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samedi 10 juin 2017

La cause du masculin, le masculin sacré


La cause du masculin, le masculin sacré, l’identité masculine sont des concepts, des idées antiques, ancestrales devrait-on dire, dont la portée et celle du féminin, sont d’égale importance. Pourtant, quel besoin devrait-on ressentir, en tant qu’homme, de retrouver ce qu’au fond, nous sommes ? Est-il réellement nécessaire de savoir guider sa psyché au travers de méandres que, bien souvent, nous forgeons pour nous-mêmes ? Bien plus qu’un sacerdoce, la recherche de notre identité masculine, notre masculinité sacrée, peut passer par les mythes antiques, les légendes et les contes car de tout temps, c’est ainsi que le savoir s’est transmis. Cependant, il arrive un point dans l’histoire du monde – ce point nous y sommes – où la confusion est telle qu’aucun mythe, aucune légende ne saurait rendre compte de la réalité de la souffrance.



Souffrance, est-ce là un mot adéquat ? Peut-être pas. Peut-être que le mot de perdition serait plus approprié car qui saurait aujourd’hui définir ce qu’est l’aspect sacré du masculin ? Qu’est-ce que le masculin ? Rien de plus qu’un mot, en soi, qui porte des concepts éculés et fantaisistes avec lui. Mais pas uniquement. L’idée que le divin en soi, l’étincelle de l’univers puisse se dissocier en masculin et féminin peut revêtir un sens dès lors qu’on en exclue la notion sexuelle et c’est là que le bât blesse. Comment exclure l’aspect sexuel d’une notion même qui la revêt ? Parler de masculin, c’est parler, d’un point de vue commun, de non-féminin et inversement. Dans la mesure où nous n’avons de référent que nous-mêmes, nous ne saurions imaginer un autre aspect, une tierce possibilité de vêtir cette part de nous que nous avons perdue à l’aube d’une ère qui a fait la part belle aux hommes au détriment des femmes. Agir ainsi revient à se couper d’une part de soi. Aussi bien dans un sens que dans l’autre, mais l’aspect contraignant de siècles de misogynie ne pouvait qu’engendrer une sorte de misandrie qui trouve ses racines dans l’homme tout autant que dans la femme, se nourrissant d’incompréhensions et de faux-semblants, de superstitions et de peurs.

Plutôt que d’axer cette réflexion sur l’aspect divin de l’homme, qui ne revêt pas davantage d’intérêt en soi que celui qu’aurait quelqu’un à tenter de décrire son voisin en regardant son propre reflet dans un miroir, je vous propose ici une pensée générique sur la nature d’un homme que nous pouvons pensé perdu, occulté par une perte d’hégémonie destructrice qui, finalement, n’aura pour conséquence qu’un apaisement des tensions sexistes dès lors que chacun trouvera sa place en soi. La place qu’il occupe au sein de son propre imaginaire, au milieu de ses propres archétypes sociaux, culturels et personnels.

«Je cherche un homme» disait Diogène de Sinope, en agitant sa lanterne dans les rues ensoleillées d’Athènes. Il gaussait Platon. Rivalité d’école. Mais au-delà de cette image goguenarde qu’on nous impose, celle d’un cynique déclinant, à la limite de la folie, il posait une question plus profonde en réponse à la proposition de l’adversaire des sophistes : «qu’est-ce qu’un homme ?» acceptable pourrait être donnée pour peu que l’on s’y penche, mais de manière plus conceptuelle. Car l’idée de ce qu’est «l’homme» se délite dans une soupe toujours plus opaque de différences et de points communs entre les sexes. Depuis que le monde est peuplé de ces créatures bipèdes qui marquent leur différence par quelques gènes savamment placés. Depuis que la rivalité est née de la méconnaissance.

