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dimanche 6 mars 2016

LA FEMME MULTIPLE


Plus on étudie les comportements de la femme, plus on s'aperçoit qu'ils sont multiformes, imprévisibles, charmants et détestables, uniques en un mot.

Nous allons tenter de décrire quelques aspects de la façon dont la femme actuelle donne vie à ses potentialités. Elle aspire en effet à une prise de conscience plus élevée. Elle est plus "éveillée" que sa mère - qui n'était que mère -, grâce aux études qu'il lui est donné de pouvoir faire aujourd'hui.

La femme actuelle veut se délivrer de ses complexes, qui sont les "moteurs" de la psyché et les transformer en centres énergétiques. Elle tentera d'abord pour cela, plus ou moins consciemment, - et de plus en plus consciemment, une fois entrée en analyse -, de développer ses quatre fonctions, telles que les entend la psychologie jungienne :

La Sensation (irrationnelle), par les "plaisirs de la vie", la nourriture, le sport, la sexualité, tout ce qui relève du corps dans sa "sagesse" ; - ce qui exclut tout hédonisme outrancier. Cette sensation sera toujours teintée d'affectivité, où la fonction Sentiment (raisonnable) entrera pour une bonne part, soutenue par la pratique d'un art ou les diverses activités sociales offertes aujourd'hui par l'exercice d'une profession. Il y aura à faire également effort pour stimuler la fonction Pensée (raisonnable), et cela, dès l'école, puis au long de la vie, par les lectures, la réflexion, les actes désintéressés (s'ils le sont vraiment). Enfin, l'Intuition (non raisonnable) incitera la femme à s'ouvrir à l'humain et à une certaine "connaissance" venue de l'être, et dépassant le simple savoir ! 



Son "centre" acquis, son mythe personnel découvert, elle ira - voyageuse immobile - au devant de la vraie vie, femme rayonnante, femme "ultime", dont l'"enthousiasme" (l'en-dieusement) pourra susciter une certaine jalousie.

Outre les fonctions, la femme peut incarner quatre formes ainsi réparties par Jung : Mère-Epouse, Hétaïre, Amazone et Médiale. Bien entendu, une deuxième forme peut s'ajouter parfois à la principale. La troisième et la quatrième forme restent souvent inconscientes. Aucune femme ne saurait répondre à une seule de ces formes dans son autonomie et sa "pureté" absolues ; tout s'y trouve en interdépendance ; mais comme pour les fonctions, une forme l'emporte toujours sur les autres.


Précisons encore que ces quatre formes correspondent à des aspects de l'anima chez l'homme . Il s'agit donc de "projections" de sa part.

La Mère : son esprit étant dirigé vers l'avenir, elle nourrira, éduquera, soignera, encouragera ses enfants. Son aspect négatif sera l'étouffement, l'appropriation de l'enfant, la difficulté de la défusion. Souvent possessive, la mère est celle qui n'aime guère voir s'égailler les poussins.



Exemple : Élisabeth téléphone chaque soir à chacun de ses cinq enfants pour leur raconter ce que font les autres. Elle se mêle de tout, mélange les cartes, perturbe les couples, les incite au divorce, brouille les enfants entre eux. Quand on lui reproche d'avoir dit ceci ou cela, elle répond : "Je n'ai jamais dit ça". Et elle est sincère : ce n'est pas elle qui a parlé, c'est l'animus en elle ; la preuve en est que dans ces moments-là, sa voix a changé.


L'Hétaïre s'attache à la psychologie de l'époux. Elle exige une relation dans la profondeur, voir dans le domaine spirituel. Elle ignore en elle l'aspect maternel ou le sacrifie sans peine ; mais elle peut aussi faire courir au couple qu'elle a devant elle et où elle va s'introduire le risque du divorce. Celui-ci obtenu, - non sans réticence de la part du mari, lequel est d'ailleurs fidèle moins par fidélité que par paresse -, le couple une fois brisé, elle ne veut plus de cet homme-là : "On ne pouvait vraiment par avoir confiance en lui !"



Exemple : Florence rencontre un homme marié, père de famille. Après avoir vécu avec lui de temps à autre (y compris plusieurs années sans vouloir s'encombrer de lui en permanence), elle l'oblige à acheter un appartement, à demander le divorce ; celui-ci enfin obtenu, elle lâche le divorcé ; - elle est déjà partie à la conquête d'un autre !


L'Amazone joue les indépendantes. Ce qui lui est facilité par des études lui permettant de gagner sa vie sans rien devoir à personne. La liberté financière est un acquis important, ajouté à la contraception ; - les deux facettes de la profonde révolution de notre époque. La liberté financière rend la femme libre de l'homme ; et la contraception la rend plus consciente, tout en renforçant l'inconscient, donc le doute et l'incertitude de son comportement, que l'avortement viendra accroître avec "la mauvaise conscience" : aucune femme n'en sort indemne.


L'Amazone est une rivale pour l'homme. Elle n'en a pas moins de l'ambition pour lui, qui cherche davantage a être reconnu par la société qu'à réussir l'amour du couple. Chez elle, l'animus est exigeant d'elle-même ; elle demande peu à l'homme, car elle n'ignore pas que celui-ci prend - conquiert - plus qu'il ne donne.


Exemple : Bête à concours, Andrée est chef d'entreprise. Elle "en veut". Elle pourrait aller jusqu'à dire comme Atrée : "Oderint, dum metuant !" ("Qu'ils me haïssent, pourvu qu'ils me craignent !"). Elle a le crâne rasé, s'est moralement fait couper les seins. Toute à sa volonté de puissance, sa devise est : Réussir. Matériellement, s'entend.


La Médiale : sa fonction Intuition prime les trois autres, qui peuvent s'estomper d'autant plus aisément que l'Intuition aspire fortement au spirituel. Elle plonge dans l'inconscient collectif, où vivent tous les possibles ; elle pressent, exprime ce qui flotte dans l'"air du temps" et qui se manifestera plus tard.


Exemple : Pendant la guerre de 39/45, Thérèse s'intéresse déjà à la philosophie indoue. En 1950, elle rencontre des Soufis, alors connus des seuls rares spécialistes de l'Islam. En 1960, elle se passionne pour l'alchimie spirituelle dont personne n'a encore entendu parler.
Quelle que soit la catégorie à laquelle appartient une femme, elle sera de nature plutôt extravertie ou plutôt introvertie.

L'Extravertie attend tout du dehors vers lequel elle se tourne incessamment. Elle parle plus qu'elle n'écrit : elle est verbomotrice. Elle a le contact facile ; il lui est nécessaire. Elle se plaît à tout ce qui relève de l'extérieur, quitte à verser dans le seul paraître, à s'en contenter. Cette attitude a besoin d'un correctif.

Voici un rêve : "Je suis chez moi, dit Françoise, dans la salle d'accueil ; mais ce chez moi est une auberge. Je me rends dans ma chambre ; une femme est couchée sur mon lit : 'Que faites-vous là ?', lui dis-je. - "Je viens vous protéger". Je n'en crois rien, je la gifle ; elle part en pleurant. Un petit garçon apparaît, puis une fillette aux mains sanglantes."

Ce rêve, plein d'enseignement, a aidé la rêveuse à transformer la vision qu'elle avait de sa vie et lui a soufflé la façon de s'y prendre. En effet, nous ne pouvons vivre tout le temps dans une auberge où passent sans cesse de nouveaux voyageurs, nous avons besoin d'intimité, où des amis choisis viennent à notre invitation, ou après s'être annoncés.


Rolande Biès  - 2002 Une et multiple, la femme chez C.G. Jung - 

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