La cause du masculin, le masculin sacré, l’identité masculine sont
des concepts, des idées antiques, ancestrales devrait-on dire, dont la portée
et celle du féminin, sont d’égale importance. Pourtant, quel besoin devrait-on
ressentir, en tant qu’homme, de retrouver ce qu’au fond, nous sommes ? Est-il
réellement nécessaire de savoir guider sa psyché au travers de méandres que,
bien souvent, nous forgeons pour nous-mêmes ? Bien plus qu’un sacerdoce, la
recherche de notre identité masculine, notre masculinité sacrée, peut passer
par les mythes antiques, les légendes et les contes car de tout temps, c’est
ainsi que le savoir s’est transmis. Cependant, il arrive un point dans
l’histoire du monde – ce point nous y sommes – où la confusion est telle
qu’aucun mythe, aucune légende ne saurait rendre compte de la réalité de la
souffrance.
Souffrance, est-ce là un mot adéquat ? Peut-être pas. Peut-être
que le mot de perdition serait plus approprié car qui saurait aujourd’hui définir
ce qu’est l’aspect sacré du masculin ? Qu’est-ce que le masculin ? Rien de plus
qu’un mot, en soi, qui porte des concepts éculés et fantaisistes avec lui. Mais
pas uniquement. L’idée que le divin en soi, l’étincelle de l’univers puisse se
dissocier en masculin et féminin peut revêtir un sens dès lors qu’on en exclue
la notion sexuelle et c’est là que le bât blesse. Comment exclure l’aspect
sexuel d’une notion même qui la revêt ? Parler de masculin, c’est parler, d’un
point de vue commun, de non-féminin et inversement. Dans la mesure où nous
n’avons de référent que nous-mêmes, nous ne saurions imaginer un autre aspect,
une tierce possibilité de vêtir cette part de nous que nous avons perdue à
l’aube d’une ère qui a fait la part belle aux hommes au détriment des femmes.
Agir ainsi revient à se couper d’une part de soi. Aussi bien dans un sens que
dans l’autre, mais l’aspect contraignant de siècles de misogynie ne pouvait
qu’engendrer une sorte de misandrie qui trouve ses racines dans l’homme tout
autant que dans la femme, se nourrissant d’incompréhensions et de
faux-semblants, de superstitions et de peurs.
Plutôt que d’axer cette réflexion sur l’aspect divin de l’homme,
qui ne revêt pas davantage d’intérêt en soi que celui qu’aurait quelqu’un à
tenter de décrire son voisin en regardant son propre reflet dans un miroir, je
vous propose ici une pensée générique sur la nature d’un homme que nous pouvons
pensé perdu, occulté par une perte d’hégémonie destructrice qui, finalement,
n’aura pour conséquence qu’un apaisement des tensions sexistes dès lors que
chacun trouvera sa place en soi. La place qu’il occupe au sein de son propre
imaginaire, au milieu de ses propres archétypes sociaux, culturels et
personnels.
«Je
cherche un homme» disait Diogène de Sinope, en agitant sa lanterne dans les
rues ensoleillées d’Athènes. Il gaussait Platon. Rivalité d’école. Mais au-delà
de cette image goguenarde qu’on nous impose, celle d’un cynique déclinant, à la
limite de la folie, il posait une question plus profonde en réponse à la
proposition de l’adversaire des sophistes : «qu’est-ce qu’un homme ?» acceptable pourrait être donnée pour peu que l’on s’y penche, mais de
manière plus conceptuelle. Car l’idée de ce qu’est «l’homme» se délite dans une
soupe toujours plus opaque de différences et de points communs entre les sexes.
Depuis que le monde est peuplé de ces créatures bipèdes qui marquent leur
différence par quelques gènes savamment placés. Depuis que la rivalité est née
de la méconnaissance.
