L’apanage de la magie n’est
pas réservé à un individu qui se démarquerait de la communauté. Nombre de
pratiques sont connues par beaucoup de femmes (et d’hommes aussi), mais des
personnes sont plus « spécialisées » que d’autres dans certains domaines.
L’apprentissage magique se fait de personne à personne sans qu’il y ait
d’initiation ou de préparation spéciale. On acquiert souvent une forme de
savoir parce qu’on a été soi-même confronté à une situation difficile qui a
demandé le recours à une pratique magique pour être résolue. Et de pratique en
pratique le savoir se constitue.
L’apanage de la magie en
Roumanie n’est cependant pas réservé à un individu qui se démarquerait de la
communauté. Nombre de pratiques sont connues par beaucoup de femmes (et
d’hommes aussi), mais des personnes sont plus « spécialisées » que
d’autres dans certains domaines. L’apprentissage magique se fait de personne à
personne sans qu’il y ait d’initiation ou de préparation spéciale. On acquiert
souvent une forme de savoir parce qu’on a été soi-même confronté à une
situation difficile qui a demandé le recours à une pratique magique pour être
résolue. Et de pratique en pratique le savoir se constitue.
La magie de la souillure (de
spurcăciune) se servira de toutes les « sécrétions de la vie
intime » (urine, sperme, sang menstruel, et mêmes matières fécales, ainsi
que la sueur) dans le but de salir une relation déjà ressentie comme impure,
car illégale, afin de ramener les événements à un stade antérieur. L’urine et
les excréments sont nommés « les substances les plus mauvaises du
corps » qui, lorsqu’elles sont jetées chez les ennemis, sont censées semer
la zizanie, provoquer la haine et la rupture. Ces « substances
mauvaises » ainsi que le sang des menstrues sont considérés comme des
déchets de l’organisme, « des misères dégoûtantes », des choses
impures qui deviendraient nocives si elles restaient dans le corps. L’organisme
se purifie en les expulsant et on utilise leurs côtés nocifs dans cette magie.
Les incantations qui soutiendront ces actions scabreuses utiliseront aussi des
paroles ordurières dans le même but : souiller ceux envers lesquels elles
sont proférées. Ce type de magie va être pratiqué dans le cas d’un couple
constitué, composé de l’époux et de l’épouse, pour éloigner la rivale.
Par
analogie avec le dégoût éprouvé pour les excréments, il s’agit de parvenir au
même dégoût pour l’intruse et d’amener à ressouder le couple désuni par elle.
Que les amants fautifs se sentent souillés et en viennent à être dégoûtés l’un
de l’autre jusqu’à la nausée et guérissent de leur attirance coupable. Salir la
rivale et sublimer l’épouse. La vie et les relations intimes qui ont
précédemment lié le couple légitime les mettent tous les deux dans un espace où
les éléments uro-génitaux-anaux représentent aussi une sorte de communication
possible, mais alors valorisée ; ne serait-ce que par le sperme de l’homme
et les sécrétions de la femme au moment de l’acte sexuel.
Il
s’agira pour l’épouse d’inverser le mode de perception de l’époux en faisant
basculer l’axe de ses préférences et de ses rejets. Il lui faudra donc
paralyser et entraver les actions et les paroles de la rivale. Pour ce faire,
les actions et les paroles de l’épouse légitime devront être encore plus
agissantes que celles de la rivale. L’épouse doit redevenir familière à ses
yeux alors qu’elle était devenue étrangère par l’indifférence dont il a fait
preuve à son égard. Et la rivale doit redevenir aux yeux de l’époux l’étrangère qu’elle n’aurait jamais dû
cesser d’être. Il faut donc que l’époux et l’Autre, la rivale, redeviennent
l’un pour l’autre des étrangers comme avant leur liaison et plusieurs actions
qui souillentvont être mises à la disposition de la femme légitime
pour les séparer :
· souiller
l’image de la rivale en la ramenant à un statut de femme laide ; on
cherchera à provoquer son enlaidissement par une série de comparaisons
scatologiques ;
· souiller
l’image des lieux où le couple illégitime a pu s’isoler pour « bafouer la
femme légitime » ;
· souiller
l’image de l’homme pour qu’il ne se reconnaisse plus, pour qu’il ne se supporte
plus, pour qu’il ne puisse plus supporter l’autre femme.