La publication de livres tels que les très connus «Mars et Vénus», loin de délimiter les contours d’une réponse qu’il est aujourd’hui nécessaire de discerner, penchent plutôt pour une affirmation des moqueries, pour une pérennisation des malentendus. Seul l’avenir pourrait dire si ce flou qui s’installe depuis plusieurs décennies maintenant, cette «nouvelle guerre des sexes» dont aucun camp n’est déterminé ni déterminable, est un bien ou un mal et quand bien même devrait-on lui coller une étiquette, plutôt que «bien ou mal», dont la connotation morale glisserait le débat sur un autre terrain, ne serait-ce pas plus approprié de demander simplement si cela est «viable» ? Est-il viable d’imaginer une rivalité entre sexes et donc, entre les symboles qu’ils véhiculent ? Est-il tout aussi viable de penser qu’une complémentarité puisse exister, comme si chacune des parts n’était qu’une moitié de soi Platonicienne qu’il faudrait retrouver plutôt que d’axer nos recherches sur les points communs qui font des hommes, comme des femmes, des êtres à part entière ? Peut-être que la recherche de notre être sacré, qu’il soit masculin ou féminin, passe par là ?


© Michael Jastremski

De façon primitive, l’Homme est ce que devient un mâle lorsqu’il cesse d’être un enfant. Un adolescent, voulais-je dire ? Non, car le terme ne signifie étymologiquement que le fait de grandir. Non, car le terme n’en désignera plus tard que l’aspect naïf d’une personne inexpérimentée. Non, pas un adolescent enfin, car le terme, dans son acceptation moderne, date du XIXème siècle et est donc trop récent pour revêtir une quelconque signification générale autre que celle d’un état intermédiaire, d’une soi-disant souffrance de devenir un adulte dans un monde qui ne le prévoit plus depuis longtemps et dont on devrait pardonner les excès parce qu’il existe une démission, depuis l’industrialisation de nos sociétés, des aînés à qui l’on donne le nom de parents. Non que la parentalité ait été une donnée tellement fiable auparavant qu’elle puisse représenter une notion monolithique telle qu’elle en prend le chemin actuellement, mais elle ne le prétendait du moins pas.

Non, l’adolescent n’est définitivement pas encore un homme car on ne lui en donne pas l’occasion, tout simplement. Il existe certes un état de puberté, durant lequel surviennent divers changements, mais adolescent (adolescere : grandir, vieillir), étymologiquement, nous le sommes depuis la naissance. L’Homme, son aspect «sacré», immuable, est donc un symbole à lui seul. Une entité particulière du développement, au même titre que la femme peut l’être, de la jeune fille. Peut-être est-ce l’étape dont il est le plus nécessaire d’appréhender la consistance car elle est la plus importante, en terme de durée et en terme de finitude.


La problématique d’être un homme réside en premier lieu dans le fait de donner une définition à ce mot. Dès l’instant où l’on sera capable de le faire, on pourra s’y raccrocher, comme on se raccroche à l’interprétation du plaisir lorsqu’on le ressent : on sait que c’en est car il est sensible, défini par nos sens. Or, l’homme n’est pas une donnée sensible. Il s’agit d’un concept, une chose, fluctuant selon que l’on soit né à un endroit ou à un autre du globe : chaque culture en donne une explication, une théorie, un mode d’emploi parfois même, si l’on se réfère à des mythes fondateurs de divers continents.

Ainsi, l’un d’entre eux est longuement explicité à renforts de mythes et d’explications psychologiques et philosophiques dans Iron John, de Robert Bly (VF : L’homme sauvage et l’enfant). Cependant, hors ces chemins presque métaphysiques, il existe des caractéristiques particulières qu’on pourrait attendre d’un homme, qu’on pourrait lui attribuer, si l’on se réfère aux principes judéo-chrétiens de notre société. Qu’on les adopte ou qu’on les rejette, la grande majorité des occidentaux en sont pétris. Tant bien que mal, pour celui qui désirerait y échapper, on ne peut que parfois les repousser. Parfois seulement, les annihiler. Mais la conception inique du bien et du mal reste une donnée ancrée. Ainsi de l’homme monolithique : résistant, immuable, protecteur, sûr de lui, fort, etc. Des images dures pour la plupart. Sans concession. L’image du père, biblique, dans toute sa splendeur. Bien entendu, il ne s’agit nullement là d’un jugement de valeur, simplement d’une constatation. Le rôle dévolu à l’homme équivaut aux biens qu’il a retirés à sa parèdre. Une accumulation aussi invivable pour lui que pour celle qui vivrait à ses côtés. Doit-on nécessairement être ce qu’on attend de nous ou doit-on être, simplement ?

