La
Chronique d’Hédéra
Lorsque
l’on s’engage sur une Voie particulière, seul l’enthousiasme nous guide, ou
presque. Tout un monde nouveau se dévoile à nous, tout empli de promesses d’un
avenir si ce n’est meilleur, tout du moins plus intéressant, plus palpitant,
propre à nous épanouir. Dans la Wicca comme dans d’autres voies ésotériques,
spirituelles ou païennes, il y a la perspective de l’initiation. Aujourd’hui
encore et déjà hier, dans les antiques cultes à mystères, on appréhende et
espère cette étape décisive marquant à la fois une finalité et un renouveau,
nous changeant en une personne nouvelle, meilleure, autrement dit en termes
modernes «upgradée». Si certain(e)s ont pour motivation principale l’évolution
spirituelle, d’autres s’engagent dans de telles voies afin de chercher un peu
plus de reconnaissance vis-à-vis des autres, mais aussi vis-à-vis d’eux-mêmes.
En cela, les degrés initiatiques les aident. Il leur confère une place reconnue
dans une hiérarchie où, tôt ou tard, il sont certains d’arriver eux aussi au
sommet. Récemment encore, une prêtresse dirigeant un Lyceum du Fellowship of
Isis s’étonnait de ce que dans le pays où elle s’est établie, elle n’avait
jamais rencontré personne souhaitant apprendre et évoluer dans la relation avec
la Déesse en premier lieu. Non, ces personnes venaient à elle en lui demandant
«comment faire et ce que coûterait une formation pour devenir prêtre(sse)».
Être
prêtre(sse) avant de songer à la relation d’intimité avec la Déesse, avant la
quête du savoir, du sacré, de la grande aventure spirituelle ? Il en va de même
sûrement un peu partout, et pas uniquement dans son pays. Ce n’est
éventuellement qu’à moitié condamnable, car pouvant représenter une étape
nécessaire dans la guérison intérieure de sa psyché et de sa propre conscience de soi. En somme, devenir
prêtre(sse) pour retrouver et reconnaître sa propre divinité intérieure. A ce
stade, certains sont satisfaits et s’arrêtent, ayant obtenu tout ce qu’ils
désiraient, mais d’autres poursuivent. Ceux-là et celles-là veulent dépasser le
seul besoin égotique de reconnaissance, un besoin finalement naturel dans ce
monde si individualiste et si rapace. La reconnaissance par un statut, que ce
soit de prêtre(sse) ou autre, n’est pas finalement si éloignée de cette
assurance affective qu’une mère procure à son enfant. Ainsi, si ce n’est
probablement pas une vraie bonne raison de s’engager dans une telle voie, ce
n’est pas non plus une mauvaise raison, même si aucun statut ne peut, et ne
pourra jamais, agir comme substitut affectif ou comme raison d’être sociale. Du
moins, si c’est là la seule et unique raison poussant à suivre ce cheminement.
Toute
personne, de la naissance à la mort, connaît une évolution constante capable
parfois de changer des raisons douteuses en un engagement véritable. Il y a
parfois une part de destinée, poussant d’un côté ou de l’autre selon un schéma
qui semble hasardeux, tandis que la finalité se révèle tout à coup claire,
nécessaire, préméditée. Tout comme les enfants, bien qu’on ne se l’avoue que
rarement, nous aimons continuer à «jouer à faire semblant». Jouer à la bonne
épouse, jouer à la femme active parfaite, jouer à la grande prêtresse. Ou du
moins, la part de jeu et d’imitation d’un modèle idéalisé ou rêvé vient côtoyer
d’autres raisons plus personnelles, formant souvent un tout relativement plus
complexe que la somme de parties qui nous composent. Cela se rapporte
directement à notre identité. Qui sommes nous ? Notre essence n’est
probablement ni celle de la bonne épouse, ni celle de la femme active parfaite,
ni celle de la grande prêtresse. Bien que les actes civils continuent de nous
définir par notre naissance, puis par notre métier, nous ne «sommes», en
définitive, pas cela. Nous endossons des rôles tour à tour, dans la journée,
dans la vie. Certains rôles sont plus difficiles à porter que d’autres et
dépendent de l’attente qu’on en a, soi-même, mais aussi vis-à-vis de celles et
ceux qui nous entourent. Ainsi, la femme active moderne vit l’un des rôles les plus
complexes en devant souvent assumer de manière parfaite celui de femme active,
de mère et de ménagère. Telle Lynette des «Desperate Housewives», elle souhaite
tout accomplir, et ce de manière parfaite, irréprochable. Oui, les «Desperate Housewives»,
à l’instar d’autres femmes de fiction sont nos nouvelles héroïnes modernes, nos
proches, nos soeurs. Ce genre de concept télévisé a autant de succès car de
nombreuses femmes peuvent s’y reconnaître, se dire en substance : «oui, je lui
ressemble, je rencontre les mêmes problèmes, je vis les mêmes types de bons moments».