La publication de livres tels que les très connus «Mars et Vénus»,
loin de délimiter les contours d’une réponse qu’il est aujourd’hui nécessaire
de discerner, penchent plutôt pour une affirmation des moqueries, pour une
pérennisation des malentendus. Seul l’avenir pourrait dire si ce flou qui
s’installe depuis plusieurs décennies maintenant, cette «nouvelle guerre des
sexes» dont aucun camp n’est déterminé ni déterminable, est un bien ou un mal
et quand bien même devrait-on lui coller une étiquette, plutôt que «bien ou
mal», dont la connotation morale glisserait le débat sur un autre terrain, ne
serait-ce pas plus approprié de demander simplement si cela est «viable» ?
Est-il viable d’imaginer une rivalité entre sexes et donc, entre les symboles
qu’ils véhiculent ? Est-il tout aussi viable de penser qu’une complémentarité
puisse exister, comme si chacune des parts n’était qu’une moitié de soi
Platonicienne qu’il faudrait retrouver plutôt que d’axer nos recherches sur les
points communs qui font des hommes, comme des femmes, des êtres à part entière
? Peut-être que la recherche de notre être sacré, qu’il soit masculin ou
féminin, passe par là ?
© Michael Jastremski
De façon primitive, l’Homme est ce que devient un mâle lorsqu’il
cesse d’être un enfant. Un adolescent, voulais-je dire ? Non, car le terme ne
signifie étymologiquement que le fait de grandir. Non, car le terme n’en
désignera plus tard que l’aspect naïf d’une personne inexpérimentée. Non, pas
un adolescent enfin, car le terme, dans son acceptation moderne, date du XIXème
siècle et est donc trop récent pour revêtir une quelconque signification
générale autre que celle d’un état intermédiaire, d’une soi-disant souffrance
de devenir un adulte dans un monde qui ne le prévoit plus depuis longtemps et
dont on devrait pardonner les excès parce qu’il existe une démission, depuis
l’industrialisation de nos sociétés, des aînés à qui l’on donne le nom de
parents. Non que la parentalité ait été une donnée tellement fiable auparavant
qu’elle puisse représenter une notion monolithique telle qu’elle en prend le
chemin actuellement, mais elle ne le prétendait du moins pas.
Non, l’adolescent n’est définitivement pas encore un homme car on
ne lui en donne pas l’occasion, tout simplement. Il existe certes un état de
puberté, durant lequel surviennent divers changements, mais adolescent (adolescere
: grandir, vieillir), étymologiquement, nous le sommes depuis la naissance.
L’Homme, son aspect «sacré», immuable, est donc un symbole à lui seul. Une
entité particulière du développement, au même titre que la femme peut l’être,
de la jeune fille. Peut-être est-ce l’étape dont il est le plus nécessaire
d’appréhender la consistance car elle est la plus importante, en terme de durée
et en terme de finitude.
La problématique d’être un homme réside en premier lieu dans le
fait de donner une définition à ce mot. Dès l’instant où l’on sera capable de
le faire, on pourra s’y raccrocher, comme on se raccroche à l’interprétation du
plaisir lorsqu’on le ressent : on sait que c’en est car il est sensible, défini
par nos sens. Or, l’homme n’est pas une donnée sensible. Il s’agit d’un
concept, une chose, fluctuant selon que l’on soit né à un endroit ou à un autre
du globe : chaque culture en donne une explication, une théorie, un mode
d’emploi parfois même, si l’on se réfère à des mythes fondateurs de divers
continents.
Ainsi, l’un d’entre eux est longuement explicité à renforts de
mythes et d’explications psychologiques et philosophiques dans Iron John,
de Robert Bly (VF : L’homme sauvage et l’enfant). Cependant, hors ces
chemins presque métaphysiques, il existe des caractéristiques particulières
qu’on pourrait attendre d’un homme, qu’on pourrait lui attribuer, si l’on se
réfère aux principes judéo-chrétiens de notre société. Qu’on les adopte ou
qu’on les rejette, la grande majorité des occidentaux en sont pétris. Tant bien
que mal, pour celui qui désirerait y échapper, on ne peut que parfois les
repousser. Parfois seulement, les annihiler. Mais la conception inique du bien
et du mal reste une donnée ancrée. Ainsi de l’homme monolithique : résistant,
immuable, protecteur, sûr de lui, fort, etc. Des images dures pour la plupart.
