« La joie profonde du cœur est une boussole qui nous indique le chemin de la vie. », Mère Teresa.
Cultiver comme un jardin la joie dans son cœur. Telle l’Abbesse Hildegarde de Bingen, mettre des épices dans ses biscuits (si possible à l’épeautre !), c’est donner un goût de joie à sa vie dans toutes les circonstances. Une saveur proche du chocolat noir : amer mais intéressant, ouvrant le palais à une notion nouvelle.
Un certain mystère habite la réception de la joie par le don. Quelque chose de plus grand que soi est exprimé par les plus grands mystiques ou philosophes : « Bonne est l’action qui ne donne aucun regret et dont le fruit est accueilli avec joie et sérénité. » selon Bouddha.
Donner de la joie, de l’attention, du temps, un petit bout de vie, permet de ressentir soi-même un certain allègement jusque dans les moments de détresse absolue. La science le prouve aujourd’hui, ce que Mathieu Ricard a démontré en se soumettant à des tests neurologiques relatés récemment.
Cette vérité, je l’expérimente depuis plusieurs mois, après le décès in utero de notre premier enfant à 6 mois de grossesse. Il vous semble littéralement que le Ciel vous tombe sur la tête. Au-delà de toutes les questions qui ne trouveront jamais de réponse, il faut apprendre à se relever, continuer de se lever le matin, se nourrir, prendre soin de ce corps qu’on ne peut regarder sans pleurer…
Et pourtant, quelque chose renaît. Comme une fleur au printemps réussit à percer la neige. Équilibre entre amertume et douceur. Nostalgie et Amour de la vie.
Tristesse s’installe et Joie se tait. Joie boude, croise les bras, puis se ressaisit, essaie d’écarter les coudes. Tristesse se défend mais Joie nous surprend au détour d’un anachronisme de la vie qui réussit à nous arracher un petit sourire… un premier petit sourire… l’éclat de rire reviendra plus tard… Il revient le jour où l’on comprend que la tristesse et l’amour déjà porté à cet enfant vivront toujours avec nous.
Accepter l’ambivalence, c’est planter la graine pour cultiver la joie. Ces sentiments nous accompagneront en donnant des couleurs nouvelles à la toile qui continue de se dessiner jour après jour pour nous faire grandir. Ces couleurs s’exprimeront dans des tons gris, orageux, mais enrichissent la gamme de notre existence et, curieusement, ouvrent notre cœur à une expérience nouvelle, celle de la compassion.
Plus simplement, en posant son regard sur le monde, il est évident que l’épreuve est présente tout autour de nous : l’acidité de la vie qui s’exprime dans la pauvreté matérielle s’affichant sous nos fenêtres, l’appauvrissement de l’âme malgré les richesses terrestres, les déchirements familiaux, les départs, les incompréhensions. Ces drames n’ont d’égal que la douceur dans le sourire des enfants des rues jouant avec insouciance momentanée sous une pluie battante, lors d’une visite impromptue, joie dans le regard d’une personne âgée connaissant la solitude…
Il convient de ne pas tomber dans le piège de tout relativiser : ma détresse est bien présente, celle de mon interlocuteur est incomparable à la mienne. Joyeuse, cette mère de famille nombreuse dans un quartier défavorisé des favelas me montre l’échographie payée par notre association : quelle force me permet de ne pas éclater en sanglots malgré les larmes qui montent ? Je ne le sais pas. Je suppose que c’est la petite graine que j’ai choisi de planter ce matin dans mon cœur en me forçant à aller apporter de l’écoute et du réconfort à ces femmes défavorisées. Mais défavorisées par quoi ? Par la vie ?
La détresse
matérielle et la détresse morale sont-elles comparables ? Nul ne le sait.
Chacune est présente sur Terre depuis la nuit des temps. Et pourtant, ces
femmes ont planté la même graine que moi, choisissent en se levant de cultiver
la joie malgré les coups de leur mari, les maladies de leurs enfants, la
douleur des crises de manque, les viols des clients…
L’épreuve peut renforcer. J’ai connu des moments tellement sombres que le déchirement ne peut que laisser entrer un peu de lumière. Cette toute petite lueur, c’est l’espoir d’un jour nouveau dont a besoin la petite graine qui ne demande qu’à être cultivée pour grandir et se donner dans une énergie nouvelle.
« Partout où il y a joie, il y a création : plus riche est la création, plus profonde est la joie. »
Cultiver la joie, c’est chérir ce jardin dans notre âme par tous les moyens que la vie met à notre disposition si nous ouvrons les yeux : ces proches qui n’attendent qu’un pas vers eux, cette œuvre musicale qui réveille nos sens, ce paysage qui s’étend sous notre regard, ce texte qui nous apporte exactement les mots dont nous avions besoin à cet instant, ces bras qui nous entourent de leur chaleur, ce dépassement de soi dans une course effrénée. Cultiver la joie dans la solitude gracieuse, un moment volé à nos obligations, au jour, à la nuit, à l’éternité.
Cultiver la joie devient alors un choix : je choisis de laisser la mélancolie me happer à chaque moment de ma journée, ou je choisis de nourrir, en me forçant un peu, les petites folies qui m’habitent. Dire oui à la vie, accepter de se laisser approcher par la bienveillance, accepter de voir la chance d’être portée par ses proches et à son tour, de porter assistance à ceux qui n’ont pas ce bonheur. Ouvrir les yeux sur les autres couleurs dont la vie nous entoure et peu à peu, faire grandir cette petite graine de joie qui veut percer le froid, la neige et la détresse.
Cultiver la joie, c’est aussi apprendre à renoncer. Les choix me conduisent à refuser les sollicitations qui ne me ressemblent pas, résister aux chants des sirènes, quitte à s’initier à la nage à contre-courant. Bien sûr, c’est plus fatigant ! Mais quelle libération, quelle joie plus grande encore que celle connue jusqu’alors, que de renaître à soi, profondément, sereinement, joyeusement.
Yola SARRAT
desraisinsverts@gmail.com
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