Nous avons toujours eu besoin de modèles adaptés à notre vécu concret. Un vécu
qui dénote souvent beaucoup d’efforts fournis, des réussites mais aussi des
échecs, des remises en question…
Jouer
la Grande Prêtresse est un rôle qu’on ne voit pas apparaître dans ces séries.
Un jour peut-être le verra-t-on, qui sait, vu que tout cela nous vient des
Etats Unis où les grandes prêtresses fleurissent peu à peu dans le quotidien
des femmes ordinaires. Tout comme être mère, une telle distinction est hautement
désirable, propre à inspirer le respect, à conférer de la dignité à sa
porteuse. C’est un rôle de pouvoir qu’une femme peut endosser, à la fois
temporairement durant un rituel, mais aussi porter dans son coeur pendant son
quotidien, dans deux attitudes différentes. L’une, active, vise à donner une
direction à un rite ; l’autre se rapporte à sa vie intérieure et spirituelle, à
un art de vivre.
C’est
un rôle qui demande bien du courage, tout comme celui de mère. Il demande
dévotion, don de soi, ouverture, protection, équité, abnégation tout comme
autorité et assurance. Et tout comme la mère, on attend tout d’elle, telle la
magicienne infaillible ordonnant à
toutes les richesses de jaillir de sa corne d’abondance. La Grande prêtresse
est une enseignante, tout comme la mère. Son rôle se justifie par sa capacité,
son devoir à transmettre, à instruire afin qu’ensuite, ses enfants puissent
voler de leurs propres ailes de manière assurée. C’est la «faiseuse», celle qui
s’expose, qui s’implique, qui donne. Celle vers qui tous les regards
convergent, attentifs à la moindre erreur, facilement et rapidement jugée
impardonnable. Comment l’accepter de la part de quelqu’un ainsi monté au
créneau, au devant de la scène, par sa propre volonté?
Les
enfants soupçonnent toujours leurs parents de chercher à abuser de leur pouvoir
sur eux. Ils deviennent méfiants, ils s’opposent, se détournent d’eux parfois.
On ne reste jamais Grande Prêtresse bien longtemps s’il n’y a qu’une question
d’ego démesuré à nourrir dans ce choix. Comme être mère, comme être professeur,
c’est bien trop ingrat. Il faut autre chose, autre chose d’assez noble pour que
toutes les mères, toutes les grandes prêtresses arrivent à continuer malgré
tout, malgré les blessures, malgré les reproches faciles à jeter lorsqu’on est
dans la position de celui qui reçoit. Dans cette position plus simple, on peut
se permettre d’émettre des jugements en toute sécurité, et des jugements
souvent immérités. Toutes les «éminentes» Grandes Prêtresses en parlent, que
cela soit Janet Farrar, Starhawk, Z. Budapest, Shekhinah Mountainwater. Toutes,
elles parlent de ces déchirures dans leurs groupes, leurs covens. Avant elles,
des Dion Fortune aussi vécurent cela. Toutes témoignent de cette ingratitude de
la tâche, celle de la tâche si délicate à transmettre et à «accomplir»,
c’est-à-dire se charger d’un rôle de pouvoir auprès d’autres personnes. Toutes,
ou beaucoup en tout cas, laissèrent des réflexions sur l’éthique d’un tel rôle,
même (et peut-être surtout) au sein de groupes ne se voulant pas hiérarchisés.
Car on peut substituer au terme «hiérarchie» celui d’organisation, il n’en
reste pas moins qu’il y aura toujours certaines personnes qui, selon leurs
envies, leurs capacités, leur motivation, prendront en charge plus que d’autres.
