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jeudi 5 février 2015

On s’identifie trop à son corps


« Il y a deux façons de vivre son corps, explique le psychanalyste J.-D. Nasio. Soit en l’oubliant, et là j’identifie mon corps à mon être et je me dis que “je suis mon corps” ; soit en pensant à lui, et là je tiens mon corps pour mon bien le plus précieux, et je me dis que “j’ai un corps”. »

Plus concrètement, cela signifie que lorsque nous ne faisons qu’un avec notre corps, nous ne pouvons pas nous dédoubler, et donc le prendre comme objet de soins. En revanche, si nous avons conscience d’avoir un corps, un « maître souverain », comme le définit le psychanalyste, qui a le pouvoir de prolonger ou d’arrêter notre vie, alors nous pouvons le traiter avec tous les égards qu’il mérite.

Mais prendre soin de soi n’est pas seulement une affaire entre soi et soi. Pour Robert Neuburger, psychiatre et psychothérapeute (auteur, notamment, des Territoires de l’intime, Odile Jacob, 2000), cette démarche n’a de sens que dans le cadre d’une relation. « L’être humain ne peut pas “se faire exister” par lui-même, il ne peut pas se passer de l’autre. C’est pourquoi on prend soin de soi non pour soi, mais en fonction du regard des autres. Pour préserver une appartenance. »

Si l’on ne se sent pas assez important, si l’on doute de sa valeur, si l’on n’a pas trouvé sa place, prendre soin de soi n’a pas de sens. « Après mon divorce, je me trouvais moche, sans intérêt, se souvient Agnès, 44 ans. Prendre soin de moi à cette époque, ça voulait dire aller chez le coiffeur pour que ma fille ait quand même une image positive de sa mère. C’est aussi pour elle que je mettais du rouge à lèvres. »




On a trop écouté papa et maman

Si du regard des autres dépend le regard que nous posons sur nous, c’est le regard parental qui, le premier, nous permet de développer une relation bienveillante – ou non – avec notre corps. « Savoir s’occuper de soi ou se négliger dépend à la fois de notre histoire personnelle et de notre éducation, analyse la psychothérapeute Michèle Freud (auteur de Mincir et se réconcilier avec soi, Albin Michel, 2003). La perception de soi est façonnée par des mots, des gestes et des regards perçus dans l’enfance.

Si cette expérience a été satisfaisante, nous pourrons construire une image saine de notre corps et une bonne estime de soi. Si ce n’est pas le cas, la relation au corps sera plus difficile, et on préférera oublier ce mal-aimé de différentes manières : mauvaise nourriture, surmenage, absence d’hygiène de vie, etc. »

A ces données de départ, souligne Michèle Freud, viennent s’ajouter les messages positifs ou négatifs transmis par notre éducation. « Ce conditionnement détermine nos comportements : ne pas oser prendre du temps pour soi sans culpabilité, considérer que s’occuper de soi est une perte de temps, une preuve d’égoïsme, associer repos et paresse… » Toutes ces croyances, plus ou moins conscientes, peuvent nous rendre sourds à nos besoins et freiner notre aspiration au mieux-être.

Evelyne, 36 ans, pose un regard à la fois envieux et un peu méprisant sur « celles qui se chouchoutent comme dans les magazines féminins ». « Des masques, des massages, du yoga…, quand travaillent-elles ? Je gère une entreprise d’informatique de vingt personnes, j’ai deux enfants, je n’ai vraiment pas le temps de me dorloter ! » Mais Evelyne n’est aveugle ni sur son histoire, ni sur la façon dont elle a dû s’imposer dans un milieu très masculin. Son père, ex-chef d’entreprise, l’a toujours considérée comme son « héritier ».

