Le bouddhisme n'en
reconnaîtra pas moins, assez vite, qu'une naissance masculine présente plus
d'avantages qu'une naissance féminine. Certains iront jusqu'à penser que le
fait d'être née femme est le résultat de mauvaises actions antérieures… Mais
une telle prise de position, quoique avérée, ne peut équitablement se fonder
sur l'enseignement du Bouddha. Celui-ci affirme, à maintes reprises, que nul ne
peut savoir (sauf un Bouddha omniscient) pour quelle raison tel être renaît
sous une forme plutôt qu'une autre! Les résultats effectifs des actes (karma)
sont l'un des quatre sujets "inconnaissables", au même titre que
l'origine du samsâra…
Reste que la littérature bouddhique n'échappera
pas aux "conventions". On peut ainsi distinguer nettement la
littérature "officielle" des enseignements (sûtra), qui prône et
affirme l'égalité des sexes, et la littérature "populaire" qui se
montrera plus encline à privilégier le statut masculin. Les "Vies
antérieures du Bouddha" (Jâtaka) en sont un bon exemple. Dans aucun des
547 textes que recense ce recueil, le futur Bouddha (bodhisattva) n'apparaît
jamais sous forme féminine, qu'il soit humain, animal ou dieu…
Aux alentours de l'ère chrétienne - cinq siècles
après l'apparition du bouddhisme, au moment où se développe le nouveau courant
du Grand Véhicule (Mahâyâna) - la question sera clairement posée: une femme
peut-elle devenir un "Bouddha parfaitement et complètement accompli"
(samyaksam-buddha), comme l'était Siddhârta Gautama? Le sentiment majoritaire
aura tendance à répondre non! C'est d'ailleurs à peu près à la même époque que
la littérature des Jâtaka connaît son plus fort développement…
Sous l'influence du Mahâyâna, en effet, se
développe l'idée d'une hiérarchie entre plusieurs types d'Eveil et de Bouddha,
liée au temps passé par les êtres à développer différentes capacités
spirituelles. Un Eveil comme celui des arhat, alors jugé "inférieur",
peut être obtenu aussi bien par les hommes que par les femmes; en revanche,
l'Eveil "suprême" (dont la caractéristique principale est qu'il
permet d'enseigner la Voie de la Libération à partir de son expérience
personnelle) n'est plus accessible qu'aux seuls hommes, quitte à provoquer
parfois quelques tours de passe-passe inattendus: une femme se transformant
subitement en homme, juste avant d'atteindre l'Eveil! Sans doute faut-il sauver
les apparences, les conventions…
Mâle ou femelle: deux
"potentialités", de sagesse et de compassion
Mais le Mahâyâna
développe aussi l'idée d'une indifférenciation sexuelle fondamentale du Bouddha
lui-même. Les textes anciens avaient unanimement présenté le Bouddha comme un
"Grand Homme" (mahâpurusa), sexuellement très nettement déterminé.
Parmi les trente-deux marques distinctives de ce Grand Homme - signes physiques
que déchiffra un devin à la naissance du prince Siddhârta - figurait notamment
la mention d'un "sexe caché dans un fourreau comme celui d'un
étalon", marque d'une évidente virilité!
Le Mahâyâna, lui, le présentera davantage comme
une sorte d'être androgyne ou, plutôt, potentiellement masculin et féminin à la
fois. Les premières représentations anthropomorphiques du Bouddha (qui datent,
elles aussi, des environs de l'ère chrétienne) montreront d'ailleurs des
Bouddhas le plus souvent vêtus d'une fine étoffe appliquée au corps, démontrant
manifestement, "en creux", l'absence de tout attribut sexuel
masculin. Parvenu à l'Eveil, le Bouddha se situe en effet au-delà de toute convention
dualiste, en corps autant qu'en esprit. Ni masculin ni féminin, il peut se
manifester sous l'une ou l'autre forme, de la même manière que sont présentes
en lui, à la fois, les deux plus hautes vertus bouddhiques: la sagesse
transcendante (prajnâ), qui permet d'accéder à la Libération, et la compassion
suprême qui se manifeste dans les"moyens habiles" qu'ils utilisent,
en tant que Bouddha "suprême", pour enseigner.
L'activité, vertu masculine, est désormais
indissociable de la vertu de sagesse (prajnâ-parâmitâ) que le Mahâyâna, dans
son iconographie, présentera sous des traits féminins et appellera la
"mère de tous les Bouddhas". La distinction sexuelle se transmue
ainsi en distinction virtuelle! Tout être – dès lors qu'il est un Eveillé –
peut manifester aussi bien la féminine sagesse dont il jouit, que la masculine
activité qu'il entreprend au profit des êtres encore englués dans les
conventions nées du désir.
Les évolutions plus tardives du Mahâyâna, dans
ses développements tantriques (à partir du VIe siècle), infléchiront encore
davantage ce phénomène. Ce que le Mahâyâna présentait en théorie, le tantrisme
le traduira matériellement et en pratique: les Bouddhas, hommes, seront
désormais "unis" à une parèdre féminine, dans une relation sexuelle
que la sculpture et la peinture reproduiront maintes fois. L'indifférenciation
originelle, potentiellement sexuée, se manifeste alors sous la forme d'une
union du masculin et du féminin, qui se traduira aussi dans la pratique (dans
un contexte ésotérique et réservé à une élite restreinte) par des techniques de
yoga sexuel, d'où toute idée de jouissance physiques est exclue!
Au sein même du corps de chaque être vivant,
masculin et féminin sont dits présents; non pas dans le corps grossier issu de
la procréation de ses géniteurs, mais dans le "corps subtil" qui
irradie d'énergies pures le corps "conventionnel". Ce corps
"subtil" n'est autre que l'expression de la "nature de
Bouddha" présente en tout être, que le pratiquant doit manifester.
L'indifférenciation n'est donc plus réservée aux seuls Bouddhas accomplis, elle
est une caractéristique fondamentale de tout être, que le yoga tantrique
permettra à chacun d'expérimenter.
Le tantrisme sera le seul courant du bouddhisme
à considérer que la potentialité féminine des êtres pourra "prendre
corps" de façon individuée, y compris jusque dans un corps de Bouddha
parfaitement accompli". Le meilleur exemple en est celui de Târâ.
D'abord comprise comme une manifestation
féminine d'un "futur Bouddha" - le bodhisattva Avalokitesvara,
parangon de la compassion de tous les Bouddhas - elle sera finalement présentée
elle-même comme un très réel Bouddha-femme!
La légende veut que, alors qu'elle n'était
encore qu'une princesse "ordinaire", des bhikkhu lui aient conseillé
de souhaiter une renaissance sous forme masculine pour pouvoir parfaire ses
qualités et parvenir ainsi à l'Eveil suprême.
Mais la princesse répond: "Ici, il n'est
point d'homme ni de femme, pas de soi, pas de personne, pas de conscience.
L'étiquetage" masculin" et "féminin" n'a pas d'essence,
mais trompe le monde à l'esprit gauchi". Puis elle formule ce vœu:
"Nombreux sont ceux qui aspirent à l'Eveil dans un corps d'homme, mais
aucun n'œuvre au bien des êtres animés dans un corps féminin. Aussi, jusqu'à ce
que le samsâra soit vide, j'accomplirai le bien des êtres dans un corps de
femme". [Les Cent-huit noms]
Extrait de l’article à lire en entier ICI : http://www.buddhistwomen.eu/FR/index.php/Textes/Feminin
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