Cependant, cette liberté morale ne peut se concevoir dans une société cloisonnée et l’idée a fait long feu. Elle a perduré. Elle serait toujours véridique si l’on vivait dans une civilisation qui demandait aux hommes de n’être que soumis et dociles. Les femmes, instruites par ces notions de séparation des sexes si profonds utiliseraient très certainement l’homme comme elles le feraient d’un outil fort. Mais l’image d’un père telle qu’elle nous est décrite concrètement, idéalement, qui peut y croire ? Qui, honnêtement, se sent les épaules pour être un roc, de nos jours, parmi les hommes qui composent notre monde ? Peu auraient la carrure quasi risible d’un Charles Ingalls coupant son bois et portant le monde à bout de bras. Seul un enfant ressent l’image paternelle ainsi ! Un enfant, certes, mais qu’en est-il de ceux (et celles) qui véhiculent cette image pour la pérenniser ? Or, les hommes ont perdu leurs repères et attendent toujours de leur propre père qu’il tienne les rênes, qu’il leur montre la voie. Que les choses soient claires une bonne fois pour toutes : Cela n’arrivera pas.

Une fois qu’on est adulte, qu’on est émancipé, lorsqu’on est un homme, il est nécessaire de «devenir» cette image- là, plutôt que simplement la véhiculer comme on singerait un comportement. Ou plutôt que l’attendre d’un homme qui ne peut s’y résoudre lui-même, parfois. Mais comment procéder ?

Passer du stade du jeune garçon, insouciant et sans repères, à celui d’adulte, certes. Mais la plupart des jeunes garçons modernes, lorsqu’ils grandissent, gardent un côté très enfantin et égaré. Un côté d’incapacité à gérer les problèmes qui se présentent à eux autrement qu’en se dédouanant de toute faute et en la rejetant sur des tiers ou, plus tard, sur leur compagne. Ils jettent un regard condescendant sur la façon d’être hommes de leurs aînés, celle-ci leur paraissant trop éloignée d’un hédonisme qu’ils érigent en valeur suprême sans en connaître l’essence. Leur définition de l’hédonisme ne va pas plus loin que celle qui consiste à satisfaire son besoin immédiat. Aucune notion de conséquence dans cette recherche d’un absolu et continu bonheur. Or, l’un ne peut exister sans l’autre et sans aller jusqu’à une ascèse épicurienne ou cynique, il est possible de vivre une vie saine et emplie, de connaître le bonheur en étant un «homme».

Alors on tente de comprendre leurs points de vue, d’aller dans leur sens, de les conforter dans cet état intermédiaire «d’adolescence» dont le concept même est à l’origine de la cassure qui devient faille entre les générations et qui empêche toute tentative de compréhension des uns par les autres. Le fait est que, pour un garçon pubère, contrairement à une femme au même stade dont le choc en question arrive de façon plus naturelle, moins artificielle, il est nécessaire de rompre l’enfance par une secousse. Par un évènement qui soit frappant et déterminant. Bien évidemment, il n’est nullement ici question de choc «physique» violent, bien que ça puisse parfois, de façon empirique, passer par une atteinte physique particulière. Il est plutôt question de choc psychique, une fracture qui couperait définitivement l’enfant de sa situation précaire et insouciante, du moins d’un point de vue social et personnel. L’enfant peut et doit rester une partie de soi accessible à tout moment et dont, à mon sens, il est indispensable de ne pas se séparer totalement afin d’être capable de toujours disposer de points de vue différents sur soi. De toujours être capable de s’émerveiller de tout et de rien, tout en sachant faire la part des choses et savoir quand et où se laisser gagner par l’insouciance. Cet «enfant», qui possède moult points communs avec le sauvage de Robert Bly, ne doit plus être dominant à partir d’un certain âge, sous peine d’une tyrannie de l’égoïsme et de la lâcheté. Egoïsme car il s’agit d’un simple réflexe de survie dans un monde qui, songe le garçon, ne le comprend pas et ne peut combler ses attentes, ses désirs ; lâcheté car se sentant démuni devant le réel, le jeune garçon se verra affronter les obstacles sans aucune arme pour ce faire : impossible !

