Par Thomas de Cauzons
Il est
difficile de préciser, d’un trait, l’idée attachée aux mots de sorcellerie et
de magie. Trois choses distinctes sont en effet réunies dans la conception de
l’idée magique, telle que les siècles l’ont formée. On y perçoit nettement, dès
les origines, la prédiction de l’avenir par des procédés divers : étude des
astres, des victimes égorgées, du vol des oiseaux, explication des songes,
tirage des sorts, et bien d’autres choses encore. Le mot de magie rappelle
encore des prodiges opérés, qui semblaient dépasser les forces naturelles, et,
le plus souvent, surtout dans les époques chrétiennes, devaient produire un
effet néfaste, bien que la méchanceté ne fut pas essentielle aux miracles
antiques. Enfin, dans le sorcier, nous voyons, d’après les souvenirs du Moyen-
Age, un homme ayant des rapports avec les démons, adorant les diables, se
vouant à eux, jouissant sur la terre du pouvoir de Satan. Prédiction, prodiges,
culte de Satan ou, en général, des esprits, tels sont les caractères principaux
de ce qui pourrait s’appeler une religion, un art ou une science, suivant le
point de vue considéré, mais a pris ou reçu tout simplement la dénomination de
magie et, plus tard, celle de sorcellerie beaucoup plus générale.
Ces deux termes employés
souvent comme synonymes, ont cependant des étymologies bien différentes : la
sorcellerie désignant spécialement la divination par le sort ; et la magie, la
doctrine et la puissance des mages ou prêtres de la religion des Perses.
Comment, venant de points si éloignés, ces expressions en sont venues à se confondre, est une
question résolue déjà par bien des écrivains. Il suffira de rappeler que les
prêtres de l’ancienne religion assyrienne ou chaldéenne, depuis longtemps
observateurs du ciel et possesseurs de bon nombre de données astronomiques,
avaient cru apercevoir, ou prétendaient avoir constaté une certaine relation
entre les mouvements des étoiles et les événements de la terre. Une fois qu’on
le crut autour d’eux, leur science d’astrologues ne leur attribua pas moins de
vénération que leurs connaissances sidérales, peut-être plus de profit. Aussi,
quand les conquêtes de Cyrus eurent mis fin au grand empire de Babylone et que
la religion des Perses pénétra avec ses prêtres sur les bords de l’Euphrate,
les prêtres persans ou mages ne manquèrent pas de joindre les pratiques
chaldéennes honorifiques et lucratives aux rites plus spiritualistes peut-être
de la religion victorieuse.
Depuis lors, à leur nom,
s’attacha, comme à celui des Chaldéens, l’idée de devins par l’étude des astres,
puis de devins en général, et les sorciers ou devins par le sort se trouvèrent
leurs confrères, faciles à confondre, comme s’occupant avec eux de la
révélation de l’avenir. Sorciers et mages se rencontrèrent donc sur le terrain commun
de la divination ; ils arrivèrent à une ressemblance à peu près complète, quand
on leur attribua, aux uns et aux autres, le pouvoir de faire des prodiges par
l’invocation des dieux ou des démons, unie à
l’accomplissement de certains rites.
Déjà les vieux mages de la
Perse passaient pour d’habiles thaumaturges: on leur reconnaissait, entre
autres, le don de faire descendre sur leurs sacrifices le feu céleste. De plus,
l’ancienne croyance zoroastrienne aux deux principes opposés du bien et du mal,
- personnifiés dans Ormuzd et Ahriman, entourés tous deux de génies classifiés,
niais opposés, représentant les puissances ou vertus de l’Etre infini, en même
temps que les formes solaires, les phénomènes naturels et les forces vivantes
de la nature, — avait naturellement conduit à la création de divers rites pour
s’assurer la protection des bons esprits et éloigner les mauvais. Il en était
résulté une liturgie composée d’enchantements et d’évocations, qui se concilia
fort bien avec les pratiques analogues de la Chaldée et assura à la magie,
science des mages, le caractère spécial d’une religion surtout rituelle,
s’adressant aux dieux secondaires, bons ou mauvais, mais principalement aux
seconds, et sollicitant d’eux l’octroi d’une faveur ou l’apaisement de leur
colère.
