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samedi 13 décembre 2014

Mystères Automnaux


Dans de nombreuses cités grecques, le mois débutant mi-septembre était nommé Demetrion, d’après Déméter, Déesse de l’agriculture. Les mystères d’Éleusis et les thesmophories sont d’anciens cultes agraires, dont les origines remontent probablement à la période mycénienne, vers 1500 avant notre ère, si ce n’est plus loin encore. Le mythe à l’origine de ces cultes est l’enlèvement de Koré («jeune fille»), par Hadès, le roi du monde souterrain et des défunts. Déméter cherche en vain sa fille, et dans son désespoir délaisse l’humanité, et la famine s’installe sur terre. Zeus exige alors que Koré soit rendue à sa mère. Mais celle-ci a mangé des graines de grenade (symbole sexuel) au royaume des morts, en conséquence de quoi elle devra rester une partie de l’année aux côtés d’Hadès. Reine des morts, elle adopte le nom de Perséphone. Ce mythe explique le cycle des saisons : lorsque  Perséphone est sous terre, Déméter, dans sa tristesse, délaisse la croissance des végétaux. Lorsque la Déesse de l’agriculture retrouve sa fille, la végétation renaît.



Les mystères d’Éleusis
Il s’agit de cérémonies initiatiques annuelles liées au culte de Déméter et de Perséphone, qui se déroulaient à Éleusis, à une vingtaine de kilomètres d’Athènes. Les mystères d’Éleusis jouissaient d’une grande renommée dans tout le monde antique. Ils étaient accessibles à tous, citoyens, femmes, esclaves ou étrangers. Les seules conditions étaient d’être adulte, de comprendre et parler le grec, et de ne pas être coupable de meurtre. L’initiation se faisait en deux parties : les petits mystères, célébrés en mars, préalable aux grands mystères de septembre. Au cours des petits mystères, les participants sacrifiaient des porcelets à Déméter et Perséphone, et se purifiaient rituellement en se baignant dans la rivière Illisos.

La première étape des grands mystères consistait à amener les objets sacrés d’Éleusis à Eleusinion, un temple au pied de l’Acropole. Les initiés allaient alors se purifier dans la mer et lavaient également un porcelet. Ce dernier était sacrifié, l’initié aspergé de son sang, puis l’animal était enterré. Une procession partait du cimetière d’Athènes vers Éleusis, les initiés balançant en chemin des branches nommées bakchoi.

En certains lieux, ils proféraient des obscénités en souvenir de Iambe (ou baubo), une vieille femme, qui par ses blagues vulgaires avait fait sourire Déméter endeuillée par la perte de sa fille. En chemin, ils  jeûnaient pendant une journée, puis buvaient une boisson à base d’orge et de menthe appelée kykeon.

A Éleusis, les initiés pénétraient dans le telesterion pour la partie la plus secrète des rites, qu’il leur était interdit de révéler sous peine de mort. On pense que cette étape comprenait 3 éléments : dromena («les choses faites») : une reconstitution dramatique du mythe de Déméter et Perséphone, deiknumena (les choses montrées) : l’exposition d’objets sacrés, et enfin legomena (les choses dites) : les  commentaires accompagnant les deiknumena. Certains pensent que des substances psychoactives   étaient alors utilisées. Cette partie des mystères était suivie d’une fête avec des danses, puis un sacrifice de taureau. Le rite s’achevait par des libations aux défunts.

Thesmophories
Les thesmophories se déroulaient entre octobre et novembre, ce qui correspondait en Grèce antique, à la saison des semailles de l’orge et du blé d’hiver. Elles semblaient destinées à assurer la fertilité humaine et agraire. Le déroulement exact des thesmophories reste mystérieux, mais l’on sait que cette fête était réservée aux femmes épouses de citoyens. Les matrones délaissaient les tâches domestiques pour participer à ces festivités des semailles. Elles élisaient quelques unes d’entre elles pour présider aux banquets officiels.

Elles apaisaient sans doute symboliquement les angoisses de Déméter dont la fille était enlevée par Hadès. Elles priaient aussi probablement pour des récoltes abondantes. Les femmes devaient respecter certains tabous liés au mythe, comme ne pas porter de couronne de fleur, ni manger de graines de grenade. Une nuit de préparation, Stenia, précédait les thesmophories proprement dites. Pendant celle-ci, les femmes s’insultaient et échangeaient des grossièretés, en mémoire des propos de  Iambe qui parvinrent à faire rire Déméter endeuillée. Les moqueries indécentes étaient apparemment caractéristiques des rites de Déméter, en particulier lorsque les femmes se réunissaient entre elles pour des rites secrets. Elles étaient supposées encourager la fertilité.

Avant le festival, certaines femmes plaçaient des amulettes de fertilité, des pains en forme de phallus, des pommes de pins et des porcelets sacrifiés (associés aux parties génitales féminines) dans une salle possiblement remplie de serpents, nommée megara. Au cours des thesmophories proprement dites, une fois que les restes des porcelets avaient commencé à pourrir, les femmes devaient respecter certains tabous liés au mythe, comme ne pas porter de couronne de fleur, ni manger de graines de grenade. Le premier jour des thesmophories était Andos, l’ascension. Emmenant avec elles tout ce dont elles auraient besoin pour deux nuits et trois jours, les femmes gravissaient sur une colline et montaient le camp sur le Thesmophorion : le sanctuaire de Demeter Thesmophoros «Déméter qui a apporté les lois». Il ne s’agit pas ici de lois politiques, mais de lois de la nature, et plus précisément de l’agriculture.

Le second jour des thesmophories était la Nestia, le jeûne. Les femmes jeûnaient et se moquaient les unes des autres, à nouveau avec un langage grossier. Elles pourraient aussi s’être frappées avec des fouets d’écorces.

Le troisième jour des thesmophories était la Kalligeneia, «qui engendre du beau». Il commémorait la recherche par Déméter, à la lueur de la torche, de sa fille, par une cérémonie nocturne avec des torches. Des femmes, purifiées rituellement, descendaient dans la megara pour récupérer les restes en décomposition de porcelet, pommes de pin, et pains en forme de parties génitales masculines, frappant dans leurs mains pour effrayer les serpents. Les Thesmophories constituent donc un rite de magie sympathique, avec l’idée que les objets symbolisant la fertilité procurent celle-ci. Le culte des  Thesmophories a subsisté à Rome sous une forme modifiée dans la fête de Bona Dea.

Par Siannan


Ressources
Eleusis: The Secret and Meaning of the Mysteries, Richard G. Geldard
The Ritual Path of Initiation into the Eleusinian Mysteries, Mara Lynn Keller
Initiation into the Eleusinian Mysteries: a ‘thin’ description, Jan Bremmer
Interpreting the Athenian Thesmophoria, Allaire Stallsmith

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