Sans concession. L’image du père, biblique, dans toute sa splendeur. Bien
entendu, il ne s’agit nullement là d’un jugement de valeur, simplement d’une
constatation. Le rôle dévolu à l’homme équivaut aux biens qu’il a retirés à sa
parèdre. Une accumulation aussi invivable pour lui que pour celle qui vivrait à
ses côtés. Doit-on nécessairement être ce qu’on attend de nous ou doit-on être,
simplement ?
Cependant, cette liberté morale ne peut se concevoir dans une
société cloisonnée et l’idée a fait long feu. Elle a perduré. Elle serait
toujours véridique si l’on vivait dans une civilisation qui demandait aux
hommes de n’être que soumis et dociles. Les femmes, instruites par ces notions
de séparation des sexes si profonds utiliseraient très certainement l’homme
comme elles le feraient d’un outil fort. Mais l’image d’un père telle qu’elle
nous est décrite concrètement, idéalement, qui peut y croire ? Qui,
honnêtement, se sent les épaules pour être un roc, de nos jours, parmi les
hommes qui composent notre monde ? Peu auraient la carrure quasi risible d’un
Charles Ingalls coupant son bois et portant le monde à bout de bras. Seul un
enfant ressent l’image paternelle ainsi ! Un enfant, certes, mais qu’en est-il
de ceux (et celles) qui véhiculent cette image pour la pérenniser ? Or, les
hommes ont perdu leurs repères et attendent toujours de leur propre père qu’il
tienne les rênes, qu’il leur montre la voie. Que les choses soient claires une
bonne fois pour toutes : Cela n’arrivera pas.
Une fois
qu’on est adulte, qu’on est émancipé, lorsqu’on est un homme, il est nécessaire
de «devenir» cette image- là, plutôt que simplement la véhiculer
comme on singerait un comportement. Ou plutôt que l’attendre d’un homme qui ne
peut s’y résoudre lui-même, parfois. Mais comment procéder ?
Passer du stade du jeune garçon, insouciant et sans repères, à
celui d’adulte, certes. Mais la plupart des jeunes garçons modernes, lorsqu’ils
grandissent, gardent un côté très enfantin et égaré. Un côté d’incapacité à
gérer les problèmes qui se présentent à eux autrement qu’en se dédouanant de
toute faute et en la rejetant sur des tiers ou, plus tard, sur leur compagne.
Ils jettent un regard condescendant sur la façon d’être hommes de leurs aînés,
celle-ci leur paraissant trop éloignée d’un hédonisme qu’ils érigent en valeur
suprême sans en connaître l’essence. Leur définition de l’hédonisme ne va pas
plus loin que celle qui consiste à satisfaire son besoin immédiat. Aucune
notion de conséquence dans cette recherche d’un absolu et continu bonheur. Or,
l’un ne peut exister sans l’autre et sans aller jusqu’à une ascèse épicurienne
ou cynique, il est possible de vivre une vie saine et emplie, de connaître le
bonheur en étant un «homme».
Alors on tente de comprendre leurs points de vue, d’aller dans
leur sens, de les conforter dans cet état intermédiaire «d’adolescence» dont le
concept même est à l’origine de la cassure qui devient faille entre les
générations et qui empêche toute tentative de compréhension des uns par les
autres. Le fait est que, pour un garçon pubère, contrairement à une femme au
même stade dont le choc en question arrive de façon plus naturelle, moins
artificielle, il est nécessaire de rompre l’enfance par une secousse. Par un
évènement qui soit frappant et déterminant. Bien évidemment, il n’est nullement
ici question de choc «physique» violent, bien que ça puisse parfois, de façon
empirique, passer par une atteinte physique particulière. Il est plutôt
question de choc psychique, une fracture qui couperait définitivement l’enfant
de sa situation précaire et insouciante, du moins d’un point de vue social et
personnel. L’enfant peut et doit rester une partie de soi accessible à tout
moment et dont, à mon sens, il est indispensable de ne pas se séparer
totalement afin d’être capable de toujours disposer de points de vue différents
sur soi. De toujours être capable de s’émerveiller de tout et de rien, tout en
sachant faire la part des choses et savoir quand et où se laisser gagner par
l’insouciance. Cet «enfant», qui possède moult points communs avec le sauvage
de Robert Bly, ne doit plus être dominant à partir d’un certain âge, sous peine
d’une tyrannie de l’égoïsme et de la lâcheté. Egoïsme car il s’agit d’un simple
réflexe de survie dans un monde qui, songe le garçon, ne le comprend pas et ne
peut combler ses attentes, ses désirs ; lâcheté car se sentant démuni devant le
réel, le jeune garçon se verra affronter les obstacles sans aucune arme pour ce
faire : impossible !
