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lundi 8 décembre 2014

Pratique Moderne de la Sorcellerie



Se responsabiliser autant que se décomplexer
Ma démarche à travers cet article est double, et me tient particulièrement à coeur : il s’agit d’une part d’établir un constat sur l’état de la pratique de la sorcellerie au XXIè siècle. Mais pour que ce constat soit productif, je pense qu’il faut également savoir en tirer des leçons pour notre pratique à venir. Ainsi, à travers certains manques et certaines nécessités, j’espère pouvoir vous aider à mieux appréhender des pratiques en constante évolution depuis plusieurs siècles (millénaires), mais qui trouvent encore largement leur place dans la vie d’un païen urbain de notre époque.

Plusieurs points notamment méritent, selon moi, d’être étudiés : j’insisterai en particulier sur la nécessité d’une certaine responsabilisation dans l’apprentissage, qui a malheureusement tendance à faire défaut chez de nombreux novices. Parallèlement, j’estime tout aussi important de se décomplexer vis-à-vis de traditions parfois très anciennes afin de dépasser une rigidité trop souvent improductive.
Un autre volet très important pour moi réside dans la nécessité d’une appropriation de la pratique magique, nécessité que je défends depuis longtemps. Car j’estime que, dans cet univers comme dans d’autres, il est plus essentiel de tracer son propre chemin que de suivre consciencieusement celui d’un autre qui, même s’il est parfaitement bien tracé, ne pourra jamais nous satisfaire pleinement. Enfin, je ne pouvais éviter une question très actuelle pour de nombreux païens, et qui consiste à se demander si nous devons ou non vivre dans le secret quant à notre foi et les «activités» qui en découlent.

SE RESPONSABILISER DANS L’apprentissage
Comme évoqué en introduction, je partirai ici d’un constat : à savoir que l’on observe chez de nombreux novices et de jeunes pratiquants un certain manque de rigueur dans l’apprentissage de cette discipline pourtant complexe qu’est la sorcellerie.

Ce manque de rigueur a une source récurrente : la hâte. Il faut dire que dès lors que l’on parle de magie, on pense souvent à des solutions miracles, et de fait dans l’esprit des gens, la magie est trop souvent l’ultime recours miracle, voire la solution de facilité. Sauf que pour une solution de facilité, la magie est quand même bien complexe, et trop de jeunes pratiquants se lançant à corps perdu dans une action magique censée transformer leur vie sont à l’arrivée bien déçus par les résultats qu’ils obtiennent : au mieux inexistants, au pire néfastes. Pour remédier à ce problème, je crois qu’il convient de briser un mythe : la sorcellerie n’est ni une solution miracle, ni une solution facile. J’irai même plus loin en disant que bien souvent, parmi la multitude de solutions qui s’offrent à vous face à un problème, le recours à la magie est peut-être la moins simple.

Après cela, certains d’entre vous se demanderont alors peut-être à quoi peut bien servir de devoir faire autant d’efforts pour une solution qui présente si peu de garanties rationnelles et qui n’est pas estampillée du précieux tampon «scientifiquement prouvé» ? Eh bien parce que la sorcellerie est avant tout le prolongement d’une foi, de croyances multiples, bien plus qu’un simple produit censé avoir réponse à tout.

A partir de là, ceux qui désirent poursuivre dans cette voie doivent bien se rendre compte que ce sont de longues années d’étude des correspondances, de pratique de la méditation, d’entraînements à la visualisation, d’expériences souvent infructueuses qui les attendent. Aujourd’hui la pratique de la sorcellerie est ouverte et accessible à tout le monde, mais tout le monde n’est peut-être pas prêt à fournir l’investissement en temps et en énergie que son apprentissage demande.  Je crois cependant qu’au final, dès lors que cette pratique s’inscrit dans un véritable cheminement global, cette rigueur nécessaire dans un apprentissage technique parfois laborieux n’effraie pas grand monde. Dans le cas contraire, c’est peut-être un peu de déception qui vous attend.

