Aux fondements de la
culture européenne : un déséquilibre masculin/féminin.
Le mythe d’Europe est, comme tous les grands mythes
fondateurs, constitué par la superposition de deux strates reflétant les deux
cultures qui se sont universellement succédées : l’antique culture de la
Grande Mère et de son consort symbolisé sous les traits du grand Taureau
fécondant, puis celle du Dieu Père qui est venue la supplanter par les armes
(premières guerres de l’histoire) en se présentant comme le Commencement. Ce mythe d’Europe
n’a été lu jusqu’ici que dans sa dernière strate, la plus récente, qui exprime
la perspective grecque patriarcale ; la première strate ou strate
originelle, concernant la culture de la Déesse, ayant été effacée.
C’est ainsi que le cœur du mythe, à savoir les
tribulations d’Europe enlevée sur le rivage de Tyr et violée par Zeus en Crète
où il l’a emmenée, s’avère mettre en scène, originellement, non pas la plaisante
« histoire d’amour » que l’on a présentée traditionnellement, mais la
grande révolution historique qu’a connue l’humanité aux âges du Bronze :
d’une culture du féminin sacralisé dans la « première Histoire »,
l’humanité est passée à la culture du féminin déchu et livré à l’homme, devenu
le guerrier conquérant de cette « deuxième histoire » qui est encore
la nôtre.
Le « dépoussiérage » de ce mythe permet de
saisir les causes de la violence contemporaine, issue de la désacralisation
conjointe du féminin de l’humain et de la Nature, intervenue voici plus ou
moins 5000 ans, c’est-à-dire hier au regard d’une aventure humaine vieille peu
ou prou de 2 millions d’années. Si, abandonnant l’optique patriarcale univoque, on perçoit le viol
d’Europe comme l’équivalent de la chute de l’Ame, et le triomphe de Zeus comme
le triomphe de la Matière et de la force brute, on est alors à même de
comprendre l’essence des sociétés modernes où l’équilibre féminin/masculin a
été détruit et où la violence est allée de pair avec un matérialisme porteur de
mort. Une trilogie d’exploration de la culture universelle !
« Jésus et les Femmes » « Avant les Dieux,
la Mère Universelle » « Le Viol d’Europe ou le féminin bafoué »
forment une œuvre de redécouverte de la culture néolithique qui a précédé
l’émergence de l’ordre patriarcal. Cette trilogie qui commence en Mésopotamie,
sur le territoire de Sumer (correspondant en gros à l’Irak contemporain) d’où
sont originaires les mythes les plus anciens déchiffrés à ce jour, pour se poursuivre
en Grèce, en Egypte, au Moyen Orient, en Inde, sans oublier l’Europe. On y
découvre que la culture patriarcale conquérante, c’est-à-dire guerrière, étayée
sur les valeurs matérielles d’extension des territoires, d’accumulation des
biens et de compétitivité, n’a pas toujours existé mais qu’elle est au
contraire récente au regard de la longue culture qui l’a universellement
précédée, organisée autour de la notion de divin féminin, et qu’elle a fini par
submerger après une suite de revers.
Il est traditionnel de
présenter cette culture patriarcale, dernière en date, comme la seule digne
d’attention car elle représenterait le « progrès » accompli sur des
temps antérieurs de « chaos ». Ce que révèlent ces
trois livres, c’est que bien au contraire, l’émergence de l’ordre patriarcal
conquérant, venu s’installer militairement (premières guerres de l’histoire)
par-dessus la culture structurée autour de la Grande Déesse, Mère divine
universelle, s’est accompagnée, dans toutes les zones géographiques confondues,
de temps de chaos guerrier, véritable régression culturelle à différents
niveaux. Les mythes de Sumer témoignent du fait que cette « première
culture », aux temps du divin féminin, loin de limiter les actions et
comportements humains à la seule matérialité, évoluait dans un monde symbolique
qui prenait en compte la dimension spirituelle de l’humain et du monde. On
découvre que l’amour, envisagé comme l’union entre les deux grands principes
féminin et masculin, était sacralisé comme l’étaient aussi les arts -chants,
danses, musique, représentations symboliques dessinées ou sculptées…- qui
tenaient une place d’importance dans la vie sociale. On y apprend pourquoi et
comment la culture guerrière postérieure, qui est toujours la nôtre et qui a
démonisé le féminin et chassé le spirituel (l’être et l’âme) de ses
préoccupations, pour se consacrer au monde matériel de l’avoir, a
progressivement réussi, presque partout, à effacer cette « première
culture » ou culture du féminin divin, en se faisant alors passer pour le
Commencement.
Cette trilogie met en
lumière le fait révolutionnaire que tous les grands mythes fondateurs
universels, premiers écrits organisés que nous a laissés l’humanité,
loin de n’être que des œuvres de pure imagination comme on l’a cru trop souvent,
représentent en réalité la voie royale vers la totalité de notre Histoire,
totalité de notre mémoire, car ils restituent dans leurs strates originelles
non aperçues jusqu’ici, l’histoire des temps anciens enfouis, c’est à dire
cette culture de la Déesse, dont l’histoire « officielle » désireuse
de promouvoir la culture patriarcale conquérante, a effacé la trace. On
découvre ainsi que le mythe n’est pas synonyme de « fable », mais
qu’il se révèle au contraire comme l’ultime gardien de notre première histoire
enfouie, histoire à laquelle la culture patriarcale s’avère avoir fait tant
d’emprunts… elle qui se présentait comme seul vecteur de
« civilisation ».
Dernière découverte
d’importance : ces trois livres mettent en lumière le fait que l’œuvre de démonisation
et d’occultation du rôle historique du « Grand féminin » -féminin
divinisé qui constituait le pivot de la culture au néolithique- entreprise par
les premières religions patriarcales, a été reprise et parachevée par la
religion du Dieu biblique, premier Dieu sans parèdre féminine de toute
l’histoire ; puis par le judéo-christianisme qui a fait dégénérer le
message du Jésus de la gnose, message dont le cœur était la réhabilitation du
féminin démonisé, dans un but de réconciliation de l’humain avec ses deux
moitiés, féminine masculine.
Françoise Gange, philosophe et ethno-sociologue, se
consacre depuis un quart de siècle à l’exploration des mythes, faisant
ressortir leur rapport étroit avec l’histoire vécue par l’humanité. Elle a
publié autour de ce thème divers essais et romans, et participé à des œuvres
collectives. Par ce nouveau livre intitulé Le Viol d’Europe ou le féminin
bafoué, elle poursuit l’œuvre de découverte ou plus exactement de
désoccultation, de notre première
mémoire, première culture, des temps où le
divin était féminin, commencée avec Avant les Dieux, la mère universelle et
Jésus et les Femmes. Aux Editions Alphée.
A lire : le viol
d’Europe ou le féminin bafoué.
Françoise Gange. Editions Alphée.
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