Voici
quelques années que le mot «mystère» fleurit allègrement sur les sites et
forums paganisants, en particulier dans le cadre du Féminin Sacré. Avant cela,
de mystère, on en faisait aussi pas mal au sein de la Wicca, mais ce mystère
restait intimement lié à l’initiation, et au fameux passage de la Charge de la
Déesse stipulant que le véritable mystère est de trouver la Déesse (et tout ce
qui va avec : magie, connaissance, communion divine, etc.) en soi et non en
dehors de soi.
Pour les
connaisseurs les plus avertis qui avaient lu Gardner (dans Witchcraft Today,
chapitre 7, The Witches and the Mysteries), ils avaient connaissance du lien
que ce dernier avait établi entre d’anciens cultes à mystères représentés sur
les murs de la Villa des Mystères à Pompéi, et la Wicca. Les hypothèses de
Gardner sur la fresque de la Villa des Mystères sont depuis longtemps dépassées
par la recherche archéologique et historique actuelle, mais l’intuition d’un
rapport entre Wicca et cultes à
mystères demeure.
Ainsi
coexistent dans un certain flou l’idée de cultes à mystères et de mystères
féminins, que beaucoup confondent faute d’une définition claire de ces deux
choses qui peuvent parfois se rejoindre, mais qui sont la plupart du temps bien
distinctes. Cette question avait été l’une des premières que j’avais dû me
poser lorsque j’ai abordé les recherches pour mon mémoire de master «Femmes et
cultes à mystères dans l’Italie de la Rome républicaine», étant donné que ce
sujet s’intéressait non pas aux mystères féminins, mais aux cultes à mystères,
mais qu’il concernait l’expérience féminine de ces cultes à mystères.
L’initiation
est donc le dévoilement de choses cachées, un point central séparant ce qu’il y
avait avant de ce qu’il y aurait après comme deux vies différentes ; le premier
pas sur un cheminement destiné à se prolonger longuement.
Les cultes à mystères
Voici un
extrait introductif de mon rapport de recherches, au moment où il fallait poser
la différence claire entre cultes à mystères et mystères féminins :
Si le lien
qui a pu exister entre les femmes et ce type de cultes doit être étudié, ceux-ci
ne sont pas pour autant obligatoirement strictement féminins, un culte à
mystères peut être un culte réservé aux femmes mais se détache bien des cultes
matronaux ordinaires [c’est à dire les mystères féminins et cultes réservés aux
femmes] ou des sacrifices faits par les femmes.
Le terme important ici est le mot
«mystères».
Contrairement
à ce que l’on pourrait penser, il ne s’agit apparemment pas de gestes ou de
cérémonies strictement secrètes, comportant des éléments extraordinaires et
insolites, puisque les thèmes de différents cultes à mystères semblent
largement connus de tous, et même plus, représentés très librement sans souci
apparent de secret ou, du moins, de secret absolu, ainsi l’exemple de la
fresque dionysiaque de la Villa des Mystères à Pompéi ou la connaissance de
certaines parties rituelles par des hommes du culte de Bona Dea, qui est
strictement féminin.
Par
ailleurs, les objets employés lors de ces rites et auxquels est rattaché tout
un symbolisme des mystères se révèlent être relativement communs. Le véritable
sens des mystères se révèle donc dans le déroulement de la cérémonie, le
symbolisme qui est donné aux différents objets de ces cultes ; et enfin, aux
paroles prononcées qui elles, étaient gardées secrètes et faisaient l’objet du serment
de ne rien divulguer de ces mystères.
Le culte à
mystères de même, ne saurait l’être sans un élément essentiel qui est
l’initiation. C’est lors de cette initiation que les objets, leur symbolisme et
les paroles sacrées sont divulgués à l’initié.
On reconnaît
généralement à l’initiation un caractère eschatologique ; ainsi si on essaie de
faire un comparatisme entre différents mystères, on retrouve certains éléments
mythiques d’un culte à l’autre, notamment le thème de la mort de la divinité
par démembrement puis sa renaissance (tel que c’est le cas dans les mystères de
Dionysos, ceux impliquant Osiris et Isis, dans les mystères de Demeter et
Perséphone également).