En quoi, donc, ce choc saurait-il briser ce qui rattache
intrinsèquement l’homme à son enfance ? Simplement en permettant d’apprendre
par l’expérience, quelles sont ses forces inhérentes et quelles sont ses
faiblesses, d’une part. D’autre part, comment y faire face sans se réfugier
dans l’ombre, se cacher dans les «jupes de sa mère». Ou de sa compagne. L’Homme
doit donc apprendre sa force et ses capacités dans la douleur. Il ne saurait en
être autrement, c’est malheureux mais essentiel, car seule une dynamique
traumatique permet à l’enfant qu’il risque de rester, de se débarrasser de ses
peurs et de ses appréhensions. Jamais totalement, il ne faut pas se leurrer et
ne plus avoir peur n’est pas souhaitable non plus, mais devenir Homme, c’est
apprendre, par contrainte si nécessaire, qu’il est essentiel de maîtriser ses
sentiments destructeurs pour avancer et surtout, de faire face.
Des
sentiments destructeurs. Dans les faits, il n’y a pas de réels sentiments dont
le principe est de détruire, encore que ce soit discutable, mais plutôt une
propension à vouloir acquérir ce que l’enfant désire, par la force brute et
violente. L’enfant réagit ainsi en piaffant, en râlant, en tapant parfois, et
combien de jeunes gens dits adolescents réagissent encore ainsi à un âge où ils
devraient au minimum avoir conscience des conséquences de leurs actes ? Combien
d’adultes montrent à la face du monde un visage analogue ? Un simple regard
compris «de travers» peut parfois initier une rixe dont la violence n’a d’égale
que l’inutilité et qui ne cesse bien souvent qu’à l’inconscience et parfois
même la mort d’un des protagonistes. Comment est-il possible d’en arriver à
frapper un homme à terre, inconscient, si on a maîtrisé ses pulsions, si on est
capable de comprendre les conséquences de ses actes, si on est, finalement,
devenu un homme ?
Le
problème ici n’étant pas tant l’acte de violence, mais la conscience qu’on en
a. Devenir un homme n’est peut-être finalement et simplement que parvenir à ce
point-là. La maîtrise de soi. C’est le cercle infini des désirs de Lucrèce,
dont il est nécessaire de se départir sous peine de ne pas vivre pleinement sa
vie, de toujours avoir peur. Pour ce faire, il est nécessaire qu’un événement
survienne et déstabilise réellement le garçon dont le doigt, et bientôt et encore aujourd’hui dans certaines ethnies isolées, on emmenait les
jeunes garçons qui avaient atteint l’âge de devenir des hommes et on les
abandonnait à leur sort durant plusieurs jours, sans nourriture, sans eau, au
beau milieu d’une nature hostile dans laquelle ils se voyaient contraints de
survivre. En réalité, ces rites de passage n’étaient pas si «barbares» qu’ils
ne le semblaient à ces jeunes hommes ou qu’ils ne pourraient l’être aux yeux
d’un occidental moderne.
Les hommes de la tribu, ceux qui avaient déjà passé leur rite initiatique,
veillaient discrètement à la pérennité de leurs jeunes, mais ceux-ci ne le
savaient pas et leur expérience en devenait parfois presque mystique tant la
peur était présente, tant la douleur était contraignante. Peut-être pas le
premier jour, mais les suivants, ils étaient contraints de se débrouiller et
d’agir en communauté s’ils voulaient survivre ! Apprendre que seul, nous ne
pouvons pas grand-chose mais qu’ensemble, nous survivons. Apprendre qu’attendre
trop de l’autre ne vous nourrit pas. Apprendre, par l’exemple et dans la
contrainte, à chasser l’enfance au profit de l’homme. Une expérience
mythologique, une blessure à la cuisse dont on doit survivre !
