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samedi 21 mai 2016

Hommes-femmes : égaux, oui. Semblables, surtout pas !


Avons-nous sacrifié nos différences au nom de l’égalité entre les sexes ? Aujourd’hui, hommes et femmes découvrent que, pour mieux vivre ensemble, chacun doit réaffirmer sa propre identité.



L’explosion des repères identitaires

Que s’est-il passé ? « Des mouvements de balancier comme il y en a tous les cinquante ans, analyse la philosophe Geneviève Fraisse. Soit on avance sur le débat de l’égalité, soit celui sur la différence occupe le devant de la scène . » Une scène qui ressemble à un "chantier" : tous nos repères sociaux, psychologiques et familiaux ont, en effet, subi le contrecoup de la course pour l’égalité des droits. Les femmes étant devenues "des hommes comme les autres", les hommes sont convoqués dans leur foyer pour apprendre à s’occuper des enfants, tandis que les héroïnes de Sex in the city parlent « de bons coups à sauter » comme de vrais machos…

Se profile aussi la panne du désir dans les couples contemporains, avec des hommes et des femmes qui se ressemblent et « n’éprouvent plus aucune attirance pour le corps de l’autre », ainsi que l’annonce le dérangeant Michel Houellebecq dans Plateforme (Flammarion). Comment s’y retrouver ? La démocratie, c’est vrai, demande du semblable et de l’égal ; tout le reste – psychanalyse, anthropologie ou traditions spirituelles – nous rappelle que c’est la différenciation des sexes qui fonde une humanité « désirante »…

Mieux connaître son propre sexe

Premier réflexe pour s’y retrouver : plonger dans sa propre spécificité d’homme ou de femme . Et pour cela, se regrouper avec des gens de même sexe. C’est le "claning" sous toutes ses formes : enterrement de vies de jeunes filles, soirées pizza entre copains, groupes de paroles pour hommes, cercles de femmes… « Comme on a du mal à appréhender la différence de l’autre, on a tendance à se rapprocher du même » , avoue Isabelle Sorrente, écrivain à l’écoute de sa génération, les 25-30 ans, qui a publié L (Lattès).

On peut aussi penser que, tels des adolescents qui se cherchent, les hommes et les femmes d’aujourd’hui ne peuvent plus dissocier la quête de connaissance d’eux-mêmes d’une recherche sur leur propre genre. C’est d’ailleurs du monde du développement personnel qu’est arrivé le best-seller planétaire Les hommes viennent de Mars, les femmes viennent de Vénus (J’ai lu). Le thérapeute américain John Gray mettait enfin des mots sur les différents malaises des couples contemporains : lui est, par nature, un chasseur silencieux, elle cherche avant tout l’intimité par la parole ; elle veut être soutenue dans ses émotions, lui a besoin d’être concrètement utile. Ce succès éditorial – imprévisible – a révélé une soif du grand public : mieux connaître et vivre sa différence sexuelle pour s’épanouir.

Tel est le cas de Jean-Pierre Ortais, animateur de stages de développement personnel, qui ouvre ce mois-ci un groupe de paroles pour hommes en Dordogne (Association Synapses Plus : 05.53.73.27.00). Toutes les interrogations tournent autour d’une recherche de masculinité : « Comment être “nouvel homme” face à des “nouvelles femmes” » ? « On est en plein désarroi, confie l’animateur. Moi-même, en tant qu’homme, j’avais tout “bien fait” : arrêté les sports violents pour me consacrer à mes enfants, été un mari modèle, travailleur… Bref, j’ai reproduit ce que mon père avait fait pour rendre ma mère heureuse. Et ma femme m’a quitté ! »
Du côté des femmes, le questionnement n’est pas moins intense. Nelly, une psychologue de 42 ans qui a été initiée dans un groupe de femmes du Midwest, aux Etats-Unis (Woman Within : transitionseurope.com), explique : « A ce moment de ma vie, les rôles étaient un peu chamboulés dans notre couple : c’était moi qui ramenais l’argent au foyer, tandis que mon compagnon s’occupait de notre fils… Tout à coup, j’ai ressenti un intense besoin de me reconnecter à quelque chose d’intemporel et de sacré, qui était passé de ma grand-mère maternelle à ma mère, puis à moi. Je voulais aller à l’essence féminine… Le groupe m’a aidée en cela. »

La philosophe Paule Salomon, qui anime depuis plus de quinze ans des groupes de ce type, croit en cette démarche : « Plus une personne évolue, plus elle se “sexue”. Non pas dans l’opposition à l’autre, mais dans une différence qui est aussi une affirmation de soi. » Se "sexuer" revient alors à passer de sa seule identité sexuelle biologique à sa pleine dimension d’homme ou de femme des points de vue psychique et affectif.