L’initiation rejoue tel un
théâtre sacré ces mythes qui aboutissent à l’apothéose et qui permet de placer
le nouvel initié sous la protection de la divinité, si ce n’est pas lui donner
accès à cette essence divine jusqu’à ce que les deux se confondent. Dès lors,
l’initié est garanti d’un sort meilleur dans l’au-delà promis par la divinité à
laquelle il s’est consacré. [...] Quoi qu’il en soit, il est significatif qu’il
n’y ait pas de mystères sans une certaine forme de mort et de renaissance de la
divinité, et par contagion, de l’initié.
Il ne faut par ailleurs pas se
borner à la seule explication eschatologique des mystères. Comme le rappelle J‑M. Pailler pour Bacchus, on retrouve dans les
bacchanales le désir d’un bonheur terrestre, et si les orphiques ont donné une
couleur mystique à Bacchus, la plus lointaine tradition remontant aux bacchantes
atteste d’un dieu porteur d’un bonheur dans l’ici et le maintenant, d’une
extase divine ponctuelle sans autre promesse pour l’au-delà.
Pour résumer, l’essentiel tient
en ce qu’il est célébré dans le secret, à l’abri des regards, en dehors de la
sphère publique, même lorsque le culte est reconnu publiquement, qu’il contient
nécessairement un ensemble de légendes fondatrices qui sont rejouées en faisant
appel à une gamme riche de symboles et que la condition d’accès est
l’initiation, acte qui rapproche le mythe de sa divinité et qui peut lui
assurer différents types de bienfaits : protection dans l’au-delà, bien-être et
prospérité terrestre, bonheur et extase immédiats.
Le culte à mystères recouvre
donc une réalité religieuse et mystique, et fonctionne comme un système
initiatique établi. Le rapport à l’initiation de la WICCA traditionnelle (ou
gardnérienne) est ici fortement visible, cette initiation répondant à la
plupart des critères du culte à mystères, à cela près que cette initiation n’a
pas tant pour but de fournir à l’initié un sauf-conduit pour l’au-delà
(quoiqu’il y ait la promesse de la renaissance avec ses proches aimés dans une
vie suivante) mais d’ouvrir les portes de la connaissance de la sorcellerie à
travers la connaissance de la Déesse (et du Dieu) en soi et en dehors de soi.
On se situe donc plus dans le
cadre du culte à mystères pourvoyant au bonheur immédiat sur terre.
Les mystères féminins
Les mystères féminins sont,
quant à eux, finalement plus faciles à définir : il s’agit de l’ensemble des
étapes physiologiques que vit la femme, à savoir la menstruation, la maternité,
la ménopause, mais aussi éventuellement le vécu d’une fausse couche ou d’un
avortement. La célébration de ces mystères consiste à honorer ces étapes de la
vie, y célébrer leur sacralité au sein de l’existence et les relier aux
représentations de la Triple Déesse.
Célébrer les mystères féminins,
c’est reconnaître la Déesse en chaque femme tout au long de son existence,
témoigner que chaque femme est la Déesse personnifiée et sa propre prêtresse.
Un exemple de réunion d’un culte à mystère avec des mystères féminins fut par
exemple les Cereres, un culte à mystères romain et inspiré de celui d’Eleusis,
à cela près que les mystères d’Eleusis étaient ouverts aux femmes comme aux
hommes, tandis que les Cereres étaient réservés aux femmes et célébraient le
lien filial entre Cérès et sa fille Proserpine, enlevée au royaume des morts
puis retrouvée.
En fin de compte, peu de cultes
à mystères furent également mystères féminins. Il n’en est pas différent
aujourd’hui encore, et Wicca et Féminin Sacré ne poursuivent pas les mêmes
buts, quand bien même beaucoup de wiccanes célèbrent pour elles-mêmes leurs mystères
féminins, les considérant comme complémentaires à leur vie spirituelle. La
seule tradition wiccane imbriquant les deux dans ses fondements reste la
tradition dianique, plus spécifiquement féminine, et qui a une relecture de
l’initiation sous un jour plus féminin, plus lié aux étapes de la vie des
femmes.
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