par Mut Danu
« Moisson des Ancêtres » - Emancholl – le
Charme (arbre) pour la fête de Samhain
«De
quoi aurais-je peur, et les âmes de mes aïeuls tournant autour de moi comme des
abeilles ?» L’Année de l’Irlande, Kevin Danaher
De même
que nous pouvons ressentir et éprouver «l’accélération» de la vie associée à
Imbolc, nous pouvons aussi éprouver les sensations de la saison jusqu’au plus
profond de nos os quand la Roue est arrivée à Samhain, et apprendre les leçons
du sommeil et de la mort. Comme je l’ai expliqué dans les précédents chapitres
sur Imbolc, Beltane et la Première Moisson, mon utilisation des symboles Ogham
pour ces fêtes n’est pas conventionnelle. Après plusieurs années de réflexion
sur leur sens et avec un désir toujours
croissant de pouvoir pleinement apprendre des Arbres avec lesquels je
pouvais expérimenter ces passages de la Roue de l’Année, j’ai choisi ceux dans
lesquels je ressens le mieux à la fois le sens des symboles, basé sur les
kennings [métaphores poétiques de la poésie scandinave – cf. Wikipédia], et les
énergies des saisons. Pour Samhain, j’ai choisi Emancholl et le Charme bien que
Straif et le Prunellier contiennent aussi cette énergie.
La raison pour laquelle
j’ai choisi ce chemin par les Arbres Ogham est en rapport avec nos peurs si
souvent écrasantes des passages, spécialement celui que nous considérons comme
le dernier, la mort, la Fin. Et ainsi, plutôt que de courir autour de cette
moitié sombre de la Roue de l’Année, allons-y lentement, en donnant le temps à nos yeux de «s’habituer
à l’obscurité». Nous pouvons ainsi envisager Emacholl, Ngetal, Straif et Ruis
comme ces arbres Ogham qui bordent les côtés d’un passage qui nous emmène
profondément vers le coeur de la terre, cette fissure noire où attend la sombre
Déesse voilée et le mystère du passage final d’Idho.
Une des métaphores
(kenning) d’Emacholl est «jumeau du Noisetier» ; le Charme est en effet de la
même famille que les Noisetiers, et bien que ses fruits ne sont pas mangés par
les humains, ils sont la gourmandise des
pinsons. Le Charme (Carpinus Betulus) est natif d’Europe, où on le
trouve de la Scandinavie à la frontière franco-espagnole dans les Pyrénées, et
dans tout le continent jusqu’en Ukraine. Quand il n’est pas taillé pour former
une haie, le charme pousse lentement pour former un arbre moyennement haut. Il
ressemble à un Hêtre en feuilles et en
écorce, mais en prenant de la maturité, il prend une forme cannelée
caractéristique. Le Charme fleurit en Mai, avec des chatons mâles et des
pistils femelles sur le même arbre. Pollinisé par le vent, ses fruits sont mûrs
pour Samhain. Comme le frêne, les fruits du Charme pendent en grappes et sont
appelés «akènes» («clés» en Anglais) ; ces akènes sont accrochés aux branches
tout au long de l’automne de même que les feuilles aux bords en dents de scie
qui changent de couleur, passant du vert au jaune orange, puis au brun roux
profond. Il y a un autre kenning pour Emacholl : «le gémissement d’une personne
malade». Au niveau physique, les feuilles du charme sont utilisées en
compresses pour stopper les hémorragies. La plante est aussi utilisée dans les
«fleurs de Bach» pour traiter les états de fatigue, de lassitude et
d’épuisement physique et mental, en d’autres mots le «gémissement d’une
personne malade».
L’équivalent nordique du
Ogham Emacholl est le Futhark «Othala» qui signifie «terre ancestrale». Ces
mots relient Emacholl à Samhain, la Fête des Ancêtres. Chaque fois que nous
vivons et célébrons Samhain, nous créons
un lien dans la longue chaîne continue… Nous portons la sagesse et la
connaissance de nos ancêtres dans chaque cellule de notre corps. La sagesse ancestrale
peut prendre diverses formes. L’une d’entre elles est la sagesse qui nous a été
transmise sous la forme de la culture : la façon dont nous bordons un enfant
dans son lit le soir, ou dont nous
prenons connaissance d’une connaissance archaïque apprise d’un aîné, comme
tricoter ou sculpter du bois ; ou ces bizarreries de notre culture, en
particulier les religions et croyances – qui nous ont été directement
transmises par nos ancêtres. La majeure partie de notre connaissance ancestrale
est ainsi profondément ancrée dans notre corps. Un enfant peut avoir les yeux
de ses parents et la couleur de leurs cheveux, mais aussi la force de la
personnalité d’une grand-mère et la résistance aux maladies de chaque membre de
la famille du côté des grand-pères.