En quoi, donc, ce choc saurait-il briser ce qui rattache intrinsèquement l’homme à son enfance ? Simplement en permettant d’apprendre par l’expérience, quelles sont ses forces inhérentes et quelles sont ses faiblesses, d’une part. D’autre part, comment y faire face sans se réfugier dans l’ombre, se cacher dans les «jupes de sa mère». Ou de sa compagne. L’Homme doit donc apprendre sa force et ses capacités dans la douleur. Il ne saurait en être autrement, c’est malheureux mais essentiel, car seule une dynamique traumatique permet à l’enfant qu’il risque de rester, de se débarrasser de ses peurs et de ses appréhensions. Jamais totalement, il ne faut pas se leurrer et ne plus avoir peur n’est pas souhaitable non plus, mais devenir Homme, c’est apprendre, par contrainte si nécessaire, qu’il est essentiel de maîtriser ses sentiments destructeurs pour avancer et surtout, de faire face.

Des sentiments destructeurs. Dans les faits, il n’y a pas de réels sentiments dont le principe est de détruire, encore que ce soit discutable, mais plutôt une propension à vouloir acquérir ce que l’enfant désire, par la force brute et violente. L’enfant réagit ainsi en piaffant, en râlant, en tapant parfois, et combien de jeunes gens dits adolescents réagissent encore ainsi à un âge où ils devraient au minimum avoir conscience des conséquences de leurs actes ? Combien d’adultes montrent à la face du monde un visage analogue ? Un simple regard compris «de travers» peut parfois initier une rixe dont la violence n’a d’égale que l’inutilité et qui ne cesse bien souvent qu’à l’inconscience et parfois même la mort d’un des protagonistes. Comment est-il possible d’en arriver à frapper un homme à terre, inconscient, si on a maîtrisé ses pulsions, si on est capable de comprendre les conséquences de ses actes, si on est, finalement, devenu un homme ?

Le problème ici n’étant pas tant l’acte de violence, mais la conscience qu’on en a. Devenir un homme n’est peut-être finalement et simplement que parvenir à ce point-là. La maîtrise de soi. C’est le cercle infini des désirs de Lucrèce, dont il est nécessaire de se départir sous peine de ne pas vivre pleinement sa vie, de toujours avoir peur. Pour ce faire, il est nécessaire qu’un événement survienne et déstabilise réellement le garçon dont le doigt, et bientôt et encore aujourd’hui dans certaines ethnies isolées, on emmenait les jeunes garçons qui avaient atteint l’âge de devenir des hommes et on les abandonnait à leur sort durant plusieurs jours, sans nourriture, sans eau, au beau milieu d’une nature hostile dans laquelle ils se voyaient contraints de survivre. En réalité, ces rites de passage n’étaient pas si «barbares» qu’ils ne le semblaient à ces jeunes hommes ou qu’ils ne pourraient l’être aux yeux d’un occidental moderne.

