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jeudi 18 décembre 2014

Les Trois Mères : Vivre la sagesse des Arbres Oghams


par Mut Danu

« Moisson des Ancêtres » - Emancholl – le Charme (arbre) pour la fête de Samhain
«De quoi aurais-je peur, et les âmes de mes aïeuls tournant autour de moi comme des abeilles ?» L’Année de l’Irlande, Kevin Danaher 



De même que nous pouvons ressentir et éprouver «l’accélération» de la vie associée à Imbolc, nous pouvons aussi éprouver les sensations de la saison jusqu’au plus profond de nos os quand la Roue est arrivée à Samhain, et apprendre les leçons du sommeil et de la mort. Comme je l’ai expliqué dans les précédents chapitres sur Imbolc, Beltane et la Première Moisson, mon utilisation des symboles Ogham pour ces fêtes n’est pas conventionnelle. Après plusieurs années de réflexion sur leur sens et avec un désir toujours   croissant de pouvoir pleinement apprendre des Arbres avec lesquels je pouvais expérimenter ces passages de la Roue de l’Année, j’ai choisi ceux dans lesquels je ressens le mieux à la fois le sens des symboles, basé sur les kennings [métaphores poétiques de la poésie scandinave – cf. Wikipédia], et les énergies des saisons. Pour Samhain, j’ai choisi Emancholl et le Charme bien que Straif et le Prunellier contiennent aussi cette énergie.

La raison pour laquelle j’ai choisi ce chemin par les Arbres Ogham est en rapport avec nos peurs si souvent écrasantes des passages, spécialement celui que nous considérons comme le dernier, la mort, la Fin. Et ainsi, plutôt que de courir autour de cette moitié sombre de la Roue de l’Année, allons-y lentement, en donnant le temps à nos yeux de «s’habituer à l’obscurité». Nous pouvons ainsi envisager Emacholl, Ngetal, Straif et Ruis comme ces arbres Ogham qui bordent les côtés d’un passage qui nous emmène profondément vers le coeur de la terre, cette fissure noire où attend la sombre Déesse voilée et le mystère du passage final d’Idho.

Une des métaphores (kenning) d’Emacholl est «jumeau du Noisetier» ; le Charme est en effet de la même famille que les Noisetiers, et bien que ses fruits ne sont pas mangés par les humains, ils sont la gourmandise des  pinsons. Le Charme (Carpinus Betulus) est natif d’Europe, où on le trouve de la Scandinavie à la frontière franco-espagnole dans les Pyrénées, et dans tout le continent jusqu’en Ukraine. Quand il n’est pas taillé pour former une haie, le charme pousse lentement pour former un arbre moyennement haut. Il ressemble à un Hêtre en feuilles et  en écorce, mais en prenant de la maturité, il prend une forme cannelée caractéristique. Le Charme fleurit en Mai, avec des chatons mâles et des pistils femelles sur le même arbre. Pollinisé par le vent, ses fruits sont mûrs pour Samhain. Comme le frêne, les fruits du Charme pendent en grappes et sont appelés «akènes» («clés» en Anglais) ; ces akènes sont accrochés aux branches tout au long de l’automne de même que les feuilles aux bords en dents de scie qui changent de couleur, passant du vert au jaune orange, puis au brun roux profond. Il y a un autre kenning pour Emacholl : «le gémissement d’une personne malade». Au niveau physique, les feuilles du charme sont utilisées en compresses pour stopper les hémorragies. La plante est aussi utilisée dans les «fleurs de Bach» pour traiter les états de fatigue, de lassitude et d’épuisement physique et mental, en d’autres mots le «gémissement d’une personne malade».

L’équivalent nordique du Ogham Emacholl est le Futhark «Othala» qui signifie «terre ancestrale». Ces mots relient Emacholl à Samhain, la Fête des Ancêtres. Chaque fois que nous vivons et célébrons Samhain, nous  créons un lien dans la longue chaîne continue… Nous portons la sagesse et la connaissance de nos ancêtres dans chaque cellule de notre corps. La sagesse ancestrale peut prendre diverses formes. L’une d’entre elles est la sagesse qui nous a été transmise sous la forme de la culture : la façon dont nous bordons un enfant dans son   lit le soir, ou dont nous prenons connaissance d’une connaissance archaïque apprise d’un aîné, comme tricoter ou sculpter du bois ; ou ces bizarreries de notre culture, en particulier les religions et croyances – qui nous ont été directement transmises par nos ancêtres. La majeure partie de notre connaissance ancestrale est ainsi profondément ancrée dans notre corps. Un enfant peut avoir les yeux de ses parents et la couleur de leurs cheveux, mais aussi la force de la personnalité d’une grand-mère et la résistance aux maladies de chaque membre de la famille du côté des grand-pères.

