Les hommes ne le savent peut-être pas,
mais ce dont la plupart des femmes préfèrent parler entre elles, ce n’est pas
d’eux ; c’est de leur mère. Tant et tant de confidences chuchotées entre
filles, entre adolescentes, entre femmes adultes, entre mères, entre
grand-mères même, tournent autour des faits et des dits de leurs mères. C’est
que le sujet est un universel féminin. Certes, les femmes ne deviennent pas
toutes mères, et les mères n’ont pas toutes des filles, mais toutes les femmes ont
une mère, et même, parfois, plusieurs "mamans" (qui peuvent d’ailleurs
être des hommes, puisque ce terme désigne une fonction et non une place
généalogique).
S’interroger sur la relation mère-fille
est donc le lot de toutes les femmes à un moment ou à un autre de leur vie,
voire toute leur vie ; c’est aussi, qu’ils le veuillent ou non, celui des
hommes, observateurs ou impliqués dans cette relation, parfois activement,
parfois à leur corps défendant, si même ils n’occupent pas – à leur insu ou en
toute clarté – une position maternelle vis-à-vis de leur femme, ou de leur
fille.
Dans un article consacré aux différentes
versions du Petit Chaperon Rouge, l’anthropologue Yvonne Verdier montrait que
les versions écrites qui nous sont parvenues (celles de Perrault et de Grimm)
opèrent d’étranges déplacements par rapport à la tradition orale, telle qu’elle
se transmettait de personne à personne dans les foyers populaires d’autrefois.
Dans les versions orales, ce n’est pas le loup qui est l’interlocuteur
principal de la petite fille, mais la grand-mère ; ce ne sont pas les
hommes qui menacent en priorité le monde féminin, mais les femmes, qui se
dévorent entre elles ; et ce n’est plus la confrontation avec la sexualité
masculine que symbolise le récit, mais c’st l’initiation aux âges successifs de
la vie d’une femme, incarnés par la fille, la mère, la grand-mère.
L’aventure de la petite fille n’est pas
tant la découverte de la sexualité, au risque du vil, que l’affirmation de son
identité de femme, au risque de la rivalité, scandée par l’apprentissage
progressif des savoir-faire féminins.
Au terme de cette subtile analyse,
l’auteur s’interroge sur le succès de la version savante, celle qui privilégie
"les relations de séduction entre le loup et la petite fille" avec
pour fonction d’avenir : "Petites filles, méfiez-vous du loup".
Cette version a fini par occulter la version populaire, insistant sur les
"fonctions féminines" et "porteuse d’une tout autre
morale : "Grand-mères, méfiez-vous de vos petites filles" !
Ce quadruple déplacement – de l’écrit à
l’oral, du savant au populaire, du masculin au féminin, et d’une problématique
de la sexualité à une problématique de l’identité – permet de mettre en évidence
l’importance de l’enchaînement des places, de génération en génération, ainsi
que la dimension critique des rapports mère-fille dans la transmission des
rôles et la construction des identités. Ainsi, se trouve dessiné le cadre d’une
recherche : comment apparaissent les rapports mère-fille, dans tous leurs
aspects et à tous les âges, dès lors qu’on s’éloigne des problématiques
savantes sur la littérature et des interrogations centrées sur une vision
masculine ou non sexuée ? Et en quoi sont-ils spécifiques, c’est à dire
non réductibles aux rapports parents-enfants en général ?
Issu du livre Mères-Filles une relation à Trois aux éditions Albin Michel
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