Les mages se
transformèrent ainsi en magiciens, d’autant plus que les vicissitudes
politiques les mirent en rapport avec les prêtres de l’Egypte, comme eux,
astronomes et astrologues ; comme eux, médecins, alchimistes ; supposant comme
eux une relation entre les êtres de la terre, ceux du ciel sidéral et les
divinités invisibles bonnes ou mauvaises. Au contact de ces diverses
civilisations perses, chaldéennes, égyptiennes, se constitua une sorte de
science occulte réservée à des initiés, mais grandement redoutée du vulgaire,
soit qu’elle se servit de secrets naturels ou extra-naturels connus de ses
adeptes, soit qu’elle agit seulement sur l’imagination des mortels, on lui
attribua peu à peu tous les maux de l’humanité. A quel moment donc ces
magiciens, déjà possesseurs de pas mal de noms, reçurent-ils encore celui de
sorciers ? Il n’est pas facile de le dire. Dans une loi célèbre où l’empereur
Constance menace de mort les devins et les mages, il ne prononce pas le mot de
sorciers, quoique nous remarquions, dans le texte de son édit, bien des lignes
caractéristiques de la sorcellerie future « Que personne, dit l’empereur, ne
consulte un auspice ou un mathématicien, que nul n’aille trouver le devin.
Silence aux déclarations perverses des augures et des prophètes. Que les Chaldéehs,
les mages et autres individus que le vulgaire appelle des malfaiteurs
(maleficos) à cause de la grandeur de leurs forfaits, ne tentent rien de ce
genre. Silence perpétuel à toute curiosité de l’avenir. Car terrassé du glaive
vengeur, quiconque désobéira sera frappé de la peine capitale».
Au milieu du IV° siècle
par conséquent, le mot de sorcier ne paraît pas encore synonyme de magicien. Il
en est encore de même au milieu du siècle suivant, si nous nous en rapportons
aux statuts d’un concile tenu en Irlande, vers l’an 150. Dans ses canons 14 et
16, il inflige en effet une pénitence au chrétien qui consulte les haruspice à
la mode païenne, ou croit aux consultations des miroirs par les devineresses,
mais il ne prononce pas encore le terme de sorcier. En revanche, à la fin du
VI° siècle, une décision d’un concile de Narbonne en 589, canon 14, punit de
l’excommunication et d’une amende les devins qu’on appelait « carages » ou
sorciers, personnages que d’autres documents, presque contemporains, tels que
la Vie de Si Eloi par St-Ouen (+648), les Lettres de St Grégoire I pape,
flétrissent comme des adeptes de superstitions païennes, semblables aux haruspices, aux enchanteurs,
aux devins, aux fabricants de maléfices. Nous pouvons donc reporter au courant
du VI° siècle la création du mot « sorcier » et son identification aux autres
devins. L’invention du mot sorcier avait suivi fort tard, comme on le voit, la découverte des pratiques
magiques, sans leur apporter des connaissances ni des procédés nouveaux. Suivant
l’usage presque général depuis le haut Moyen- Age, nous considérerons donc
comme synonymes les termes de sorcellerie et de magie, de sorciers et de
magiciens. Sans doute, certains ailleurs ont voulu mettre quelque différence entre eux, ont tenté d’établir
une ligne de démarcation entre la sorcellerie ou divination et la magie,
consistant en l’art de faire des prodiges à l’aide du démon ; peut-être, en
théorie, pourrait-on en effet concéder quelques distinctions subtiles que n’a
guère connues la manière de parler populaire ; aussi, en pratique, devins,
enchanteurs, sorciers, nécromans, magiciens et autres personnages de même
industrie, restent et resteront membres de la même confrérie.
Extrait
de La magie et la sorcellerie en France, Thomas de Cauzons
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