Se décomplexer dans la pratique
Pour autant, si l’apprentissage des techniques et l’accumulation des connaissances nécessaires peuvent être fastidieux, la pratique en elle-même est trop souvent auréolée d’un caractère sacré, et provoque chez les novices un désir de tout (ou de trop) «bien faire», souvent contre-productif. Ainsi, il me paraît indispensable de démystifier une partie de cette pratique dont la rigidité entrave très régulièrement un certain nombre de débutants pourtant très (trop?) impliqués. Il est vrai que les techniques magiques découlant du néo-paganisme ou d’autres courants prennent la plupart du temps leurs racines dans des millénaires de traditions répétées. Mais ce que l’on observe malheureusement bien trop souvent, c’est que ces millénaires de traditions, au lieu de servir de guides, planent au final comme une ombre gigantesque au-dessus de nombreux novices, tels des colosses fantomatiques qui se dressent pour interdire à certains l’accès à ce sacro-saint temple qu’est la magie.

Je ne compte plus le nombre de gens que j’ai vu paniqués à l’idée d’écrire avec autre chose qu’une plume trempée dans une encre soigneusement préparée sur un parchemin 100% naturel dès lors qu’il s’agit de pratiquer. Là est le paradoxe que je souhaitais soulever, car ce sont souvent les mêmes qui négligent les entraînements préparatoires et les connaissances évoqués plus hauts. On le répète, «le mage dans le désert ne possède que son esprit». Alors certes, vous n’êtes pas dans le désert, mais vous n’êtes pas non plus au XVème siècle, et les outils d’hier ne sont plus forcément ceux d’aujourd’hui.

Et si l’acquisition de connaissances et de véritables compétences est indispensable, les outils et les dogmes ne sont que des catalyseurs, qui vous aident à canaliser l’énergie dans un objectif précis, une béquille dont vous pouvez tout à fait changer la forme à défaut de vous en passer. D’où la double nécessité de se responsabiliser quant aux compétences à acquérir et de se décomplexer quant à des dogmes dont l’ombre obscurcit trop souvent l’esprit de nombreux novices. Si vous préférez utiliser un stylo et un bloc-notes plutôt qu’un parchemin et une plume, rassurez-vous, vous ne subirez les foudres d’aucune divinité. Si tel ou tel ingrédient d’un rituel que vous avez lu ne vous semble pas adapté, remplacez-le. Si vous n’êtes pas à l’aise avec les phases de la lune, pratiquez autrement.

Votre pratique, aujourd’hui, vous en êtes les seuls maîtres, et cela m’amène au point suivant.

S’approprier sa pratique
J’ai souvent eu l’occasion de voir de jeunes pratiquants désireux d’obtenir ou d’appliquer des rituels préconçus, et presque angoissés à l’idée de ne pas pouvoir en réunir tous les ingrédients, comme si la magie se résumait tout d’un coup à une recette de cuisine : ça n’est ni si simple, ni si compliqué.

Il est important je crois, dès lors que l’on souhaite se lancer dans la pratique de la magie, de lire, abondamment. Pour autant les auteurs, si bons soient-ils, n’ont pas pour vocation de remplacer votre cerveau, et je suis intimement convaincu que c’est à partir du moment où nous sommes capables de nous passer de l’enseignement de nos maîtres que nous devenons véritablement compétents :  assimiler un livre, c’est apprendre à s’en passer. Et cette idée est le maître mot de ce que je souhaiterais transmettre ici.

En effet, votre pratique de la magie doit se réfléchir, et se réfléchir par vous-même. Vous devez l’expérimenter, longuement souvent, jusqu’à l’échec parfois, vous devez la mûrir en tous les cas, et surtout en faire votre pratique propre. Car à notre époque, la sorcellerie n’appartient plus à des groupes composés de quelques initiés (contrairement à l’idée trop souvent répandue). L’essentiel est de vous sentir à l’aise dans ce que vous faites, de trouver une forme de pratique qui ne fondera pas ses exigences dans une formalisation traditionnelle ou académique, mais dans ce que vous estimez comme étant nécessaire pour atteindre l’objectif que vous vous êtes fixé. Il est possible que vous estimiez que le meilleur pour cela est de suivre rigoureusement certaines traditions, dans ce cas faites-le. Mais dans le cas contraire, ne culpabilisez pas à sortir des sentiers battus, au contraire, dites-vous que vous ne serez que plus efficace en restant à l’écoute de vos besoins propres.