Il est aussi miraculeux de
comprendre que nous sommes les êtres vivants les plus récents, issus d’une
lignée de survivants provenant de créatures unicellulaires – les premiers
habitants de la Terre. Dans «Voie de la Terre», Starhawk nous donne une belle méditation
sur la compréhension de «l’Ancêtre», en remontant jusqu’à l’échange des
nutriments de vie entre ceux qui respirent rouge et ceux qui respirent vert,
nos plus récents ancêtres qui respiraient l’oxygène, ceux qui récoltaient la
lumière du soleil et la danse de vie entre eux tous. Dans l’histoire de la
Création qu’elle nous a donnée, la peur de la mort n’existe pas, seulement la
célébration de la créativité et le sens du remerciement à tous ceux qui sont
venus avant nous. Quelle différence d’avec la vision du monde dominant qui a
peur de la Danse.
La culture dominante du
monde occidental qui nous entoure a pendant de longues années cherché à séparer
le corps et l’esprit, le bien et le mal, et la nature de l’humanité (une
humanité si souvent pensée comme «l’Homme», créant ainsi un fossé entre les
sexes). Le résultat de cette dualité artificielle est un refus d’accepter la
nature cyclique de l’univers et de la Vie elle-même. Dans une vision du monde
dualiste, monothéiste, la séparation
devient complète au moment de la mort, quand le corps et l’esprit sont
une fois pour toutes complètement séparés et dispersés. Le corps charnel
diabolique pourrit, et l’esprit pur monte, ou descend, selon le cas, vers un
royaume paradisiaque ou vers la punition. Dans cette vision du monde, une
détérioration progressive, lente, et une mort ultime ne sont pas comprises
comme faisant partie d’un processus naturel pendant la durée de vie. Dans la
vision dualiste du monde, il y a aussi une notion de temps se déployant en ligne
droite – du Big Bang vers l’infini. Dans cette perspective, quand votre temps
est fini, c’est La Fin. Une vision circulaire, en spirale, perçoit le cycle qui
est toujours en mouvement, ce mouvement de
transformation-mort-naissance-vie-détérioration et implique une façon alternative de voir la vie
et le temps sous forme d’une toile plutôt que d’une ligne droite.
Le refus de la mort et la
peur résultante de mourir qui sont tellement omniprésents dans la culture
dominante, devraient être une perspective culturelle surprenante et rare,
plutôt qu’une croyance généralisée, puisque tout ce qui nous entoure vit et
meurt dans la grande danse circulaire. Que nous voulions le savoir ou non, que
nous soyons à l’aise avec cette pensée
ou bêtement effrayés, nous les humains, sommes déjà dans La Danse. Notre
existence même signifie que notre corps et notre esprit sont un tout petit
mouvement de la Danse elle-même. Nous mangeons pour vivre, et à un moment ou à
un autre, notre corps nourrit un autre être de façon à ce qu’il puisse vivre.
D’une manière ou d’une autre, les humains ont perdu le sens du rythme et si
nous voulons prendre part à la Danse de la vie, nous devons sauter dans le
cercle pour réapprendre les pas. Samhain est le début de l’Hiver, et aussi le
celui de notre passage vers le Mystère de la Déesse Noire. Son visage est
recouvert d’un voile sombre et nous pouvons nous en approcher mais pas encore y
entrer. L’aspect de la Déesse associé à l’Hiver est celui de la Vieille Femme.
Qu’on La nomme la Calleach Bheur, la Dame de la Mort Mictecacihuatl, Cerridwen,
Grand- Mère Araignée, ou la Grande Faucheuse, l’enseignement de la Vieille
Femme porte sur la «transformation». Et je parie qu’elle danse très bien.
A chaque Samhain, je
prépare un endroit spécial pour mes ancêtres, qui sert aussi de lieu de
rencontre entre les vivants et les morts. Ce «lieu» est le dessus d’une table,
et cette année j’y ai mis des photos de mon père et de ma soeur, de mes
grands-parents, des chiens et d’un chat, des tasses chinoises et un agenda, une
poupée dont la tête est une pomme au visage de mémé ratatiné habillée d’une
blouse rouge sang et d’une cape à capuche noire, une liste des noms de mes
aïeules s’étirant sur trois siècles, quelques pommes sauvages et une tasse de
cidre fait maison. Il peut être si difficile d’abandonner nos désirs d’avoir
notre famille bien-aimée et nos amis près de nous pour toujours. Mais si nous
sommes tout à fait honnêtes avec nous-mêmes, nous savons bien que ce n’est pas
possible. Selon notre personnalité, nous pouvons penser à ce qui pourrait
arriver en termes de ressources naturelles et de population si personne, aucun
être vivant ne devait jamais mourir. Nous pouvons penser aux dizaines de
millions d’histoires qui auraient un début, mais qui se perdraient ensuite dans
une éternité n’en finissant jamais. En tant qu’humains avec nos gros cerveaux,
notre abondante créativité et notre imagination, nous pouvons imaginer toutes
les possibilités, créer de nouveaux mondes pour que nos esprits aillent y
vivre, postuler là où va toute cette énergie créatrice, créer des religions qui
expliquent tout cela dans le détail et donnent des règles à suivre et des
chemins pour y aller.