Les hommes de la tribu, ceux qui avaient déjà passé leur rite initiatique, veillaient discrètement à la pérennité de leurs jeunes, mais ceux-ci ne le savaient pas et leur expérience en devenait parfois presque mystique tant la peur était présente, tant la douleur était contraignante. Peut-être pas le premier jour, mais les suivants, ils étaient contraints de se débrouiller et d’agir en communauté s’ils voulaient survivre ! Apprendre que seul, nous ne pouvons pas grand-chose mais qu’ensemble, nous survivons. Apprendre qu’attendre trop de l’autre ne vous nourrit pas. Apprendre, par l’exemple et dans la contrainte, à chasser l’enfance au profit de l’homme. Une expérience mythologique, une blessure à la cuisse dont on doit survivre !

La séparation définitive d’avec le père et la mère se faisait lors de ces moments particuliers où le sauvage, la part animale et fauve qui réside au plus profond du jeune garçon se devait d’être dompté définitivement. Si c’est le sauvage qui prend définitivement le dessus ou, au contraire, s’il ne se réveille toujours pas à ce moment-là5, le jeune garçon ne pourra pas devenir un homme… Il aura laissé passer sa chance. C’est peut-être dur et difficile à entendre et surtout à vivre, mais il ne peut y avoir deux chances identiques. Le jeune garçon qui s’attarde devra se faire homme par ses propres moyens, loin des siens, banni. Il devra aiguiser sa volonté par lui-même s’il veut un jour atteindre ce stade et se reconstruire. Autrement, il restera un jeune garçon apeuré par ce qui l’entoure et toujours prêt à se réfugier dans les jupes de la première femme qui gravite dans son entourage. Rapporté au post-adolescent moderne, il s’agit souvent finalement des jupes de sa compagne pour qui le désarroi est grand de constater la dichotomie qu’il existe entre cet homme en apparence, celui qu’elle pense connaître et cet enfant tapi dans un corps qui n’est pas, qui ne devrait pas être le sien. Inopportunément, passé un certain âge, l’accession à l’âge d’homme est devenu chose utopique, ou en tout cas, malaisée, car le fossé se creuse entre ceux qui y parviennent et ceux qui ne le peuvent et trouver quelqu’un qui soit prêt à «initier» un homme devient difficile.

Le jeune garçon sera bien installé dans son corps adulte, friand de sa nouvelle puissance, de sa stature sociale ou autre, qui pourra lui permettre de tenter, de façon illusoire, de combler l’infini de ses désirs. Il pourra parfaitement faire «semblant» d’être un homme pour parvenir à ses fins, mais le vernis de la volonté chez lui ne sera pas assez puissant et lorsque l’illusion s’estompera, s’installeront des désillusions et les déceptions. La dépression. Chez lui comme chez les autres, dans son entourage…

De là découlent certains problèmes relationnels entre hommes et femmes : la femme se sent trompée par celui sur qui elle comptait se reposer parfois, qui lui laissait croire qu’elle le pouvait, et le jeune garçon n’accepte pas que sa compagne ne lui reconnaisse pas le statut d’Homme. Cette mésestime le gêne dans la réalisation de ses désirs.

Un autre moyen de passer à l’âge d’homme est de subir un traumatisme direct : la perte de ses parents, d’un enfant, ou tout autre événement marquant fait presque toujours basculer le jeune garçon dans l’âge d’homme. Lorsqu’on parle ici de jeune garçon, il peut tout aussi bien s’agir d’un adulte de trente ou quarante ans. C’est de son état de non-homme plutôt que de son état de jeune garçon persistant, dont il s’agit. Malgré lui et de façon particulière, l’enfant cède alors la place à l’homme. C’est dans ces moments-là qu’il apprend à faire face, à faire front. A se dresser devant l’obstacle qui lui est imposé et à le regarder en face. Il n’est pas nécessaire de s’étendre sur ce cas-là, car il porte en soi ses propres réponses.

Quelle que soit la façon dont il a acquis sa certitude, l’homme nouveau a maintenant acquis une chose essentielle qui va lui servir d’arme pour le restant de ses nous l’avons ou tout du moins, nous sommes capable de l’acquérir. Cependant, elle revêt des formes différentes. De par son ambivalence Mort/Vie, l’Homme conçoit la volonté différemment de sa conjointe. La force de mort qui réside au fond des mâles leur demande de faire front en dépit, parfois, du bon sens, afin de sauver sa vie par exemple, mais aussi parfois à faire face pour couvrir la fuite des siens ou les protéger. Mais la plupart du temps, cela reste une pulsion qui vise à se prouver des choses, à mettre en confrontation le réel et sa propre volonté de puissance, au sens Nietzschéen.

