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samedi 11 octobre 2014

LA REVANCHE DE LILITH



Thérapeute et psychanalyste transpersonnelle, de récentes expériences d’accompagnement m’amènent depuis peu à m’interroger sur l’identité féminine et sur ce qui se joue dans l’intimité homme-femme. Tandis que je méditais les sujets proposés par Rêve de Femmes pour ce numéro automnal, une pensée jaillit des entrailles de ma psyché : derrière la mère qui sature, c'est la femme qui crie sa rage d'être ignorée ! C’est la revanche de Lilith, chassée du paradis pour avoir refusé de se soumettre à une condition féminine imposée par un tiers.

Le mythe fait de Lilith la première femme. Parce qu’elle exprime son désaccord quant à la position à adopter durant l’acte sexuel, elle subit la colère divine et se voit remplacée par Eve, une créature née de l’homme et destinée à devenir la mère de ses enfants. La morale implicite de cette histoire serait que Dieu a voulu la femme pour servir l’homme et lui donner descendance, il serait donc de son devoir et de sa responsabilité de lui obéir ; si elle cherchait à sortir de sa condition, elle serait bannie. Si ce conflit des genres s’est actualisé historiquement à travers un rapport de forces entre sociétés matriarcale et patriarcale -engendrant des inégalités sexuelles - Il met également en scène deux figures archaïques du féminin, ancêtres de la maman et de la putain. 

Première dans le récit, Lilith l’est peut-être aussi dans la structure de notre psyché. Elle serait alors la femme sauvage, instinctive, le féminin brut et mystérieux, l’appel à l’expression libre de soi-même, tandis qu’Eve apparaîtrait comme un féminin « domestiqué » par l’expérience et la confrontation avec les normes de l’environnement. Si comme Lilith, nous aspirons naturellement à épanouir notre identité authentique, nous nous heurtons tôt ou tard aux conventions sociales dominantes (Adam). Se pose alors à nous un choix douloureux : devons-nous privilégier le respect de son intégrité (Lilith) ou la reconnaissance sécurisante du groupe (Eve) ? Autrement dit, sommes-nous prêt(e)s à faire l’audacieux pari de l’autonomie en nous émancipant du joug d’autrui, quelles qu’en soient les conséquences ?

Lorsque nous écoutons nos peurs et nous renions pour épouser les désirs de l’autre (individu ou groupe), nous transmutons notre Lilith intérieure en Eve. En tant que femmes, cela signifie que nous acceptons implicitement de nous subordonner ou de sacrifier notre épanouissement au profit de celui de nos maîtres (généralement le compagnon, l’enfant, l’arbitraire de notre milieu…). Identifiées de gré ou de force à la fonction maternelle, nous nous « dépersonnalisons » pour devenir instrument de bonheur, de plaisir, et nous oublions l'essentiel : prendre soin de nous-mêmes afin de mener à terme la réalisation de notre être. De mères en filles, de générations en générations, nous nous faisons complices de conditionnements socioculturels qui nous encouragent à n'exister qu'à travers notre dévouement à l'autre dans une expiation où Lilith et Eve se rejoignent. N’oublions pas en effet que si Lilith prend le risque de la marginalisation en suivant l’appel de sa vérité, Eve se voit sévèrement punie le jour où elle « craque », prouvant ainsi qu’une posture docile générée par la peur n’est pas tenable sur le long terme…

En juxtaposant plus qu’ils ne les opposent les figures de Lilith et Eve, ce récit fondateur nous révèle que l’une ne va pas sans l’autre car elles sont ombres et lumières de notre féminin blessé. Transposé dans l’espace-temps de notre réalité ordinaire, ce duo s’incarne à travers des mères terrorisées de voir partir leurs enfants, des femmes usées ou frustrées d’avoir trop materné, chamboulées de découvrir qu’elles sont plus qu’une épouse/mère de famille/femme d’intérieur/bonne fille… Etc. Lorsque notre Eve intérieure sature, Lilith n’est jamais loin, opérant une percée spectaculaire (divorce, adultère, changement radical de vie personnelle et professionnelle) afin de nous faire prendre conscience de cette vérité fondamentale : l’appel de la vie est plus fort que la peur. Résister à cet élan c’est s’épuiser dans un combat contre la nature et contre soi-même, en se faisant simultanément victime (Lilith) et bourreau (Eve). Unissons plutôt Lilith et Eve pour guérir nos blessures, délestons-nous de nos peurs inutiles et chevauchons le flux de la vie le cœur en joie.


Extrait de la revue REVE DE FEMMES http://www.revedefemmes.net/
Muriel Rojas Zamudio http://refletsmrz.blog4ever.com 

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