Nous pouvons faire toutes
ces choses, mais à la fin, la Mère Noire
est là, tenant «le voile au travers duquel nous ne pouvons pas voir», et nous
devons passer. Et pour ce qui arrive ensuite, votre histoire est tout aussi
valable que la mienne. L’important est la façon dont nous voyons le voile de ce
côté, comment nous nous en approchons et le traversons. Quand le temps sera
venu de mon propre passage, je préfèrerai y entrer pendant la phase de la Lune
Noire, lorsqu’elle est invisible, pendant Son cycle ultime «dans l’amour et en
toute confiance». Peut-être que la meilleure façon pour finir par accepter
que notre propre existence va un jour se
transformer en une autre forme d’énergie est de commencer par penser à nos
êtres chers qui sont partis ou qui vont un jour nous quitter.
Plutôt que de les espérer
vivants, je vais les rencontrer près du voile. Une fois que mon autel a été
érigé, le «lieu» que j’ai décrit plus haut, je crée un rituel pour honorer leur
vie. J’écris des lettres et puis j’écoute les réponses dans mon coeur. Je raconte les histoires de
leur vie à ma fille, dans l’espoir qu’elle s’en souviendra. Quelques fois je
cuisine ou je peinds, ce qui crée un lien puissant avec une de mes grand-mères.
Un autre lien est créé entre mon père, sa mère et moi quand je jardine. En tant
que femme d’âge mûr, je me promène avec mon bien aimé Puck, et derrière nous
trottent les mémoires des chiens que j’ai aimés et qui sont passés dans ma vie
ou quand j’étais enfant. Avez-vous prêté attention à vos pensées sur la mort ou
alors les avez vous repoussées ? A moins d’avoir fait l’expérience de la perte
ou de la maladie dans sa jeunesse, la mort est rarement présente à cet âge.
Après tout, les
adolescents et les jeunes adultes sont en période de pleine croissance, non de
décadence. Pour certaines personnes, les premières pensées sur la mortalité
arrivent avec la naissance d’une nouvelle génération, leurs propres
descendants, et la prise de conscience qu’ils sont maintenant devenus des
«ancêtres». D’autres s’accrochent à la jeunesse, non dans le but d’avoir une
bonne santé et une longue période d’apprentissage et d’exploration, mais dans
la vague idée de ne pas «devenir vieux». Certains arrivent au terme d’une
longue vie, s’accrochant désespérément à leurs souffrances dans un corps
défaillant uniquement parce qu’ils n’ont jamais pensé à leur propre mort, ayant
rejeté la fatalité que la Vie est en fait Vie-Mort-Vie. La vie est un processus
circulaire, toujours en mouvement et nous devons bouger avec elle. Sans
mouvement il n’y a pas de créativité, pas de vie, pas de mort, rien. En
attendant d’être parvenus près du Voile pour faire face à la réalité, il ne
peut en résulter qu’une écrasante peur, et l’envie de s’accrocher. La seule
façon de ne plus avoir peur est de lui faire face. Si vous êtes effrayé par la
Mort, alors asseyez-vous et trinquez avec Elle. Trinquez et bavardez avec la
Déesse Noire. Si vous avez attendu le moment d’être venu taper à la porte,
littéralement la Porte de la Mort, alors buvez un bon coup d’eau-de-vie ! Mais
ne vous asseyez pas pour discuter. Plutôt que de la voir comme une créature effrayante
avec du poil au menton et des doigts osseux, essayez de la voir comme la plus
gentille Vieille Femme que vous ayez jamais eu la chance de rencontrer. Elle
vous connaît très bien. En tant qu’enfants de la Terre, nous, les humains, nous
sommes les être les moins disposés à nous joindre dans la danse de la Vie, mais
les joies de la Vie et de la mortalité sont notre droit et notre héritage.
