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dimanche 24 avril 2016

Les vraies différences hommes-femmes

En apparence, dans les rues, dans les transports en commun, sur les panneaux publicitaires, dans les films, à la télévision (à travers la série Mad Men, par exemple), chacun est à sa place : filles et garçons affichent ouvertement leurs « spécificités ». Décolletés plongeants, taille marquée, talons aiguilles, vernis rouge flamboyant pour elles ; barbe, moustache, pattes, pilosité et musculature bien apparentes pour eux. Tout est dans l’hypersexualisation. Comme si chacun des deux sexes avait décidé d’incarner « la mascarade féminine » et « le ridicule de la virilité », pour reprendre les formules du psychanalyste Jacques Lacan.



En forçant le trait aussi ostensiblement, que cherchons-nous à faire ? À nous persuader ? Serions-nous, hommes et femmes, au fond de nous-mêmes, travaillés par le doute ? Oui, assurent les psychanalystes et les sociologues. Si nous jouons la surenchère à l’extérieur, c’est que notre identité sexuelle nous apparaît de moins en moins claire dans notre for intérieur. « De quel sexe êtes-vous ? » interroge d’ailleurs en ce moment une exposition à Villeneuve-d’Ascq (Nord, jusqu’au 28 août 2011 au forum départemental des sciences). Le rééquilibrage issu de Mai 68, la mise en place progressive de l’égalité hommes-femmes nous ont psychiquement bouleversés, le plus souvent à notre insu. Le psychanalyste Alain Vanier, auteur notamment d’Une introduction à la psychanalyse (Armand Colin, “Psychologie”, 2010), se souvient : « Pendant longtemps, le rôle des hommes dans les sociétés bourgeoises capitalistes était de travailler pour tout le monde. Ils étaient certes soumis à la machine de production, mais cela leur donnait une position dominante dans la famille. 

Aujourd’hui, les femmes font partie intégrante du système économique. D’un côté, la prépondérance masculine n’est plus assurée, avec des hommes qui passent de plus en plus de temps à la maison, et, de l’autre, comme le rapport au travail se conçoit encore dans une perspective masculine, les femmes s’assujettissent parfois à un comportement “mâle”. Résultat : les rôles et les semblants sociaux sont de moins en moins affirmés. Ce qui a évidemment une incidence sur notre vie psychique. » Et nous sommes d’autant plus susceptibles de mélanger inconsciemment les genres que l’être humain a la particularité d’être psychiquement bisexuel.

Selon la psychanalyste Catherine Chabert, auteure de L’Amour de la différence (PUF, 2011), « Freud a démontré que chaque individu se construit en référence à des modèles à la fois féminins et masculins. Bien sûr que la différence physique existe, mais encore faut-il qu’elle soit admise psychiquement ». Les hommes gagnent aujourd’hui parfois moins d’argent que leur femme. Ils s’occupent des enfants, prennent soin de leur corps, ont entériné les exigences féminines d’une sexualité plus tendre, plus lente. Mais, estime Alain Vanier, ce n’est pas anodin : « Cette position plus “féminine” peut les renvoyer à la petite enfance et à leurs fantasmes de perte du pénis. Pour le garçon, certes, la fille peut être un garçon châtré : elle n’a pas de zizi, c’est donc qu’elle a été punie. Et ce petit garçon effrayé est susceptible de resurgir en chaque homme quand la sexualité entre en jeu. »

Du coup, pour certains, l’acte sexuel est désormais ressenti comme une menace. Beaucoup d’hommes vivent inconsciemment le rapport comme une offrande : ils donnent leur pénis à la femme, qui peut en jouir. Si cette dernière ne leur inspire pas confiance, si elle prend à leurs yeux l’apparence d’une femme ambitieuse au travail ou d’une séductrice tous azimuts, avide de sensations fortes, ils sont facilement susceptibles de battre en retraite. « Je suis fatigué de ces filles qui te considèrent comme de la chair à pâté, confie Martin, 32 ans. La semaine dernière, au cours d’une soirée, je me suis fait aborder par une fille magnifique, une actrice connue. Elle s’est déhanchée devant moi et m’a tranquillement chuchoté à l’oreille : “Tu viens ? J’ai envie de baiser.” J’ai poliment décliné. Elle ne s’est pas démontée, a sorti un stylo de son microsac et a écrit son numéro de portable sur mon poignet en susurrant : “Appelle-moi.” Ce que je n’ai évidemment pas fait ! » Que les femmes aient des désirs, c’est vrai depuis toujours. Mais des siècles de silence pesaient sur la possibilité effective de les manifester. Aujourd’hui, elles n’hésitent plus à exprimer ce dont elles ont envie. Et c’est là que la confusion se joue.

