Se
responsabiliser autant que se décomplexer
Ma
démarche à travers cet article est double, et me tient particulièrement à coeur
: il s’agit d’une part d’établir un constat sur l’état de la pratique de la
sorcellerie au XXIè siècle. Mais pour que ce constat soit productif, je pense
qu’il faut également savoir en tirer des leçons pour notre pratique à venir.
Ainsi, à travers certains manques et certaines nécessités, j’espère pouvoir
vous aider à mieux appréhender des pratiques en constante évolution depuis
plusieurs siècles (millénaires), mais qui trouvent encore largement leur place
dans la vie d’un païen urbain de notre époque.
Plusieurs points
notamment méritent, selon moi, d’être étudiés : j’insisterai en particulier sur
la nécessité d’une certaine responsabilisation dans l’apprentissage, qui a
malheureusement tendance à faire défaut chez de nombreux novices.
Parallèlement, j’estime tout aussi important de se décomplexer vis-à-vis de
traditions parfois très anciennes afin de dépasser une rigidité trop souvent
improductive.
Un autre volet très
important pour moi réside dans la nécessité d’une appropriation de la pratique
magique, nécessité que je défends depuis longtemps. Car j’estime que, dans cet
univers comme dans d’autres, il est plus essentiel de tracer son propre chemin
que de suivre consciencieusement celui d’un autre qui, même s’il est
parfaitement bien tracé, ne pourra jamais nous satisfaire pleinement. Enfin, je
ne pouvais éviter une question très actuelle pour de nombreux païens, et qui
consiste à se demander si nous devons ou non vivre dans le secret quant à notre
foi et les «activités» qui en découlent.
SE RESPONSABILISER DANS L’apprentissage
Comme évoqué en introduction,
je partirai ici d’un constat : à savoir que l’on observe chez de nombreux
novices et de jeunes pratiquants un certain manque de rigueur dans
l’apprentissage de cette discipline pourtant complexe qu’est la sorcellerie.
Ce manque de rigueur
a une source récurrente : la hâte. Il faut dire que dès lors que l’on parle de
magie, on pense souvent à des solutions miracles, et de fait dans l’esprit des
gens, la magie est trop souvent l’ultime recours miracle, voire la solution de
facilité. Sauf que pour une solution de facilité, la magie est quand même bien
complexe, et trop de jeunes pratiquants se lançant à corps perdu dans une
action magique censée transformer leur vie sont à l’arrivée bien déçus par les
résultats qu’ils obtiennent : au mieux inexistants, au pire néfastes. Pour
remédier à ce problème, je crois qu’il convient de briser un mythe : la
sorcellerie n’est ni une solution miracle, ni une solution facile. J’irai même
plus loin en disant que bien souvent, parmi la multitude de solutions qui s’offrent
à vous face à un problème, le recours à la magie est peut-être la moins simple.
Après cela, certains
d’entre vous se demanderont alors peut-être à quoi peut bien servir de devoir
faire autant d’efforts pour une solution qui présente si peu de garanties
rationnelles et qui n’est pas estampillée du précieux tampon «scientifiquement
prouvé» ? Eh bien parce que la sorcellerie est avant tout le prolongement d’une
foi, de croyances multiples, bien plus qu’un simple produit censé avoir réponse
à tout.
A partir de là, ceux
qui désirent poursuivre dans cette voie doivent bien se rendre compte que ce
sont de longues années d’étude des correspondances, de pratique de la
méditation, d’entraînements à la visualisation, d’expériences souvent
infructueuses qui les attendent. Aujourd’hui la pratique de la sorcellerie est
ouverte et accessible à tout le monde, mais tout le monde n’est peut-être pas
prêt à fournir l’investissement en temps et en énergie que son apprentissage
demande. Je crois cependant qu’au final,
dès lors que cette pratique s’inscrit dans un véritable cheminement global,
cette rigueur nécessaire dans un apprentissage technique parfois laborieux
n’effraie pas grand monde. Dans le cas contraire, c’est peut-être un peu de
déception qui vous attend.