Il est aussi miraculeux de comprendre que nous sommes les êtres vivants les plus récents, issus d’une lignée de survivants provenant de créatures unicellulaires – les premiers habitants de la Terre. Dans «Voie de la Terre», Starhawk nous donne une belle méditation sur la compréhension de «l’Ancêtre», en remontant jusqu’à l’échange des nutriments de vie entre ceux qui respirent rouge et ceux qui respirent vert, nos plus récents ancêtres qui respiraient l’oxygène, ceux qui récoltaient la lumière du soleil et la danse de vie entre eux tous. Dans l’histoire de la Création qu’elle nous a donnée, la peur de la mort n’existe pas, seulement la célébration de la créativité et le sens du remerciement à tous ceux qui sont venus avant nous. Quelle différence d’avec la vision du monde dominant qui a peur de la Danse.

La culture dominante du monde occidental qui nous entoure a pendant de longues années cherché à séparer le corps et l’esprit, le bien et le mal, et la nature de l’humanité (une humanité si souvent pensée comme «l’Homme», créant ainsi un fossé entre les sexes). Le résultat de cette dualité artificielle est un refus d’accepter la nature cyclique de l’univers et de la Vie elle-même. Dans une vision du monde dualiste, monothéiste, la séparation  devient complète au moment de la mort, quand le corps et l’esprit sont une fois pour toutes complètement séparés et dispersés. Le corps charnel diabolique pourrit, et l’esprit pur monte, ou descend, selon le cas, vers un royaume paradisiaque ou vers la punition. Dans cette vision du monde, une détérioration progressive, lente, et une mort ultime ne sont pas comprises comme faisant partie d’un processus naturel pendant la durée de vie. Dans la vision dualiste du monde, il y a aussi une notion de temps se déployant en ligne droite – du Big Bang vers l’infini. Dans cette perspective, quand votre temps est fini, c’est La Fin. Une vision circulaire, en spirale, perçoit le cycle qui est toujours en mouvement, ce mouvement de transformation-mort-naissance-vie-détérioration et  implique une façon alternative de voir la vie et le temps sous forme d’une toile plutôt que d’une ligne droite.

Le refus de la mort et la peur résultante de mourir qui sont tellement omniprésents dans la culture dominante, devraient être une perspective culturelle surprenante et rare, plutôt qu’une croyance généralisée, puisque tout ce qui nous entoure vit et meurt dans la grande danse circulaire. Que nous voulions le savoir ou non, que nous  soyons à l’aise avec cette pensée ou bêtement effrayés, nous les humains, sommes déjà dans La Danse. Notre existence même signifie que notre corps et notre esprit sont un tout petit mouvement de la Danse elle-même. Nous mangeons pour vivre, et à un moment ou à un autre, notre corps nourrit un autre être de façon à ce qu’il puisse vivre. D’une manière ou d’une autre, les humains ont perdu le sens du rythme et si nous voulons prendre part à la Danse de la vie, nous devons sauter dans le cercle pour réapprendre les pas. Samhain est le début de l’Hiver, et aussi le celui de notre passage vers le Mystère de la Déesse Noire. Son visage est recouvert d’un voile sombre et nous pouvons nous en approcher mais pas encore y entrer. L’aspect de la Déesse associé à l’Hiver est celui de la Vieille Femme. Qu’on La nomme la Calleach Bheur, la Dame de la Mort Mictecacihuatl, Cerridwen, Grand- Mère Araignée, ou la Grande Faucheuse, l’enseignement de la Vieille Femme porte sur la «transformation». Et je parie qu’elle danse très bien.

A chaque Samhain, je prépare un endroit spécial pour mes ancêtres, qui sert aussi de lieu de rencontre entre les vivants et les morts. Ce «lieu» est le dessus d’une table, et cette année j’y ai mis des photos de mon père et de ma soeur, de mes grands-parents, des chiens et d’un chat, des tasses chinoises et un agenda, une poupée dont la tête est une pomme au visage de mémé ratatiné habillée d’une blouse rouge sang et d’une cape à capuche noire, une liste des noms de mes aïeules s’étirant sur trois siècles, quelques pommes sauvages et une tasse de cidre fait maison. Il peut être si difficile d’abandonner nos désirs d’avoir notre famille bien-aimée et nos amis près de nous pour toujours. Mais si nous sommes tout à fait honnêtes avec nous-mêmes, nous savons bien que ce n’est pas possible. Selon notre personnalité, nous pouvons penser à ce qui pourrait arriver en termes de ressources naturelles et de population si personne, aucun être vivant ne devait jamais mourir. Nous pouvons penser aux dizaines de millions d’histoires qui auraient un début, mais qui se perdraient ensuite dans une éternité n’en finissant jamais. En tant qu’humains avec nos gros cerveaux, notre abondante créativité et notre imagination, nous pouvons imaginer toutes les possibilités, créer de nouveaux mondes pour que nos esprits aillent y vivre, postuler là où va toute cette énergie créatrice, créer des religions qui expliquent tout cela dans le détail et donnent des règles à suivre et des chemins pour y aller.