La plupart des guerres sont d’ailleurs menées par des hommes, plus rarement par des femmes. La volonté de l’Homme ne le dispense pas de la peur, ainsi que tout un chacun, mais elle fait qu’il peut se résigner plus facilement à sa propre mort, car de par sa nature plus violente, il a déjà un pied dans la tombe depuis sa naissance7. Le jeune garçon qui se bat avec ses copains apprend très vite le sens de la douleur physique, celle qui conduit à l’extinction. Il n’est donc pas inimaginable qu’une fois à l’âge d’Homme, il puisse se contraindre à mourir pour d’autres, s’il comprend que ses désirs doivent être contenus. Contenus, car le désir charrie avec lui l’envie de soi, le besoin d’égoïsme et la fuite dans l’espoir de meilleurs lendemains. Cependant, il lui faut tout d’abord comprendre sa condition de mortel, apprendre que la mort n’est qu’illusion. La mort étant l’absence de toute sensation, elle ne peut être ni agréable, ni désagréable.

La mort n’est présente que s’il y a la vie. Elle est présente à la manière d’un fantôme obsédant qui, parce que nous en avons conscience, nous obsède parfois. Mais une fois qu’elle est là, elle n’existe plus non plus. C’est pourquoi craindre la mort est une aberration8. Evidemment, ne pas céder à ses désirs n’exclue pas le plaisir de l’équation, bien entendu. Le plaisir ne doit pas disparaître car il est indispensable à un épanouissement total, et c’est là qu’intervient la nécessité de garder le lien avec l’enfant qui sommeille au fond de soi. Il permet de ne pas être simplement qu’une chose sociale, définie par son statut plus que par son individualité. Certains hommes adultes l’ont oublié et se pensent davantage en robots sociaux masculins qu’en humains mâles entiers.

L’Homme, une fois séparé de l’enfant tyrannique en lui et de l’image de la féminité dominante représentée par sa mère, et une fois le sauvage en lui dompté, peut alors revêtir les atours particuliers qui le confortent dans sa position. Il devient alors une sorte de simulacre de guerrier, par l’acceptation sans conditions de son côté morbide. Il sait dorénavant qu’il peut et doit combattre les obstacles qui se dresseront sur son chemin. Il sait aussi que parfois, il lui faudra reculer afin de mieux surmonter les difficultés, mais le côté sauvage, en lui, ne renoncera plus désormais, car il est mû par cette volonté intègre et il est devenu puissant. Encore une fois, il est ici question d’encenser la vertu de l’homme, la part de lui qui assume ses actes.

Le dernier aspect devient plus sexué. L’homme devient aussi, par la liberté qu’il affiche de façon parfois inconsciente, une sorte de reproducteur radiant. La femme lui apparaît alors dans toute sa splendeur et son identité, non plus comme l’ombre de sa propre «génitrice», mais comme un être à part entière débarrassée des peurs dont l’affuble son pendant juvénile. Il est capable, enfin, d’aimer la personne (ou les personnes…) qu’il choisit et qui l’ont choisi. Et ce, de manière plus libre et dénuée de toute notion de culpabilité. Cette capacité nouvelle à aimer conforte sa propre volonté et ne fait que le rendre plus fort, car la présence de la femme à ses côtés, nourrit l’aspect vivant dont il est nécessaire de ne pas se couper. Il en devient d’autant plus séduisant car l’impression d’assurance qu’il dégage plaît, attire. Il en devient capable de se plier à la souveraineté et à ses devoirs.