Des hommes objets 

Pour Alain Vanier, « les semblants masculins changent. Ils peuvent être inquiétants pour certains hommes. Ils se disent qu’ils devront satisfaire leur partenaire coûte que coûte, qu’ils peuvent même être comparés à d’autres. C’est extrêmement angoissant, car ils vivent la sexualité comme une performance ». La philosophe et psychanalyste Monique David-Ménard a, elle aussi, constaté une évolution : « Oui, les filles ont changé. Elles considèrent parfois dès l’adolescence que la séduction va les défendre de tous les risques et colmater les épreuves de l’enfance, et adoptent donc des conduites donjuanesques. Elles expérimentent alors une forme d’indistinction sentimentale qui les fait passer de l’amour à l’amitié, et réciproquement. »
Laura, 27 ans, aime garder ses amants comme amis : « Je me dis que je suis amoureuse, et puis je m’aperçois que ce n’est pas terrible au lit. Ou alors, je rencontre un garçon qui me plaît plus que celui avec lequel je suis. Quand je romps, parfois, ils font des histoires. Ils ne veulent plus me revoir. Je trouve que c’est dommage. » Nous sommes devenus tellement autocentrés que nous ne voulons plus choisir, plus manquer de rien. Coincés dans une quête d’autosatisfaction perpétuelle, nous voudrions tout avoir : les « avantages » de l’une et l’autre histoire, de l’un et l’autre genre. Car, explique Catherine Chabert, « la spirale narcissique consiste à vouloir avoir les deux sexes. Aujourd’hui, les différences sont comme gommées, abrasées. Nous voulons tout, alors que le manque est le moteur du désir ». Quand nous nous sentons complets tout seul, nous n’avons plus besoin de l’autre. Les sex-toys pourraient alors très bien faire l’affaire. La sexualité devient plus que jamais le lieu du nombrilisme. Nous nous regardons être aimés : « Comment m’aime-t-il ? », « M’aime-t-il “correctement” ? », « Suis-je à la hauteur ? » La jouissance se réduit à un effet miroir. Bien loin d’une tentative de rencontre avec l’autre.

« Les hommes ont fait leurs des caractéristiques dites féminines, comme la tendresse »




Questions à Philippe Brenot.

Tandis que des accusations d’abus sexuels portées contre des hommes politiques défraient l’actualité, le psychiatre et sexologue apporte son analyse.

Votre étude fait apparaître des comportements masculins à l’opposé des affaires étalées dans les médias : les hommes, seraient à la recherche de tendresse, respecteraient leur compagne… Comment expliquer cette distorsion ?

P.B. : Il n’y a pas de contradiction. Au cours des trente dernières années, nous en sommes venus à une progressive égalité hommes-femmes, et les premiers, dans leur majorité, ont fait leurs des caractéristiques dites féminines, comme la tendresse. Mais il restera toujours une part d’abuseurs, de pervers, qui ne contrôlent pas leurs pulsions et ne désirent pas les contrôler. En ce qui concerne les hommes de pouvoir, qu’il soit politique, économique ou professionnel, nous nous trouvons face à des personnalités narcissiques, ambitieuses, dotées d’une forte dynamique, donc d’une forte libido. Si ces personnalités sont fragiles, il existe un danger de transgression des limites, avec un sentiment d’impunité souvent encouragé par l’entourage qui accepte l’inacceptable.

Pensez-vous que les victimes puissent se sentir autorisées à parler après ces événements très médiatisés ? 

P.B. : Je suis certain que nous allons assister à une multiplication des plaintes. Jusqu’à présent, les femmes avaient peur des pressions. Or, la réaction scandalisée de l’opinion publique leur permet de se sentir mieux entendues et peut-être mieux soutenues.
 
Propos recueillis par Christilla Pellé-Douël 

Que reste-t-il de nos différences ?


Les années 1960 sont passées par là. « Les différences entre hommes et femmes en termes de sexualité sont aujourd’hui négligeables », constate la dernière grande synthèse d’études scientifiques américaine. Mais les uns comme les autres continueraient à se comporter de façon distincte dans deux domaines : la masturbation et les rapports occasionnels, que les hommes reconnaîtraient pratiquer plus fréquemment que les femmes. Celles-ci ont cependant, depuis les années 1990, une sexualité de plus en plus libre, souligne une autre étude, et leur comportement s’adapterait davantage que celui des hommes aux conditions socioculturelles et personnelles dans lesquelles elles évoluent. Les hommes resteraient plus centrés sur leurs désirs et leurs sensations initiales, tandis que les femmes seraient plus perméables à leur environnement.

 

A DÉCOUVRIR

Sources : Philippe Brenot vient de publier une enquête sur la sexualité masculine, Les Hommes, le Sexe et l’Amour (Les Arènes, 2011). A lire sur Psychologies.com : Les hommes en quête de tendresse

 

 « A meta-analytic review of research on gender differences in sexuality, 1993-2007 » de Jennifer L. Petersen et Janet Shibley Hyde, in Psychological Bulletin, janvier 2010 et « Gender differences in erotic plasticity : the female sex drive as socially flexible and responsive » de Roy F. Baumeister, in Psychological Bulletin, 2000.

 

Monique David-Ménard était l'invitée de notre tchat "Sexualité : existe-t-il encore des différences hommes/femmes ?". Elle a répondu à toutes vos questions.

 

A lire


Éloge des hasards dans la vie sexuelle de Monique David-Ménard. La vraie rencontre sexuelle n’a rien d’évident. Pourquoi les choses sont-elles si compliquées alors que le discours contemporain essaie de nous faire croire qu’il n’y a rien de plus simple ? (Hermann, 2011).

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