A la recherche de nouvelles différences

Trêve de compétition ! L’heure serait plutôt à l’espoir, après s’être exploré soi-même, de rencontrer l’autre. De le désirer. Car le désir naît du manque, de ce que l’autre a et que nous n’avons pas, de nos différences. Le philosophe et rabbin Marc-Alain Ouaknin rappelle, dans Les Dix Commandements (Le Seuil) qu’il en est ainsi depuis la nuit des temps : « C’est Adam et Eve qui sont nus et n’ont pas honte. Ils peuvent se percevoir comme féminin et comme masculin. Ils se voient, mais ne se connaissent pas dans le mystère infini de leurs différences […] et cette inconnaissance est source de relation. »

Pour les hommes et les femmes d’aujourd’hui, telle est peut-être l’histoire à réinventer. Il s’agirait alors de (re)découvrir entre eux des écarts d’une nature bien plus profonde que les seuls rôles sociaux. Des différences « d’être », et pas seulement de « faire ». On peut se contenter des fameux : « Elles sont fragiles et eux violents » ou « Ils parlent peu et elles ont du mal avec les appareils électroménagers ». Même ceux-ci ne semblent plus suffire. Et les traditionnelles attributions – « Aux uns, la psyché, l’intellect et la réalisation ; aux autres, la sphère des sentiments et de la corporalité, le “soma” », schéma simpliste selon la Revue des Deux Mondes (n° 7/8, Que savez-vous du sexe opposé ?, juillet-août 2000) – tendent à vaciller.

Isabelle Sorrente le confirme : « On est paumés. On souffre d’être enfermés dans des catégories un peu passées. J’ai ainsi des copains qui endurent le “complexe de l’homme hyperrigide”, ils ont l’impression qu’ils ne savent pas se laisser aller, que “la créativité, ce n’est pas pour eux”. On est tellement pris dans des automatismes qu’il devient urgent de conquérir de nouveaux espaces de liberté individuelle. Ceux-ci seront peut-être des nouveaux stimulants pour avoir envie de contempler cette “mystérieuse contrée” qu’est l’autre ! »
En cela, hommes et femmes ont sans doute à revisiter leurs différences fondamentales, en incarnant de façon contemporaine l’éternel masculin ou féminin. Ils ont aussi à découvrir du « jamais vu » entre eux, et cette exploration est unique pour chaque couple. Redécouvrir ces différences, apprendre à les accepter, implique évidemment d’être curieux. La curiosité ? C’est, paraît-il, le début de l’amour.

A chacun sa version


Dans le souci de « restaurer les différences », la littérature pour jeunes est très active. Ainsi, Mathilde Nobécourt, directrice de collection, a conçu, avec des gynécologues de renom, des guides pour ados sur leur sexualité. En deux versions : fille et garçon. « Ces livres sont d’autant moins moralistes que l’on a pu aborder de plein front des sujets qui ne seraient pas passés dans une version mixte », explique l’éditrice.
Exemples : la question de la longueur de leur pénis chez les garçons, ou l’explication détaillée d’une consultation gynécologique pour les filles. Apparemment, ces livres répondent à une vraie demande. « La surprise vient du fait que la version garçon se vend beaucoup mieux. Elle aide notamment les mères seules qui cherchent à aborder les questions sexuelles avec leurs fils ».

Vers une nouvelle soumission des femmes ?

 

Alors que l’écrivain français Michel Houellebecq relève le fait qu’aujourd’hui, la femme occidentale ne sait plus « faire plaisir » à son homme, l’Américaine Laura Doyle crée le Cercle des femmes soumises. Le livre Femmes soumises (First Editions), dans lequel elle explicite sa démarche, se vend par milliers. On y découvre comment les femmes doivent incarner leurs nouvelles différences : être vulnérable, alors que l’on se comportait en mégère ; être confiante quand on contrôlait tout ; être reconnaissante, alors que l’on se sentait insatisfaite… et respecter celui avec qui l’on est mariée.
Pour justifier ses propos, Laura Doyle compare la rencontre entre homme et femme à un cours de danse : « Il y en a toujours un qui conduit et l’autre qui doit suivre. » De préciser quand même : « Cela ne veut pas dire que les deux rôles n’ont pas une importance égale. » Nous voilà rassurés, on aurait presque pu se croire revenus en arrière !

A lire 

 Ados, amour et sexualité : version fille d’Irène Borten-Krivine et Diane Winaver 
 Ados, amour et sexualité : version garçon de 
Sylvain Mimoun et Rica Etienne (Albin Michel).
 Filles et garçons, êtes-vous si différents ? d’
Hélène Montardre (La Martinière Jeunesse).

 

 Diderot dans l’autobus d’Evelyne Sullerot (Fayard).

 La Différence des sexes et La Controverse des sexes de Geneviève Fraisse (PUF).

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