La séparation définitive d’avec le père et la mère se faisait lors
de ces moments particuliers où le sauvage, la part animale et fauve qui réside
au plus profond du jeune garçon se devait d’être dompté définitivement. Si
c’est le sauvage qui prend définitivement le dessus ou, au contraire, s’il ne
se réveille toujours pas à ce moment-là5, le jeune garçon ne pourra pas devenir
un homme… Il aura laissé passer sa chance. C’est peut-être dur et difficile à
entendre et surtout à vivre, mais il ne peut y avoir deux chances identiques. Le
jeune garçon qui s’attarde devra se faire homme par ses propres moyens, loin
des siens, banni. Il devra aiguiser sa volonté par lui-même s’il veut un jour
atteindre ce stade et se reconstruire. Autrement, il restera un jeune garçon
apeuré par ce qui l’entoure et toujours prêt à se réfugier dans les jupes de la
première femme qui gravite dans son entourage. Rapporté au post-adolescent
moderne, il s’agit souvent finalement des jupes de sa compagne pour qui le
désarroi est grand de constater la dichotomie qu’il existe entre cet homme en
apparence, celui qu’elle pense connaître et cet enfant tapi dans un corps qui
n’est pas, qui ne devrait pas être le sien. Inopportunément, passé un certain
âge, l’accession à l’âge d’homme est devenu chose utopique, ou en tout cas,
malaisée, car le fossé se creuse entre ceux qui y parviennent et ceux qui ne le
peuvent et trouver quelqu’un qui soit prêt à «initier» un homme devient
difficile.
Le jeune garçon sera bien installé dans son corps adulte, friand
de sa nouvelle puissance, de sa stature sociale ou autre, qui pourra lui
permettre de tenter, de façon illusoire, de combler l’infini de ses désirs. Il
pourra parfaitement faire «semblant» d’être un homme pour parvenir à ses fins,
mais le vernis de la volonté chez lui ne sera pas assez puissant et lorsque
l’illusion s’estompera, s’installeront des désillusions et les déceptions. La
dépression. Chez lui comme chez les autres, dans son entourage…
De là découlent certains problèmes relationnels entre hommes et
femmes : la femme se sent trompée par celui sur qui elle comptait se reposer
parfois, qui lui laissait croire qu’elle le pouvait, et le jeune garçon
n’accepte pas que sa compagne ne lui reconnaisse pas le statut d’Homme. Cette
mésestime le gêne dans la réalisation de ses désirs.
Un autre moyen de passer à l’âge d’homme est de subir un
traumatisme direct : la perte de ses parents, d’un enfant, ou tout autre
événement marquant fait presque toujours basculer le jeune garçon dans l’âge
d’homme. Lorsqu’on parle ici de jeune garçon, il peut tout aussi bien s’agir
d’un adulte de trente ou quarante ans. C’est de son état de non-homme plutôt
que de son état de jeune garçon persistant, dont il s’agit. Malgré lui et de
façon particulière, l’enfant cède alors la place à l’homme. C’est dans ces
moments-là qu’il apprend à faire face, à faire front. A se dresser devant
l’obstacle qui lui est imposé et à le regarder en face. Il n’est pas nécessaire
de s’étendre sur ce cas-là, car il porte en soi ses propres réponses.
Quelle
que soit la façon dont il a acquis sa certitude, l’homme nouveau a maintenant
acquis une chose essentielle qui va lui servir d’arme pour le restant de ses nous l’avons ou tout du moins, nous sommes capable de l’acquérir.