« Pas “héritière”, précise-t-elle en souriant. Chez nous, la valeur absolue, c’est le travail et la réussite sociale. Quand mes copines se pomponnaient pour faire la fête, je bossais pour préparer mon master aux Etats-Unis. Inutile de dire que le maquillage et les fringues, c’étaient les cadets de mes soucis ! Aujourd’hui pourtant, j’aimerais être plus douce avec moi, plus sensible et moins cérébrale, mais c’est trop tard, les mauvaises habitudes sont prises ! »
On pense qu’on ne le mérite pas
Des prétextes, nous en avons tous pour nous négliger en toute bonne foi. « Je n’ai pas le temps de m’occuper de moi », « J’ai mieux à faire que de me prélasser dans un institut », « Je n’ai pas les moyens de me chouchouter » sont les excuses boucliers que l’on met le plus souvent en avant. « La plus courante est : “Je n’ai pas le temps”, constate le psychothérapeute Gonzague Masquelier (directeur de l’Ecole parisienne de gestalt - EPG -, auteur de Vouloir sa vie, la gestalt-thérapie aujourd’hui, Retz, 1999). Evidemment, elle abrite des croyances bien ancrées, qu’il faut cerner puis démonter pour pouvoir neutraliser leur influence négative. »
Parmi celles-ci : « Je n’ai pas le droit de me faire plaisir », « Je ne mérite pas ces dépenses », « Ce ne sont pas des soins qui me rendront plus heureux »… Et chacune d’elles abrite de l’agressivité que l’on retourne contre soi, un état dépressif, ou encore des messages inconscients transmis de génération en génération. Laurène, 35 ans, a mesuré l’ampleur de son « verrouillage intérieur » le jour où elle a accepté de se faire masser par une amie. « Je me suis allongée en sous-vêtements, dans une lumière douce. Muriel a commencé à me masser très doucement… Je n’ai pas tenu cinq minutes, j’ai éclaté en sanglots. C’était trop : trop de douceur, trop de contact, je n’avais jamais connu ça ! Chez moi, on s’embrassait une fois par an, et encore… Toute cette dureté, cette sécheresse affective dont j’ai tant souffert sans m’en rendre compte sont remontées d’un seul coup, j’ai pleuré pendant une demi-heure sans pouvoir m’arrêter. »
On sent que ça peut faire mal
Pour Gonzague Masquelier, cette réaction n’a rien d’étonnant. Lorsque l’on s’est construit dans un environnement affectif rigide, la douceur, les attentions, le toucher ne nous sont pas seulement étrangers, ils représentent une menace pour notre équilibre. Pour ne pas remettre en question son éducation, donc risquer de faire chuter le parent de son piédestal, pour ne pas ébranler les stratégies de défense qui nous ont aidés à nous construire, nous verrouillons toutes les portes afin de continuer à nous traiter comme nous l’avons été.
« Prendre soin de soi peut également être douloureux ou impossible si c’est vécu comme une transgression, ajoute Michèle Freud. Lorsque l’on s’autorise à “aller” là où les parents se le sont interdit : se faire plaisir, prendre du temps pour soi, savoir s’écouter. Cette démarche n’est pas simple, cela demande de surmonter un sentiment de culpabilité pour sortir du schéma de répétition. » Difficile en effet de s’offrir une cure en thalasso ou une crème haut de gamme quand ses parents avaient du mal à joindre les deux bouts.
S’il est plus facile de prendre soin de soi lorsque l’on a appris à s’accepter, à s’aimer, il est aussi vrai qu’apprendre à se prodiguer des soins peut conduire à mieux s’accepter et à mieux se traiter. « Je ne crois pas aux grandes révolutions du jour au lendemain, poursuit Michèle Freud. C’est pourquoi je préconise toujours, et pour tous, la politique des petits pas, la seule qui puisse nous réconcilier en douceur avec notre corps, donc avec nous-même. »

Carole, 41 ans, a fait sa petite révolution l’année dernière. « Je ne prends plus mon petit déjeuner en famille, je quitte la maison quand tout le monde se réveille et je vais marcher. Au début, j’étais culpabilisée, mais maintenant, j’assume et je savoure chaque pas que je fais, seule et légère dans le petit matin. »

1 commentaire:

  1. Qui est l'auteur de cet article intéressant? J'aimerais le publier mais sans le nom de l'auteur....
    Merci pour tout ce que tu mets en ligne, le temps que tu y passes, et j'espère que tu auras pu vider un peu ta bibliothèque.
    Le manuscrit de Marie Madeleine est beaucoup lu et rediffusé: c'est un signe de progrès!
    Bisous et encore merci.
    Lydia

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