Aujourd’hui, nous avons le devoir d’apprendre de nos traditions, mais nous avons aussi enfin la possibilité de construire notre propre pratique, via des actes qui nous ressemblent, et dans la continuité d’un chemin qui nous est propre.

Doit-on cacher notre foi ou au contraire l’exhiber ?
J’aborderai à présent un problème auquel tout(e) païen(ne), et à plus forte raison tout(e) sorcier(e) se trouve un jour confronté : doit-on ou non cacher ce que nous faisons, et par là-même ce que nous sommes ?

Pour commencer, et quelle que soit notre situation, l’exhibition de pratiques demeure pour moi relativement malsaine, et ce quelle que soit la religion à laquelle on appartient. Pour autant, ça ne me paraît pas être une raison suffisante de se cacher.

Je suis bien conscient des problèmes que peut causer le fait d’assumer une foi comme la nôtre, et j’en suis le premier touché. Cependant, soyez bien conscients qu’en nous cachant, nous contribuons au final nous-mêmes à notre propre marginalisation, car c’est bien parce que nous sommes marginaux que nous sommes stigmatisés, et c’est parce que nous demeurons cachés que nous sommes marginaux. Dites-vous bien que dès lors que de nombreux païens vivront leur foi au grand jour, la société que nous connaissons sera bien obligée de nous accepter comme tels.

En demeurant cachés, je suis persuadé que nous tendons le voile nécessaire à notre propre dissimulation, et que le jour où le paganisme et la sorcellerie ne pourront plus être voilés, nous n’aurons plus non plus à nous dérober au regard des autres. Je suis conscient qu’assumer ces pratiques peut être compliqué, voire néfaste, et je suis encore une fois le premier à en faire les frais parfois. Je ne vous encourage pas du tout bien entendu à mettre en péril votre vie sociale ou professionnelle.

Simplement je crois que cette foi-là, bien que n’étant pas encore rentrée dans certaines moeurs, peut ne pas être systématiquement dissimulée, et qu’à force de la mettre en lumière, petit bout par petit bout, le paganisme pourra un jour être reconnu comme un mode de pensée et un mode de vie légitime et sain.

Conclusion
Pour conclure, je crois que je ne peux que rappeler cette double nécessité face à ce double constat : trop de pratiquants sont à la fois prisonniers d’un manque de rigueur face à un apprentissage souvent long et difficile, et d’un trop-plein de rigueur face à un mysticisme issu d’une longue tradition qui obscurcit trop souvent le ciel de ceux qui n’aspirent qu’à voler de leurs propres ailes. Au fond je crois que je pourrais résumer la pratique moderne de la sorcellerie en un mot : s’assumer. Assumer son manque de connaissances et son besoin d’en acquérir, mais aussi assumer sa position, ses envies et ses besoins face à une tradition parfois désuète. Assumer également ses choix dans sa pratique, parce qu’ils nous correspondent, et même si de grands auteurs reconnus écrivent le contraire. Assumer enfin sa pratique et son mode de vie face à une société qui nous refoule toujours plus vers un coin d’ombre.

Le jour où la population païenne assumera enfin pleinement ses manques, ses besoins et ses choix dans sa pratique comme dans sa foi, techniquement, spirituellement et socialement, alors peut-être que ce jour-là, nous toucherons enfin au but. Nous aurons au moins en tout cas fait un pas conséquent.

Par Shaël pour la Magazine Lune Bleue - Texte issu du Mag des Païens d’Aujourd’hui

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