Toutes
ces pratiques, nommées ici magie de la souillure, vont pouvoir être effectuées lorsque
l’on a diagnostiqué ou pressenti que le mari a été envoûté par la rivale, ainsi
que dans un but préventif, afin que l’homme ne puisse pas s’éloigner de son
épouse. Le désir de s’attacher l’homme n’est pas seulement le fait d’une
jalousie amoureuse ou sexuelle, mais aussi le désir exprimé par la femme légitime
de voir son mari respecter sa maison et ne s’en tenir qu’à elle pour ne pas
aller dépenser ses forces (énergie sexuelle, mais aussi énergie tout
simplement) ni son argent « ailleurs ». Pour qu’il ne néglige ni
n’abandonne sa femme en faisant d’elle la risée de tout le village, et qu’il
réponde à l’image du père de famille qu’on attend de lui. Par ailleurs,
l’éparpillement sexuel est source d’inaccomplissement social et l’adultère
perçue comme une maladie qu’il s’agit de guérir. La magie de la souillure pourrait
alors être vue comme remède à cette maladie.
Avec cette magie, la femme légitime va pouvoir mener une action à
la fois défensive et préventive, au moyen de ce qui symbolise le mieux
l’intimité perdue du foyer et qui doit être retrouvée. Il y aura pour elle
plusieurs modalités d’exécution. Elle procèdera à certains actes et se servira
de certains substituts de son mari, d’elle-même et parfois de la rivale.
Les substituts du mari vont être utilisés dans des registres
différents : il s’agira d’un signe (la chemise) ou d’un substitut phallique
simple (un poisson), de son sperme qui sera toujours prélevé sur son corps à
elle après un rapport sexuel et enfin de plusieurs mesures symboliques du corps
du mari (taille, bouche, pantalon, col, etc.) ainsi que de son empreinte ou de son ombre.
11Le sang
de ses règles et son urine sont ses substituts à elle, éléments de ses
« sécrétions » qui sont liées à son intimité. Le substitut de la
rivale lorsqu’il sera utilisé, pourra consister en un signe d’elle (un morceau du tissu de ses
vêtements) ou bien encore ses cheveux, voire dans certains cas son ombre ou la
poussière prélevée de son empreinte. Ce que
pratiquera la femme appartiendra à deux registres différents, selon ce qui est
attendu.
Le premier registre : avaler
Elle fera
manger ou boire à son mari une mixture composée d’éléments dont nous verrons la
nature ci-après. Elle brûlera, ou nouera et brûlera, lui donnant ainsi des
éléments transformés qui seront d’une part leurs propres sécrétions, à lui et à
elle (leurs substituts), et d’autre part certains éléments prélevés dans
l’espace de la mort et d’un mort (terre d’une tombe inconnue, ongles, barbe,
poils du mort, ainsi que sa mesure prise sur le cadavre). Ainsi, par un acte
d’autocannibalisme symbolique, l’époux se dévorera lui-même en mangeant ses
propres substituts. Il réintégrera donc les forces et les énergies qu’il aura
cherché à dépenser ailleurs. Et en lui faisant avaler ses substituts à elle (sa
femme), il sera obligé d’être imprimé par elle. Enfin, en lui faisant avaler
les objets appartenant au monde de la mort, elle essaiera de le faire
« taire comme le mort » (de ne plus parler avec la rivale) et
« d’oublier comme le mort » (d’oublier la rivale et tout ce qu’il a
pu faire avec elle).
L’autre registre : enterrer ou jeter
L’autre acte sera d’enterrer ou de jeter dans les toilettes, endroit souillé
par excellence. Enterrer suppose le désir
« d’oubli », et très souvent on enterrera à la tête du tombeau d’un
inconnu. Jeter signifie séparer les espaces,
de telle sorte que l’homme réintègre un espace pur et que la rivale pourrisse à
jamais dans un espace impur. Dans cette perspective, la femme urinera et fera
bouillir, et parfois nouera.
Deux registres différents apparaissent alors en fonction de deux
fins semblables, et ils manipuleront les mêmes substituts de l’homme (mesure,
empreinte, vêtement ou sperme).
Extrait de l’article de Ioana Andreesco à lire en entier
sur https://clo.revues.org/1518
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