Cependant, elle revêt des formes différentes. De par son ambivalence Mort/Vie,
l’Homme conçoit la volonté différemment de sa conjointe. La force de mort qui
réside au fond des mâles leur demande de faire front en dépit, parfois, du bon
sens, afin de sauver sa vie par exemple, mais aussi parfois à faire face pour
couvrir la fuite des siens ou les protéger. Mais la plupart du temps, cela
reste une pulsion qui vise à se prouver des choses, à mettre en confrontation
le réel et sa propre volonté de puissance, au sens Nietzschéen.
La plupart des guerres sont d’ailleurs menées par des hommes, plus rarement
par des femmes. La volonté de l’Homme ne le dispense pas de la peur, ainsi que
tout un chacun, mais elle fait qu’il peut se résigner plus facilement à sa
propre mort, car de par sa nature plus violente, il a déjà un pied dans la
tombe depuis sa naissance7. Le jeune garçon qui se bat avec ses copains apprend
très vite le sens de la douleur physique, celle qui conduit à l’extinction. Il
n’est donc pas inimaginable qu’une fois à l’âge d’Homme, il puisse se contraindre
à mourir pour d’autres, s’il comprend que ses désirs doivent être contenus.
Contenus, car le désir charrie avec lui l’envie de soi, le besoin d’égoïsme et
la fuite dans l’espoir de meilleurs lendemains. Cependant, il lui faut tout
d’abord comprendre sa condition de mortel, apprendre que la mort n’est
qu’illusion. La mort étant l’absence de toute sensation, elle ne peut être ni
agréable, ni désagréable.
La mort n’est présente que s’il y a la vie. Elle est présente à la manière
d’un fantôme obsédant qui, parce que nous en avons conscience, nous obsède
parfois. Mais une fois qu’elle est là, elle n’existe plus non plus. C’est
pourquoi craindre la mort est une aberration8. Evidemment, ne pas céder à ses
désirs n’exclue pas le plaisir de l’équation, bien entendu. Le plaisir ne doit
pas disparaître car il est indispensable à un épanouissement total, et c’est là
qu’intervient la nécessité de garder le lien avec l’enfant qui sommeille au
fond de soi. Il permet de ne pas être simplement qu’une chose sociale, définie
par son statut plus que par son individualité. Certains hommes adultes l’ont
oublié et se pensent davantage en robots sociaux masculins qu’en humains mâles
entiers.
L’Homme, une fois séparé de l’enfant tyrannique en lui et de
l’image de la féminité dominante représentée par sa mère, et une fois le
sauvage en lui dompté, peut alors revêtir les atours particuliers qui le
confortent dans sa position. Il devient alors une sorte de simulacre de
guerrier, par l’acceptation sans conditions de son côté morbide. Il sait
dorénavant qu’il peut et doit combattre les obstacles qui se dresseront sur son
chemin. Il sait aussi que parfois, il lui faudra reculer afin de mieux
surmonter les difficultés, mais le côté sauvage, en lui, ne renoncera plus
désormais, car il est mû par cette volonté intègre et il est devenu puissant.
Encore une fois, il est ici question d’encenser la vertu de l’homme, la part de
lui qui assume ses actes.
Le dernier aspect devient plus sexué. L’homme devient aussi, par
la liberté qu’il affiche de façon parfois inconsciente, une sorte de
reproducteur radiant. La femme lui apparaît alors dans toute sa splendeur et
son identité, non plus comme l’ombre de sa propre «génitrice», mais comme un
être à part entière débarrassée des peurs dont l’affuble son pendant juvénile.
Il est capable, enfin, d’aimer la personne (ou les personnes…) qu’il choisit et
qui l’ont choisi. Et ce, de manière plus libre et dénuée de toute notion de
culpabilité. Cette capacité nouvelle à aimer conforte sa propre volonté et ne
fait que le rendre plus fort, car la présence de la femme à ses côtés, nourrit
l’aspect vivant dont il est nécessaire de ne pas se couper. Il en devient
d’autant plus séduisant car l’impression d’assurance qu’il dégage plaît,
attire. Il en devient capable de se plier à la souveraineté et à ses devoirs.