Se décomplexer dans la pratique
Pour autant, si
l’apprentissage des techniques et l’accumulation des connaissances nécessaires
peuvent être fastidieux, la pratique en elle-même est trop souvent auréolée
d’un caractère sacré, et provoque chez les novices un désir de tout (ou de
trop) «bien faire», souvent contre-productif. Ainsi, il me paraît indispensable
de démystifier une partie de cette pratique dont la rigidité entrave très
régulièrement un certain nombre de débutants pourtant très (trop?) impliqués. Il
est vrai que les techniques magiques découlant du néo-paganisme ou d’autres
courants prennent la plupart du temps leurs racines dans des millénaires de
traditions répétées. Mais ce que l’on observe malheureusement bien trop
souvent, c’est que ces millénaires de traditions, au lieu de servir de guides,
planent au final comme une ombre gigantesque au-dessus de nombreux novices,
tels des colosses fantomatiques qui se dressent pour interdire à certains
l’accès à ce sacro-saint temple qu’est la magie.
Je ne compte plus le
nombre de gens que j’ai vu paniqués à l’idée d’écrire avec autre chose qu’une
plume trempée dans une encre soigneusement préparée sur un parchemin 100%
naturel dès lors qu’il s’agit de pratiquer. Là est le paradoxe que je
souhaitais soulever, car ce sont souvent les mêmes qui négligent les
entraînements préparatoires et les connaissances évoqués plus hauts. On le
répète, «le mage dans le désert ne possède que son esprit». Alors certes, vous
n’êtes pas dans le désert, mais vous n’êtes pas non plus au XVème siècle, et
les outils d’hier ne sont plus forcément ceux d’aujourd’hui.
Et si l’acquisition
de connaissances et de véritables compétences est indispensable, les outils et
les dogmes ne sont que des catalyseurs, qui vous aident à canaliser l’énergie
dans un objectif précis, une béquille dont vous pouvez tout à fait changer la
forme à défaut de vous en passer. D’où la double nécessité de se
responsabiliser quant aux compétences à acquérir et de se décomplexer quant à
des dogmes dont l’ombre obscurcit trop souvent l’esprit de nombreux novices. Si
vous préférez utiliser un stylo et un bloc-notes plutôt qu’un parchemin et une
plume, rassurez-vous, vous ne subirez les foudres d’aucune divinité. Si tel ou
tel ingrédient d’un rituel que vous avez lu ne vous semble pas adapté,
remplacez-le. Si vous n’êtes pas à l’aise avec les phases de la lune, pratiquez
autrement.
Votre pratique,
aujourd’hui, vous en êtes les seuls maîtres, et cela m’amène au point suivant.
S’approprier sa pratique
J’ai souvent eu l’occasion
de voir de jeunes pratiquants désireux d’obtenir ou d’appliquer des rituels
préconçus, et presque angoissés à l’idée de ne pas pouvoir en réunir tous les
ingrédients, comme si la magie se résumait tout d’un coup à une recette de
cuisine : ça n’est ni si simple, ni si compliqué.
Il est important je
crois, dès lors que l’on souhaite se lancer dans la pratique de la magie, de
lire, abondamment. Pour autant les auteurs, si bons soient-ils, n’ont pas pour
vocation de remplacer votre cerveau, et je suis intimement convaincu que c’est
à partir du moment où nous sommes capables de nous passer de l’enseignement de
nos maîtres que nous devenons véritablement compétents : assimiler un livre, c’est apprendre à s’en
passer. Et cette idée est le maître mot de ce que je souhaiterais transmettre
ici.
En effet, votre
pratique de la magie doit se réfléchir, et se réfléchir par vous-même. Vous
devez l’expérimenter, longuement souvent, jusqu’à l’échec parfois, vous devez
la mûrir en tous les cas, et surtout en faire votre pratique propre. Car à
notre époque, la sorcellerie n’appartient plus à des groupes composés de
quelques initiés (contrairement à l’idée trop souvent répandue). L’essentiel
est de vous sentir à l’aise dans ce que vous faites, de trouver une forme de
pratique qui ne fondera pas ses exigences dans une formalisation traditionnelle
ou académique, mais dans ce que vous estimez comme étant nécessaire pour
atteindre l’objectif que vous vous êtes fixé. Il est possible que vous estimiez
que le meilleur pour cela est de suivre rigoureusement certaines traditions,
dans ce cas faites-le. Mais dans le cas contraire, ne culpabilisez pas à sortir
des sentiers battus, au contraire, dites-vous que vous ne serez que plus
efficace en restant à l’écoute de vos besoins propres.