Nous pouvons faire toutes ces choses, mais à la fin, la  Mère Noire est là, tenant «le voile au travers duquel nous ne pouvons pas voir», et nous devons passer. Et pour ce qui arrive ensuite, votre histoire est tout aussi valable que la mienne. L’important est la façon dont nous voyons le voile de ce côté, comment nous nous en approchons et le traversons. Quand le temps sera venu de mon propre passage, je préfèrerai y entrer pendant la phase de la Lune Noire, lorsqu’elle est invisible, pendant Son cycle ultime «dans l’amour et en toute confiance». Peut-être que la meilleure façon pour finir par accepter que  notre propre existence va un jour se transformer en une autre forme d’énergie est de commencer par penser à nos êtres chers qui sont partis ou qui vont un jour nous quitter.

Plutôt que de les espérer vivants, je vais les rencontrer près du voile. Une fois que mon autel a été érigé, le «lieu» que j’ai décrit plus haut, je crée un rituel pour honorer leur vie. J’écris des lettres et puis j’écoute les réponses  dans mon coeur. Je raconte les histoires de leur vie à ma fille, dans l’espoir qu’elle s’en souviendra. Quelques fois je cuisine ou je peinds, ce qui crée un lien puissant avec une de mes grand-mères. Un autre lien est créé entre mon père, sa mère et moi quand je jardine. En tant que femme d’âge mûr, je me promène avec mon bien aimé Puck, et derrière nous trottent les mémoires des chiens que j’ai aimés et qui sont passés dans ma vie ou quand j’étais enfant. Avez-vous prêté attention à vos pensées sur la mort ou alors les avez vous repoussées ? A moins d’avoir fait l’expérience de la perte ou de la maladie dans sa jeunesse, la mort est rarement présente à cet âge.

Après tout, les adolescents et les jeunes adultes sont en période de pleine croissance, non de décadence. Pour certaines personnes, les premières pensées sur la mortalité arrivent avec la naissance d’une nouvelle génération, leurs propres descendants, et la prise de conscience qu’ils sont maintenant devenus des «ancêtres». D’autres s’accrochent à la jeunesse, non dans le but d’avoir une bonne santé et une longue période d’apprentissage et d’exploration, mais dans la vague idée de ne pas «devenir vieux». Certains arrivent au terme d’une longue vie, s’accrochant désespérément à leurs souffrances dans un corps défaillant uniquement parce qu’ils n’ont jamais pensé à leur propre mort, ayant rejeté la fatalité que la Vie est en fait Vie-Mort-Vie. La vie est un processus circulaire, toujours en mouvement et nous devons bouger avec elle. Sans mouvement il n’y a pas de créativité, pas de vie, pas de mort, rien. En attendant d’être parvenus près du Voile pour faire face à la réalité, il ne peut en résulter qu’une écrasante peur, et l’envie de s’accrocher. La seule façon de ne plus avoir peur est de lui faire face. Si vous êtes effrayé par la Mort, alors asseyez-vous et trinquez avec Elle. Trinquez et bavardez avec la Déesse Noire. Si vous avez attendu le moment d’être venu taper à la porte, littéralement la Porte de la Mort, alors buvez un bon coup d’eau-de-vie ! Mais ne vous asseyez pas pour discuter. Plutôt que de la voir comme une créature effrayante avec du poil au menton et des doigts osseux, essayez de la voir comme la plus gentille Vieille Femme que vous ayez jamais eu la chance de rencontrer. Elle vous connaît très bien. En tant qu’enfants de la Terre, nous, les humains, nous sommes les être les moins disposés à nous joindre dans la danse de la Vie, mais les joies de la Vie et de la mortalité sont notre droit et notre héritage. 