Il est nécessaire de revenir sur un point, de le préciser : celui d’assumer. Garantir ses actes du sceau de son identité. Que tout soit clair : personne n’est à l’abri d’une erreur. Devenir un homme ne signifie absolument pas devenir irréprochable, bien au contraire ! Cependant, il existe une notion qui vient contrebalancer les erreurs dont on pardonne l’enfant, mais qui le sont plus difficilement, une fois parvenu à l’âge adulte : reconnaître ses torts. Un enfant ne reconnaîtra pas forcément qu’il a mal agi, par peur des représailles.

Le fait de devoir réparer le «mal» qui est fait est un exercice viable et humiliant (dans le sens qui force l’humilité) dont il est nécessaire de faire l’expérience afin de cesser le divertissement préféré des hommes qui n’en sont pas : le fameux jeu qui consiste à déterminer celui qui a la plus grosse !

Evidemment, ce n’est qu’un leurre, ce jeu est ancré profondément en l’homme et ne disparaît jamais totalement. C’est juste qu’il est nécessaire de comprendre quand le temps est venu d’y jouer sans que cela ne porte en soi de conséquences, et quand l’ego devient porteur de problèmes.


Cependant, peu de jeunes garçons, d’«adolescents» dans l’acceptation moderne du sens, atteignent ce stade-là. La plupart sont capables de le simuler un temps car ils sont héritiers d’un système performant de survie et qu’ils font preuve de suffisamment d’adaptation pour faire illusion, mais plus que de la simulation, devenir un Homme est une étape qui demande à être vécue réellement, car sans conviction, être un Homme devient épuisant. On ne peut faire semblant d’être un Homme très longtemps. Il faut les épaules pour, car c’est une charge qui demande une constante tension, du moins sociale, afin de retenir le côté sauvage, violent, dont les autres attributs sont la paresse et l’assistanat, qui jamais ne se fatigue et profitera de la moindre faiblesse pour ressortir et tenter de s’échapper.

Il n’y a cependant pas à chercher de fautif à cet état de fait. Les sociétés, comme toute chose «vivante», évoluent et la nôtre aussi. Bien évidemment, la disparition du dernier rite initiatique masculin, le service militaire, n’est pas étrangère à ce qui semble être une régression de la virilité (au sens antique et étymologique : ce qui a trait à l’homme). Cependant, sa disparition n’est pas une fatalité. Il est simplement indispensable de retrouver, d’une façon plus moderne peut-être, une manière de provoquer la cassure entre l’enfant et l’adulte moral, «l’homme».

Ainsi, les mystères masculins peuvent fondamentalement n’être qu’un guide de vie qui permet à un enfant de grandir en toute quiétude et donc, de devenir ce que la nature même de sa condition attend de lui : un homme. Le problème étant que les cartes ont été redistribuées depuis deux générations et que ce laps de temps est encore trop faible pour qu’en surgisse une définition complète et valable de l’initiation masculine telle qu’elle devrait être.

Cette nouvelle définition de l’initiation, le rôle qu’elle doit revêtir et son aspect contemporain requiert donc aujourd’hui une adhésion et une réflexion de chacun. Car après tout, sans vouloir présumer de quoi que ce soit, il est très probable que nombre de femmes se retrouvent dans les expériences décrites ici, dans les états mentaux et même physiques, pourquoi pas. Alors que dire de cette étrange énigme qui lie aussi bien le masculin et le féminin, sacrés tous deux ? Ne sont-ce qu’une seule et même chose que l’on s’évertue, pour des raisons de disparités physiques, à nommer et à classifier en une double part d’acceptation de soi qui ne devrait être qu’une ?

Le masculin sacré et le féminin sacré ne se conçoivent pas forcément séparément et appréhender les mythes et les légendes qui y font référence en gardant cette possibilité à l’esprit permet une relecture permanente et une nouvelle voie s’ouvre alors devant celui qui désire devenir Homme par le biais de ses mystères…

SOURCE : 
Dans Lucrèce, De Rerum Natura, Livre III

Dans Diogène Laërce, La vie des philosophes illustres.

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