Le
symbolisme maçonnique, avec notamment ses nombreuses références opératives, ne
présente apparemment rien de féminin. Cela tient certes à l’origine typiquement
masculine de notre tradition puisque nous disons être les descendants à la fois
des bâtisseurs et des chevaliers. Mais cela tient aussi à nos racines
religieuses, la tradition judéo-chrétienne qui laisse fort peu de place au
féminin et dont l’image de la divinité est exclusivement masculine. Apparence
seulement, car à y regarder de plus près le symbolisme maçonnique, comme celui
de la religion, cache une dimension féminine qu’il importe de comprendre. On
peut en donner quatre exemples.
Les
trois petites lumières éclairant la loge, ses fondements qui nous viennent de
l’Être éternel et infini, portent toutes des noms féminins. La première est la
Sagesse. Or, on y reviendra, la sagesse divine occupe dans les derniers livres
de l’Ancien Testament une place très importante et représente la face féminine
de Dieu. Le Livre de la sagesse, dit de Salomon, la chante par exemple comme
«le maître d’oeuvre» et «l’artisane de l’univers»; il dit notamment que «les
vertus sont les fruits de ses travaux car elle enseigne tempérance et prudence,
justice et fortitude» . La basilique de Byzance, la Rome
orthodoxe, était consacrée à Sainte Sophie, Sophia signifiant en grec la
sagesse. La Légende dorée dit certes que Sophie était une vertueuse martyre,
mais son texte montre clairement qu’il s’agit en réalité de la sagesse divine
puisqu’il ajoute que Sainte Sophie avait «trois filles, la foi, l’espérance et
la charité».
A
l’Orient brillent le soleil et la lune, couple cosmique qui évoque le mariage
divin, la hiérogamie chère aussi bien aux religions antiques qu’à la tradition
alchimique. Ce couple fait également pendant aux deux colonnes de l’entrée du
temple qui représentent notamment les deux pôles de la vie et de l’être. Dans
de nombreuses représentations de la crucifixion par la peinture médiévale, le
soleil et la lune figurent au ciel, de chaque côté de la tête du Christ.
Souvent aussi ces deux astres sont au-dessus de Saint Jean et de Marie
agenouillés au pied de la croix, nouveau couple spirituel par la bénédiction et
l’adoption. Les bâtisseurs de cathédrales avaient du reste une prédilection
pour la dédicace de leurs oeuvres à Saint Jean ou à Notre Dame, tout comme les
Templiers. Cela à l’époque même de l’amour courtois, où la dame était bien plus
un idéal spirituel qu’une femme de chair.
Sur
nos autels la Bible est ouverte au Prologue de Jean, texte consacré au Verbe,
le Logos de Dieu. Or, même si selon la théologie le Verbe est assimilé au
Christ, le Logos du Prologue s’identifie à plusieurs égards à la Parole comme
Esprit-Saint, en particulier à l’esprit féminin de Dieu, la Sophia. En effet,
le Verbe selon le Prologue présente des analogies extrêmement frappantes avec
la Sagesse divine telle qu’elle est décrite dans l’Ancien Testament. La Sagesse
y dit d’elle-même qu’elle fut «établie depuis l’éternité… dès le commencement…
aux côtés» de l’Eternel, que sa «source est la Parole de Dieu
dans les cieux» et qu’elle est «la mère du pur amour» .
Salomon dit d’elle en s’adressant à Dieu: «Tu avais donné toi-même la Sagesse…
envoyé d’en haut ton Saint Esprit…», et les hommes furent ainsi «instruits et
sauvés par la Sagesse divine» .
Le
temple de Salomon, figure emblématique de la maçonnerie, détruit puis
reconstruit après l’exil, évoque bibliquement les noces entre Dieu et son
peuple, peuple symbolisé par Jérusalem, féminine comme toute cité. Le prophète
dit ainsi d’elle: «Resurgis, remets-toi debout Jérusalem… toi, stérile qui
n’enfantais plus, explose et vibre… ton veuvage, tu ne t’en souviendras plus…
car ton époux, le Seigneur tout-puissant, t’a rappelée».
Noces encore celles de la nouvelle Jérusalem céleste de l’Apocalypse, décrite
par Jean «comme une épouse qui s’est parée pour son époux», vêtue «d’un lin
resplendissant et pur», prête pour les «noces», «la fiancée, l’épouse de
l’agneau» . Temple et cité sainte sont donc lieux de
noces, d’union symbolique du masculin et du féminin.
Ainsi,
l’aspect féminin du sacré est réellement présent dans la profondeur de notre
symbolisme, et il apparaît même d’une importance qui n’est pas secondaire. Mais
alors, pourquoi cet aspect féminin est-il si discret et pourquoi est-il
largement écarté de nos réflexions symboliques? La prédominance masculine dans
notre symbolisme n’a pas pour seules bases des distinctions découlant du
travail artisanal ou du combat chevaleresque.
Elle ne s’explique pas non plus
comme un simple reflet de la condition féminine dans les sociétés patriarcales
du temps biblique ou du Moyen Age. Elle plonge ses racines bien plus loin, dans
la profondeur de la psyché humaine et dans les fondements de la pensée
religieuse.
source :
http://www.freimaurerei.ch/
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