Confiez vos peurs à la Vieille Femme, Elle les a toutes entendues. Que vous
soyez dans la peur de perdre un monde de sensation et de couleur, dans la peur
de non-existence, de perdre ceux qu’on aime
et qui dépendent de nous, dans la curiosité sur la façon dont va tourner
l’histoire dans les quelques prochains millions d’années, sortez-les de votre
coeur. J’adore écrire, ainsi, pour moi, l’écriture est un très bon moyen
d’exprimer les choses. Peut-être que pour vous cela peut être une chanson,
une conversation, une danse ou une
expression artistique. Nommer vos peurs est la façon la plus sûre de réduire
leur emprise sur vous. Puis, servez vous un autre verre, et puisque vous êtes
toujours vivant, dites à la Vieille Femme que vous faites de votre mieux ici et
maintenant, ou de quelle façon vous voudriez vivre, afin de faire le meilleur
usage de votre temps dans cette vie.
Quelques façons de célébrer la Saison :
Commencez par observer
cette saison en faisant de grandes promenades en extérieur. Faites de ces romenades des
méditations en mouvement où vous évacuez toutes les contrariétés et le
stress de votre vie active, quotidienne ; immergez vos pensées dans les
changements dus à la saison. Notez les modifications des feuilles, l’odeur du
sol et le ressenti de l’air. Recueillez certains de ces changements sous la
forme de feuilles, graines et noix colorées, ou encore des pierres ou des
brindilles sèches qui prennent l’apparence de doigts osseux de sorcière.
Rapportez ces objets à la maison et utilisez-les pour ériger votre autel de
Samhain. Je donne à ceci le nom d’autel, mais si le terme vous dérange,
disposez sur le dessus d’une table les objets par lesquels vous pourrez
reconnaître les changements des saisons, l’amour que vous ressentez pour la
famille, les amis, et les ancêtres qui nous ont précédés. C’est un endroit où
vous pouvez vous sentir proche de ceux qui nous ont quitté, peut-être pour leur
dire des choses qui n’ont pas été dites quand ils étaient vivants, ou pour
écouter une guidance. Cette saison nous rapproche de ceux que nous avons aimés
et qui sont morts, et simultanément elle nous fait penser à notre propre mortalité.
Cette saison est partagée par le cycle lunaire de Ngetal (Genêt) et de Straif
(Prunellier), les deux contribuant à notre compréhension du mystère de la
Vie-Mort-Vie.
La poupée avec une pomme
pour tête : la tête de pomme que vous avez commencé à faire sécher après la
Pleine Lune de Quert devrait avoir maintenant l’apparence d’une vieille femme
ou d’un vieil homme tout desséché. Décidez duquel vous voulez, faites un corps
en ficelle, couvrez le bandes de tissus pour entourer tout le corps, puis utilisez
des petits morceaux de tissu pour fabriquer des vêtements à votre Vieille Femme
ou Sage. Une fois finie, la poupée doit avoir environ 25 à 30 cm de haut. J’ai
essayé de faire des mains et des pieds avec des pommes séchées, mais j’ai
trouvé qu’il était plus facile de les faire avec de la pâte à modeler. Si vous
le voulez, dédiez votre vieille femme ou votre vieil homme sage à la vie de vos
ancêtres. Gardez la dans un endroit frais, au sec et cette Grand-Mère ou ce
Grand-Père restera ainsi pendant plusieurs années ; et quand il sera moisi, il
pourra être enterré dehors. En Anglais, «hornbeam» (le Charme) signifie bois
(beam) dur (hard). En Français, on le nomme le Charme, ce mot ayant pour
origine deux mots celtiques, «Car» (bois) et «Pin» (tête).
Dans le passé, son bois
était largement utilisé pour les objets utilitaires comme les manches d’outils,
les jougs des boeufs, les chaises et les cerceaux des tonneaux. Cet arbre était
bien connu de nos aïeux qui vivaient à l’époque pré-industrielle. A Samhain,
nous puisons dans ce qui était avant nous : la connaissance de nos ancêtres. De
la même façon qu’Imbolc, Samhain se
rapporte aux métiers artisans. Connaissez-vous la vie de vos grands-parents et arrière
grands-parents ? Tâchez de découvrir quelque chose sur leur vie, leur travail,
leurs passions et leurs passe-temps. Peut-être possédez-vous un talent
artistique latent qui attend d’être découvert ?
Pour
aller plus loin, quelques lectures et ressources :
Danaher Kevin. The Year of Ireland (l’Année de l’Irlande).
1972 Dublin, aux editions Mercier Press.
Simos Miriam “Starhawk”. Earth
Path (le Chemin de la Terre). Harper San Francisco 2004 (le Don des
Ancêtres, chapitre 4)
Plantes pour un Futur,
http://www.pfaf.org/ sur l’utilisation médicinale du Charme commun.
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