Confiez vos peurs à la Vieille Femme, Elle les a toutes entendues. Que vous soyez dans la peur de perdre un monde de sensation et de couleur, dans la peur de non-existence, de perdre ceux qu’on aime et qui dépendent de nous, dans la curiosité sur la façon dont va tourner l’histoire dans les quelques prochains millions d’années, sortez-les de votre coeur. J’adore écrire, ainsi, pour moi, l’écriture est un très bon moyen d’exprimer les choses. Peut-être que pour vous cela peut être une chanson, une  conversation, une danse ou une expression artistique. Nommer vos peurs est la façon la plus sûre de réduire leur emprise sur vous. Puis, servez vous un autre verre, et puisque vous êtes toujours vivant, dites à la Vieille Femme que vous faites de votre mieux ici et maintenant, ou de quelle façon vous voudriez vivre, afin de faire le meilleur usage de votre temps dans cette vie.

Quelques façons de célébrer la Saison :
Commencez par observer cette saison en faisant de grandes promenades en extérieur. Faites de ces  romenades des  méditations en mouvement où vous évacuez toutes les contrariétés et le stress de votre vie active, quotidienne ; immergez vos pensées dans les changements dus à la saison. Notez les modifications des feuilles, l’odeur du sol et le ressenti de l’air. Recueillez certains de ces changements sous la forme de feuilles, graines et noix colorées, ou encore des pierres ou des brindilles sèches qui prennent l’apparence de doigts osseux de sorcière. Rapportez ces objets à la maison et utilisez-les pour ériger votre autel de Samhain. Je donne à ceci le nom d’autel, mais si le terme vous dérange, disposez sur le dessus d’une table les objets par lesquels vous pourrez reconnaître les changements des saisons, l’amour que vous ressentez pour la famille, les amis, et les ancêtres qui nous ont précédés. C’est un endroit où vous pouvez vous sentir proche de ceux qui nous ont quitté, peut-être pour leur dire des choses qui n’ont pas été dites quand ils étaient vivants, ou pour écouter une guidance. Cette saison nous rapproche de ceux que nous avons aimés et qui sont morts, et simultanément elle nous fait penser à notre propre mortalité. Cette saison est partagée par le cycle lunaire de Ngetal (Genêt) et de Straif (Prunellier), les deux contribuant à notre compréhension du mystère de la Vie-Mort-Vie.

La poupée avec une pomme pour tête : la tête de pomme que vous avez commencé à faire sécher après la Pleine Lune de Quert devrait avoir maintenant l’apparence d’une vieille femme ou d’un vieil homme tout desséché. Décidez duquel vous voulez, faites un corps en ficelle, couvrez le bandes de tissus pour entourer tout le corps, puis utilisez des petits morceaux de tissu pour fabriquer des vêtements à votre Vieille Femme ou Sage. Une fois finie, la poupée doit avoir environ 25 à 30 cm de haut. J’ai essayé de faire des mains et des pieds avec des pommes séchées, mais j’ai trouvé qu’il était plus facile de les faire avec de la pâte à modeler. Si vous le voulez, dédiez votre vieille femme ou votre vieil homme sage à la vie de vos ancêtres. Gardez la dans un endroit frais, au sec et cette Grand-Mère ou ce Grand-Père restera ainsi pendant plusieurs années ; et quand il sera moisi, il pourra être enterré dehors. En Anglais, «hornbeam» (le Charme) signifie bois (beam) dur (hard). En Français, on le nomme le Charme, ce mot ayant pour origine deux mots celtiques, «Car» (bois) et «Pin» (tête).

Dans le passé, son bois était largement utilisé pour les objets utilitaires comme les manches d’outils, les jougs des boeufs, les chaises et les cerceaux des tonneaux. Cet arbre était bien connu de nos aïeux qui vivaient à l’époque pré-industrielle. A Samhain, nous puisons dans ce qui était avant nous : la connaissance de nos ancêtres. De la même façon qu’Imbolc,  Samhain se rapporte aux métiers artisans. Connaissez-vous la  vie de vos grands-parents et arrière grands-parents ? Tâchez de découvrir quelque chose sur leur vie, leur travail, leurs passions et leurs passe-temps. Peut-être possédez-vous un talent artistique latent qui attend d’être découvert ?

Pour aller plus loin, quelques lectures et ressources :
Danaher Kevin. The Year of Ireland (l’Année de l’Irlande). 1972 Dublin, aux editions Mercier Press.
Simos Miriam “Starhawk”. Earth Path (le Chemin de la Terre). Harper San Francisco 2004 (le Don des Ancêtres, chapitre 4)
Plantes pour un Futur, http://www.pfaf.org/ sur l’utilisation médicinale du Charme commun.

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