j’ai compris que si je ne me faisais
pas belle, c’est que je n’avais pas encore eu le courage d’assumer d’être une
Française d’origine marocaine. Maintenant, je me maquille et m’apprête tous les
jours, c’est comme ça que je m’affirme et que je me sens enfin moi. »
Se faire belle, à quoi ça sert ?
C’est une question sans fond, appelant mille réponses, qui changent suivant
l’histoire, l’héritage ou l’humeur de chacun. Ninon, 36 ans, féministe
revendiquée, a répondu d’un jet : « Ça sert à aliéner les femmes, c’est de
l’esclavage ! » Et puis, le lendemain, elle a soutenu la position contraire. «
En fait, ça peut servir à exactement l’inverse : à jouer avec sa féminité. Et
quand il y a du jeu, il y a forcément de la liberté ! » Et si c’était le mot de
la fin ?
Je ne me fais jamais belle, pourquoi ?
Il y a celles qui se font un
plaisir, quotidien ou occasionnel, de sublimer leur apparence. Et celles qu’il
faudrait payer pour se prêter à ces petits jeux narcissiques. Plusieurs raisons
peuvent, selon la psychanalyste Isabel Korolitski, expliquer ce refus.
Un héritage maternel marqué par
la dévalorisation du féminin et du sexuel. Vêtements seyants et maquillage sont
assimilés à des « pièges à hommes », et constituent donc une insulte à
l’intelligence et à la dignité de la femme. Un désir d’être aimée pour ce que
l’on est, comme l’est l’enfant par sa mère. Etre aimée « au naturel » est vécu
comme étant une preuve d’amour, un amour vrai.
Un besoin de dire que l’on n’appartient qu’à soi. Les femmes qui, dans leur enfance, ont été traitées comme des petites poupées par leurs mères, souvent elles-mêmes hyper-féminines et soignées, rejettent fréquemment les codes et rites de la séduction féminine.
A DÉCOUVRIR
A lire :
Mon corps et ses images, de J.-D.
Nasio, (Payot)
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