Thérapeute et psychanalyste transpersonnelle, de
récentes expériences d’accompagnement m’amènent depuis peu à m’interroger sur
l’identité féminine et sur ce qui se joue dans l’intimité homme-femme. Tandis
que je méditais les sujets proposés par Rêve de Femmes pour ce numéro automnal,
une pensée jaillit des entrailles de ma psyché : derrière la mère qui sature,
c'est la femme qui crie sa rage d'être ignorée ! C’est la revanche de Lilith,
chassée du paradis pour avoir refusé de se soumettre à une condition féminine
imposée par un tiers.
Le mythe fait de Lilith la première femme. Parce
qu’elle exprime son désaccord quant à la position à adopter durant l’acte
sexuel, elle subit la colère divine et se voit remplacée par Eve, une créature
née de l’homme et destinée à devenir la mère de ses enfants. La morale
implicite de cette histoire serait que Dieu a voulu la femme pour servir
l’homme et lui donner descendance, il serait donc de son devoir et de sa
responsabilité de lui obéir ; si elle cherchait à sortir de sa condition, elle
serait bannie. Si ce conflit des genres s’est actualisé historiquement à
travers un rapport de forces entre sociétés matriarcale et patriarcale
-engendrant des inégalités sexuelles - Il met également en scène deux figures
archaïques du féminin, ancêtres de la maman et de la putain.
Première dans le récit, Lilith l’est peut-être
aussi dans la structure de notre psyché. Elle serait alors la femme sauvage,
instinctive, le féminin brut et mystérieux, l’appel à l’expression libre de
soi-même, tandis qu’Eve apparaîtrait comme un féminin « domestiqué » par l’expérience
et la confrontation avec les normes de l’environnement. Si comme Lilith, nous
aspirons naturellement à épanouir notre identité authentique, nous nous
heurtons tôt ou tard aux conventions sociales dominantes (Adam). Se pose alors
à nous un choix douloureux : devons-nous privilégier le respect de son
intégrité (Lilith) ou la reconnaissance sécurisante du groupe (Eve) ? Autrement
dit, sommes-nous prêt(e)s à faire l’audacieux pari de l’autonomie en nous
émancipant du joug d’autrui, quelles qu’en soient les conséquences ?
Lorsque nous écoutons nos peurs et nous renions
pour épouser les désirs de l’autre (individu ou groupe), nous transmutons notre
Lilith intérieure en Eve. En tant que femmes, cela signifie que nous acceptons
implicitement de nous subordonner ou de sacrifier notre épanouissement au
profit de celui de nos maîtres (généralement le compagnon, l’enfant,
l’arbitraire de notre milieu…). Identifiées de gré ou de force à la fonction
maternelle, nous nous « dépersonnalisons » pour devenir instrument de bonheur,
de plaisir, et nous oublions l'essentiel : prendre soin de nous-mêmes afin de
mener à terme la réalisation de notre être. De mères en filles, de générations
en générations, nous nous faisons complices de conditionnements socioculturels
qui nous encouragent à n'exister qu'à travers notre dévouement à l'autre dans
une expiation où Lilith et Eve se rejoignent. N’oublions pas en effet que si
Lilith prend le risque de la marginalisation en suivant l’appel de sa vérité,
Eve se voit sévèrement punie le jour où elle « craque », prouvant ainsi qu’une
posture docile générée par la peur n’est pas tenable sur le long terme…
En juxtaposant plus qu’ils ne les opposent les
figures de Lilith et Eve, ce récit fondateur nous révèle que l’une ne va pas
sans l’autre car elles sont ombres et lumières de notre féminin blessé.
Transposé dans l’espace-temps de notre réalité ordinaire, ce duo s’incarne à
travers des mères terrorisées de voir partir leurs enfants, des femmes usées ou
frustrées d’avoir trop materné, chamboulées de découvrir qu’elles sont plus
qu’une épouse/mère de famille/femme d’intérieur/bonne fille… Etc. Lorsque notre
Eve intérieure sature, Lilith n’est jamais loin, opérant une percée
spectaculaire (divorce, adultère, changement radical de vie personnelle et
professionnelle) afin de nous faire prendre conscience de cette vérité
fondamentale : l’appel de la vie est plus fort que la peur. Résister à cet élan
c’est s’épuiser dans un combat contre la nature et contre soi-même, en se
faisant simultanément victime (Lilith) et bourreau (Eve). Unissons plutôt
Lilith et Eve pour guérir nos blessures, délestons-nous de nos peurs inutiles
et chevauchons le flux de la vie le cœur en joie.
Extrait de la revue REVE DE FEMMES http://www.revedefemmes.net/
Muriel Rojas Zamudio http://refletsmrz.blog4ever.com
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