une sorcière : femme au chapeau pointu dans
les légendes, concoctant des potions étranges au dessus de son chaudron fumant,
tantôt bonne, tantôt Carabosse. Toujours une féminité étrange, mystérieuse
et dangereuse, avec un fumet d’archaïsme
et de recettes de bonnes femmes de nos terroirs.
Beaucoup
revendiquent encore, dans le cadre du paganisme, une certaine forme de cette
sorcière. Néo-baba cool sans avoir, en général, jamais connu ni les années 60,
ni les années 70 ; la femme sauvage qu’est la sorcière dans nos esprits erre
pieds nus de par les forêts et les landes, dans une harmonie avec la Mère et se
salissant plutôt à la boue qu’au bitume et à la pollution des villes.
Oui
mais voilà, les chiffres affichent actuellement pour la France un taux
voisinant les 77% de population urbaine. Les sorcières se seraient-elles donc
toutes retranchées dans les 23% de ruraux ? Voilà qui est peu probable, et qui
l’est nettement moins encore quand on connait un peu le visage des paganisants,
occultisants et autres wanabee amoureux et protecteurs de la nature, qui ont
tous leur PC, leur connexion ADSL et qui échangent régulièrement par le net
trucs et astuces pour bien remuer le chaudron et bien savoir enlever les
baskets pour mieux courir dans les forêts urbaines ou les parcs de centre
ville... Si si, c’est la vraie nature ! C’est ce qu’on enseigne aux enfants
dans certaines écoles. Aussi discutable que ce genre d’allégation puisse
paraître, c’est un fait, pour certains, la nature peut très bien se trouver entre
deux pots d’échappement. Ma foi, tant mieux, c’est du CO2 dont se nourrissent
les plantes. Comme on les aime, dans les grandes villes ! Comme on les nourrit
bien ! C’est-y pas beau tout ça ?
Quoiqu’il
en soit, cette réalité est de plus en plus appelée à affecter notre image de la
sorcière traditionnelle. Nombreuses sont les méditations, dans la tradition
dianique, invitant à entrer en contact avec notre sorcière intérieure afin de
la nourrir et de lui permettre de se développer librement, hors des carcans et
des préjugés. Après une certaine période où j’étais plus tournée vers la
prêtresse en moi, signe de nécessité des temps de dévouement, de sacrifice et
de don de soi, une sorte de balance interne m’indiqua clairement qu’il était
temps de revenir à la sorcière, de la réclamer et de me la réapproprier.
Ironiquement, c’est Aradia, celle que je considère comme «sans Histoire» que je
choisis comme guide, cette année. Aradia, la sorcière ancienne et terriblement
moderne. J’ai relu le premier chapitre de Gospel of Witches de Leland, et tout
au long de la lecture, je voyais les gratte-ciels, les voitures, les métros et
les trams, et nous tous, les esclaves, les pauvres englués dans les marasmes
d’un système économique en crise. Des citadins qui doivent travailler dur
souvent pout une maigre pitance, travailler comme des forcenés pour des
maîtres, des seigneurs, qui nous mènent au fouet et nous considèrent avec
condescendance comme la main d’œuvre nécessaire, des machines qu’il convient de
satisfaire juste assez pour éviter que leur pouvoir ne se trouve mis en danger
par de justes rébellions. Aucune image pseudo-médiévalisante ou fantaisiste ne
me vint, rien que la très crue réalité, celle que nous expérimentons dans le
quotidien, celle que nous voyons à la télé ou que nous lisons dans les
journaux.
Je suis
donc passée à cette fameuse méditation, visant à trouver cette sorcière
intérieure, faire le point avec elle, pour donner un nouveau souffle, un
nouveau départ. Et ma sorcière n’était pas penchée sur un chaudron, ma sorcière
n’était pas nue dans la nature. Ma sorcière était une business woman dans un
bureau de centre d’affaires. Une femme de pouvoir, qui a trimé pour en arriver
là, qui a dû prouver sa valeur dans un monde
d’hommes pétris encore de préjugés, malgré les années passées depuis la
libération de la femme. Une business witch en veste et chemise, avec pantalon
noir, comme toute bonne femme d’affaires. Elle avait gagné son pouvoir dans ce
monde il n’y a pas si longtemps encore réservé aux hommes, et pourtant, elle
semblait enfermée dans ce bureau qui aurait étouffé le premier claustrophobe
venu. Tout était artificiel, l’atmosphère était dénuée de tout sentiment,
c’était juste un vrai bureau impersonnel aseptisé, qui plus est, un bureau
«open space». L’endroit idéal où se dessécher. Ainsi, c’était donc cela, notre
victoire ? Notre droit de nous assécher dans un monde de requins et d’y
participer pleinement, transformant les femmes en créatures pires parfois que
les modèles masculins eux-mêmes ?
Mais non,
en fait, bien qu’à l’étroit, ma sorcière avait, au coin des lèvres, un petit
sourire malicieux. Elle cachait un bras derrière son dos, et de ses pieds
s’enfonçaient dans le sol bétonné des racines capables de trouver le chemin
jusqu’à la terre noire nourricière. Que cachait donc ma sorcière moderne ? Il
fut évident qu’elle cachait là son réel pouvoir, celui qu’elle ne peut encore
se permettre de révéler à la face d’un tel monde dont elle a accepté les règles
pour réussir. Ses armes sont des signes, des mots de pouvoir, un regard, des
connaissances cachées derrière ce sourire mutin, son contact inchangé à la
terre où qu’elle soit. Plus encore, ce contact avec les forces urbaines qui
existent au même titre que celles que l’on trouve dans la campagne, le contact
des champs électriques, des vibrations, des connexions. Tout ce que l’on doit
connaître et contrôler si l’on ne veut pas en être la victime. Tout ce que l’on
peut apprendre à aimer aussi, tout comme on se prend d’affection pour le vilain
petit canard qui semble inutile et laid. Plus que jamais, elle est sorcière et
mène son dur combat pour la liberté. Pour la liberté d’exister dans un système
qu’elle n’a pas choisi mais qu’elle refuse de subir, qu’elle refuse tout autant
de fuir. La sorcière est de ce monde, mais d’un monde imaginé qui n’exista
jamais et n’existera jamais. La sorcière agit dans l’ici et maintenant. Elle
prend ce qu’on veut bien lui tendre pour chercher le moyen de le transformer en
or. Et si on ne lui tend pas, elle réclame. Et si malgré tout, on ne lui donne
pas ?... Eh bien baste ! La sorcière prend. Depuis quand Aradia demande-t-elle
l’autorisation ?
Source : Revue Wicane
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