Aujourd’hui, nous
avons le devoir d’apprendre de nos traditions, mais nous avons aussi enfin la
possibilité de construire notre propre pratique, via des actes qui nous
ressemblent, et dans la continuité d’un chemin qui nous est propre.
Doit-on cacher notre foi ou au contraire l’exhiber ?
J’aborderai à
présent un problème auquel tout(e) païen(ne), et à plus forte raison tout(e)
sorcier(e) se trouve un jour confronté : doit-on ou non cacher ce que nous
faisons, et par là-même ce que nous sommes ?
Pour commencer, et
quelle que soit notre situation, l’exhibition de pratiques demeure pour moi
relativement malsaine, et ce quelle que soit la religion à laquelle on
appartient. Pour autant, ça ne me paraît pas être une raison suffisante de se
cacher.
Je suis bien
conscient des problèmes que peut causer le fait d’assumer une foi comme la
nôtre, et j’en suis le premier touché. Cependant, soyez bien conscients qu’en
nous cachant, nous contribuons au final nous-mêmes à notre propre
marginalisation, car c’est bien parce que nous sommes marginaux que nous sommes
stigmatisés, et c’est parce que nous demeurons cachés que nous sommes
marginaux. Dites-vous bien que dès lors que de nombreux païens vivront leur foi
au grand jour, la société que nous connaissons sera bien obligée de nous
accepter comme tels.
En demeurant cachés,
je suis persuadé que nous tendons le voile nécessaire à notre propre
dissimulation, et que le jour où le paganisme et la sorcellerie ne pourront
plus être voilés, nous n’aurons plus non plus à nous dérober au regard des
autres. Je suis conscient qu’assumer ces pratiques peut être compliqué, voire
néfaste, et je suis encore une fois le premier à en faire les frais parfois. Je
ne vous encourage pas du tout bien entendu à mettre en péril votre vie sociale
ou professionnelle.
Simplement je crois
que cette foi-là, bien que n’étant pas encore rentrée dans certaines moeurs,
peut ne pas être systématiquement dissimulée, et qu’à force de la mettre en
lumière, petit bout par petit bout, le paganisme pourra un jour être reconnu
comme un mode de pensée et un mode de vie légitime et sain.
Conclusion
Pour conclure, je
crois que je ne peux que rappeler cette double nécessité face à ce double
constat : trop de pratiquants sont à la fois prisonniers d’un manque de rigueur
face à un apprentissage souvent long et difficile, et d’un trop-plein de
rigueur face à un mysticisme issu d’une longue tradition qui obscurcit trop
souvent le ciel de ceux qui n’aspirent qu’à voler de leurs propres ailes. Au
fond je crois que je pourrais résumer la pratique moderne de la sorcellerie en
un mot : s’assumer. Assumer son manque de connaissances et son besoin d’en
acquérir, mais aussi assumer sa position, ses envies et ses besoins face à une
tradition parfois désuète. Assumer également ses choix dans sa pratique, parce
qu’ils nous correspondent, et même si de grands auteurs reconnus écrivent le
contraire. Assumer enfin sa pratique et son mode de vie face à une société qui
nous refoule toujours plus vers un coin d’ombre.
Le jour où la
population païenne assumera enfin pleinement ses manques, ses besoins et ses
choix dans sa pratique comme dans sa foi, techniquement, spirituellement et
socialement, alors peut-être que ce jour-là, nous toucherons enfin au but. Nous
aurons au moins en tout cas fait un pas conséquent.
Par
Shaël pour la Magazine Lune Bleue - Texte issu du Mag des Païens d’Aujourd’hui
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