Il est nécessaire de revenir sur un point, de
le préciser : celui d’assumer. Garantir ses actes du sceau de son identité. Que
tout soit clair : personne n’est à l’abri d’une erreur. Devenir un homme ne
signifie absolument pas devenir irréprochable, bien au contraire ! Cependant,
il existe une notion qui vient contrebalancer les erreurs dont on pardonne
l’enfant, mais qui le sont plus difficilement, une fois parvenu à l’âge adulte
: reconnaître ses torts. Un enfant ne reconnaîtra pas forcément qu’il a mal
agi, par peur des représailles.
Le fait de devoir réparer le «mal» qui est
fait est un exercice viable et humiliant (dans le sens qui force l’humilité)
dont il est nécessaire de faire l’expérience afin de cesser le divertissement
préféré des hommes qui n’en sont pas : le fameux jeu qui consiste à déterminer
celui qui a la plus grosse !
Evidemment, ce n’est qu’un leurre, ce jeu est
ancré profondément en l’homme et ne disparaît jamais totalement. C’est juste
qu’il est nécessaire de comprendre quand le temps est venu d’y jouer sans que
cela ne porte en soi de conséquences, et quand l’ego devient porteur de
problèmes.
Cependant, peu de jeunes garçons, d’«adolescents» dans
l’acceptation moderne du sens, atteignent ce stade-là. La plupart sont capables
de le simuler un temps car ils sont héritiers d’un système performant de survie
et qu’ils font preuve de suffisamment d’adaptation pour faire illusion, mais
plus que de la simulation, devenir un Homme est une étape qui demande à être
vécue réellement, car sans conviction, être un Homme devient épuisant. On ne
peut faire semblant d’être un Homme très longtemps. Il faut les épaules pour,
car c’est une charge qui demande une constante tension, du moins sociale, afin
de retenir le côté sauvage, violent, dont les autres attributs sont la paresse
et l’assistanat, qui jamais ne se fatigue et profitera de la moindre faiblesse
pour ressortir et tenter de s’échapper.
Il n’y a cependant pas à chercher de fautif à cet état de fait.
Les sociétés, comme toute chose «vivante», évoluent et la nôtre aussi. Bien
évidemment, la disparition du dernier rite initiatique masculin, le service
militaire, n’est pas étrangère à ce qui semble être une régression de la
virilité (au sens antique et étymologique : ce qui a trait à l’homme).
Cependant, sa disparition n’est pas une fatalité. Il est simplement
indispensable de retrouver, d’une façon plus moderne peut-être, une manière de
provoquer la cassure entre l’enfant et l’adulte moral, «l’homme».
Ainsi, les mystères masculins peuvent fondamentalement n’être
qu’un guide de vie qui permet à un enfant de grandir en toute quiétude et donc,
de devenir ce que la nature même de sa condition attend de lui : un homme. Le
problème étant que les cartes ont été redistribuées depuis deux générations et
que ce laps de temps est encore trop faible pour qu’en surgisse une définition
complète et valable de l’initiation masculine telle qu’elle devrait être.
Cette nouvelle définition de l’initiation, le rôle qu’elle doit
revêtir et son aspect contemporain requiert donc aujourd’hui une adhésion et
une réflexion de chacun. Car après tout, sans vouloir présumer de quoi que ce
soit, il est très probable que nombre de femmes se retrouvent dans les
expériences décrites ici, dans les états mentaux et même physiques, pourquoi
pas. Alors que dire de cette étrange énigme qui lie aussi bien le masculin et
le féminin, sacrés tous deux ? Ne sont-ce qu’une seule et même chose que l’on
s’évertue, pour des raisons de disparités physiques, à nommer et à classifier
en une double part d’acceptation de soi qui ne devrait être qu’une ?
Le masculin sacré et le féminin sacré ne se
conçoivent pas forcément séparément et appréhender les mythes et les légendes
qui y font référence en gardant cette possibilité à l’esprit permet une
relecture permanente et une nouvelle voie s’ouvre alors devant celui qui désire
devenir Homme par le biais de ses mystères…
SOURCE :
Dans Lucrèce, De Rerum Natura, Livre III
Dans Diogène Laërce, La vie des philosophes
illustres.
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