Parce que je suis un « hôte et amphitryon de ce corps », comme
l’écrit Hadrien, parce qu’il s’agit là de mon être au monde, je ne peux que
m’interroger, dans le cadre d’une pratique spirituelle, sur l’importance du
corps physique. Je suis un homme, sexué. Que faire de cette affirmation ?
Revendiquer la sacralité de mon corps, et ainsi de mon sexe, est
un acte de libération. C’est avec ce corps que je chemine vers la Déesse et que
je vais dans le monde. Le plaisir des sens fait partie intégrante de ma vie. Le
nier ou le rejeter reviendrait à dénigrer une partie de moi-même. Il est dit
couramment que tout chemin spirituel est une voie de guérison, mais je ne crois
pas guérir quoi que ce soit en m’amputant d’un corps, d’un morceau du Moi. Au
contraire, je pense qu’ainsi on ne parvient qu’à se faire du mal.
M’engager dans un chemin spirituel pour moi consistait en un
premier lieu à me débarrasser de ces fameuses polarités. Comme beaucoup, aux
débuts de mes études ésotériques, j’ai appris que l’eau est féminine et le feu
masculin, que la Lune est une Déesse et le Soleil un Dieu. Qu’il est triste et
réducteur d’imaginer que l’intuition est un principe féminin, le courage une
qualité masculine ! Il serait donc nécessaire de se ranger dans une catégorie
au dépens de l’autre ? Mais si l’homme peut développer des qualités dites
féminines et inversement, nous n’avons plus de raison de polariser quoi que ce
soit. Si je transcende ces notions, que me reste-t-il ? Il me reste moi,
simplement.
Nous confondons régulièrement trois entités bien distinctes : la
sexuation, le genre et la sexualité. Pire, nous ne reconnaissons pas l’héritage
culturel intrinsèque à ces notions et le croyons pure biologie.
Tout d’abord la sexuation (mâle, femelle...), c’est-à-dire
l’identité sexuelle physique. Quand est-on de sexe masculin ? Lorsque nous
avons un pénis, des chromosomes XY et de la testostérone ? De nombreuses études
nous prouvent que la réponse n’est pas si évidente. Femmes XY,
intersexuation... Il s’agit d’exceptions, diront certains, mais des exceptions
qui représentent 1% recensé de la population mondiale tout de même.
Le genre (femme, homme...) est, quant à lui, une entité culturelle
pure. Il s’agit de l’identité sexuée sociale et psychique. C’est lui qui
définit le comportement et le rôle social de chaque individu. Carcan rigide et
confondu avec le sexe, il devient une prison.
Concernant la sexualité (attirance pour tel-s type-s de
partenaire-s sexuel-le-s), il est désormais évident pour tous que le choix
amoureux ne dépend pas de son propre corps.
En somme, cinquante ans de recherches scientifiques (n’en déplaise
à certains) sur les théories du genre font voler en éclats nos idées préconçues
sur la place de l’homme dans notre société. La célèbre phrase de Simone de
Beauvoir : « on ne naît pas femme, on le devient » est transposable à l’homme.
Il n’y a pas d’essence de la masculinité ou de la féminité, il y a un
apprentissage, voire un conditionnement tout le long de sa vie. La différence
entre homme et femme n’est pas lié à un déterminisme biologique. Margaret Mead
a définitivement marqué la rupture du lien entre sexe et tempérament en
rencontrant des cultures où les rôles sociaux sont définis à l’inverse des
nôtres. Même sans aller jusqu’en Océanie, nous trouvons des traces ici même de
la frêle construction des genres. Notre propre culture n’a pas toujours été ce
qu’elle est aujourd’hui. Ce n’est qu’au XIIeme siècle qu’émerge un culte de la
relation homme-femme. Avant, le propos ne semblait pas digne d’intérêt, et,
s’il fallait se marier, les grands sentiments chevaleresques étaient tout de
même réservés aux compagnons d’armes plutôt qu’aux épouses. Impensable
aujourd’hui, nous serions tout de suite catalogués d’homosexuels refoulés (de
la façon la plus polie possible).
Avec ces notions en tête, comment définir un masculin sacré ?
Si je suis un corps, je n’en reste pas moins un être à part
entière, un tout indivisible. Je suis du genre militant pacifiste, mais ne me
suis jamais senti guerrier. Si je sais me montrer fort et courageux, j’aime
être doux et exprimer mes émotions. Il m’est arrivé de pleurer en regardant «
Toute une histoire », c’est dire. Enfant, je délaissais même les voitures pour
jouer aux poupées. Je n’en reste pas moins un homme.
Dionysos a toujours été pour moi un représentant du masculin sacré
plus fiable que d’autres noms proposés, car justement, il transcende, il
mélange, il marie les contraires, pour amener ces ouailles vers une seule
réalité divine. Il dissout allègrement les limitations sociétales et permet la
vraie libération. Il nous montre le chemin de la guérison. Oui, l’homme aussi a
besoin de guérir. Ainsi, m’inscrire dans une tradition dianique n’a rien de
contradictoire. Le féminisme n’est pas castrateur, puisque libérer les rôles de
la femme revient à libérer ceux de l’homme. En suivant Dionysos, dans sa danse
bruyante et sauvage, je retourne à la Mère, renoue avec l’essence de la Vie.
Face à la Déesse, nous sommes nous, pleinement libres et fiers.
Sur le chemin de Thèbes,
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