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vendredi 5 août 2016

Une lecture érotique de l’émouvant Cantique des cantiques



D’où vient donc cette si bien-nommée et tant célébrée dans ce texte sacré ?
De qui serait-elle née ? Celle qui se dit bien aimée.


Telle pourrait se poser la question à l’approche de cet étonnant poème biblique.


Cette âme n’étant ni rien ni d’autre que notre cher et intense désir venant des hauts du ciel. Cette origine : chef-d’œuvre de la matrice universelle. L’esprit, son amant, ne cessant de l’honorer à travers ce corps désiré, si aimable qu’il s’en trouve désirable.

Notre psyché cependant ne connaît d’autre miroir que le seul regard. Ce reflet tant attendu où peut-être pourrait-elle se voir. Au risque, ô désespoir, d’un possible mirage. Car si le plaisir est seul, le désir est deux. Le mythe d’Éros et de Psyché le confirme : l’amour ne peut se regarder, car c’est déjà le posséder. Le fameux péché originel, cette « chute » au jardin d’Eden que fut la possession mutuelle d’Adam et Ève. C’est là toute l’ambiguïté de la relation amoureuse.

Yad’o en hébreu signifie à la fois « connaissance » et « amour » . Il est alors possible de respirer la vérité. « Connaître » l’autre, c’est soulever les voiles de son âme, déshabillée du doute et de la culpabilité. La honte de cette nudité, serpent maudit de la sexualité, est désormais lavée des brumeuses contorsions de la moralité, insupportable réalité.

« Ce fulgurant éclair jaillissant du vivant » vient d’éclore de l’être-amant où l’être-aimé, enfin, s’est extrait de l’être-séparé. 

Bienheureux « Chant des chants », ce « tantra biblique » que les Écritures me pardonnent, véritable héros sauvé des eaux de l’oubli pour s’être glissé, codé, cheminant de l’Égypte jusqu’en Galilée, vers bien d’autres destinées. Courageux honneur à la splendeur de l’accouplement mystique des corps embaumés, fleurant l’encens et le myrte.

J’ai grappillé les rimes et les mots, puis tout secoué, et recasé les unes et les autres dans un texte nouveau-né ! Puis, comme des amants, couché la mélodie dans le couffin du destin divin.



Plain-Chant


Dès l’antienne, le chantre s’adresse à la Lune. La psalmodie entre en épousailles.

« Qui est celle qui monte du désert… ? » 
L’enfance est encore vierge. Mais ho ! Cette sacrée vipère de l’Éros, kundalini grimpante à l’arbre du désir.
« … Appuyée sur son bien-aimé »
Son soleil interne, son besoin de lumière, sa complétude à côté d’elle, cet être qui lui ressemble.
« Sous le pommier qui se réveille… »
Cette saveur, ces senteurs, cette gustave magie de faim et de soif en son cœur. Faim et soif de toi.
« … Là où ta mère t’a enfantée »
Là où la vie s’est manifestée. Cette envie d’y retourner, ce lieu béni pour qui veut s’y inviter.
« Lève-toi, ma bien-aimée, car voilà l’hiver passé »
Cette virginité, cette chasteté ne peuvent durer. Le printemps semant sa générosité au gré de sa fleur préférée.
« … et notre vigne est en fleurs »
Toute cette humidité, cette rosée au creux de sa corolle. Le papillon peut s’y poser, et goûter le nectar sacré.
« Ses traits sont des traits de feu »
Qu’aucun fleuve ne saurait éteindre, dès que l’amant vient pour l’étreindre.
« Ses seins sont des faons parmi les lys »
Et sous sa chevelure ondulante, bien avant que ne souffle la brise, j’aurai gravi les monts où paissent les brebis.
« Sois semblable à une gazelle sur les montagnes du soleil »
L’instant est immortel et la flamme éternelle. Ses flancs s’inondant de la chaleur de l’astre couchant.
« Qui offrirait ses richesses ici bas, pour acheter cet amour-là ? »
Mais il ne vaut rien, je vous le dis, puisque l’amour n’a pas de prix.
« Protégeons-nous des ravageurs »
Qui sont ces prédateurs ? Ne cherchez nullement dehors, car ces méchants sont au-dedans. Cœur grignoté, bonheur piégé, prisonnier de sa propriété.
« Je suis noire et belle »
Terre profonde, prête à l’en-semée. Terre promise, je suis ton Moïse qui attend, patient, que l’oranger fleurisse.
« Viens ! Entre dans mon jardin, enivre-toi de mon parfum »
Oui, boire à la coupe irradiée, là où le vin n’a jamais manqué.
Et le Roi s’invita dans la chambre haute.
« Alors, je te louerai sur les cordes du luth »
Cœurs en chœur : votre honneur !


Daniel Testard
Quily, avril 2016

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