Une hiérarchie de fait apparaît, avec laquelle on se sent inconfortable. Cette
intruse indésirable qu’on aurait aimé sincèrement pouvoir chasser. Et ceux qui
restent de «simples» Participants commencent parfois à soupçonner d’abus ceux
qui organisent, qui prennent plus part dans l’actif, tout en ne cessant de leur
demander de répondre à toutes leurs attentes. Il devient même légitime de
penser que si une personne cherche à se mettre au6dessus des autres d’une
manière ou d’une autre, alors elle se doit bien d’être au minimum parfaite, irréprochable vis-à-vis des attentes qu’on en
a.
Tout le
monde heureusement ne pense pas ainsi, mais il s’en trouve toujours et ils ou
elles représentent l’épine possible dans le pied de tout groupe susceptible de
nourrir les rancoeurs et de semer la zizanie. La suite, tout le monde la
connaît ou la devine : rancunes, amertume, colère, éventuellement «querelle de
pouvoirs», départ de certains et parfois, explosion et disparition pure et
simple du groupe. C’est pour cela que dans les degrés de la Wicca Gardnérienne
ou Alexandrienne, on considère souvent qu’il est bon que les plus avancés
finissent par partir et fonder, à une distance suffisante, un autre coven.
Pourtant, quoi de plus enrichissant et constructif que plusieurs personnes
avancées travaillant ensemble en bonne intelligence ?
Par
ailleurs, il est finalement bien vrai de dire qu’on «joue» ou qu’on «fait» la
Grande Prêtresse, si on oublie les connotations superficielles et légères que
cela supposerait. Être Grande Prêtresse ne met pas plus à l’abri des erreurs
que n’importe qui d’autre. Etre Grande Prêtresse ne transforme personne en
héroïne surhumaine (à part peut6être durant le rituel lorsqu’elle reçoit en
elle la divinité). Être Grande Prêtresse n’immunise pas contre la colère, la
souffrance, le découragement, le doute, mais au contraire tend à conduire à une
remise en question perpétuelle. On tente de se faire meilleure pour celles et
ceux qui comptent sur nous, afin de ne pas les décevoir. Et pourtant, on les
décevra fatalement, on commettra des erreurs, on en viendra tôt ou tard à se
fâcher, s’entre-déchirer : c’est la seule certitude qu’il y ait. J’ai encore
dans mes archives un e-mail que Shekhinah Mountainwater m’avait envoyé pour
s’excuser platement lorsqu’une querelle avait émergé dans la communauté
Internet qu’elle animait. Elle s’excusait pour ses défauts, ses erreurs, pour
le mal qu’elle avait pu faire car il était bien involontaire. Je n’avais vu
aucun mal, pour ma part. Je ne comprenais pas qu’il y ait tant d’histoires pour
si peu. Je n’avais rien à lui reprocher, je voyais bien comme elle se démenait
sincèrement tout pour donner le meilleur d’elle-même. C’est tout ce que je
voyais. Les erreurs, les failles sont bien naturelles et pardonnables, elles
nous rendent humains, capables d’aimer, de recevoir de l’amour et de comprendre
ce qu’est la compassion.
Ce qui
est finalement bien regrettable est le peu de capacité que certain(e)s ont à
tendre vers cette compréhension et cette compassion vis-à-vis des mères, des
professeurs, des grandes prêtresses. Des enfants se détournent de leurs parents
en leur reprochant mille fautes, il en va ainsi des élèves, des membres de
covens. Tout parent commet des erreurs, même avec les meilleures intentions.
Mais comment reprocher à quelqu’un d’avoir tenté de faire de son mieux, même si
la même conception du «mieux» nous échappe parfois ? Au nom de l’intention, la
compréhension et la compassion devraient prendre le pas, car un jour, les rôles
seront immanquablement inversés, un jour, autrui sera immanquablement ingrat
envers soi. Et je me souviens encore de Shekhinah qui me disait qu’elle avait
eu l’honneur d’avoir Ruth Barrett pour élève, mais qu’à présent, elle ne lui
disait même plus bonjour lorsqu’elle la croisait dans la rue. J’ai senti sa
tristesse, celle de voir s’éloigner, se détourner d’elle, quelqu’un qu’elle a
aidé, qu’elle a apprécié, avec qui elle a vécu beaucoup de choses, pour qui
elle a consacré de son temps, de son savoir.
Tout
ceci est vieux comme le monde, et pourtant c’est si souvent oublié,
volontairement ou non. Shekhinah fut sûrement un peu gaffeuse à ses heures, un
peu comme moi, un peu comme nous toutes et tous. Elle s’est sûrement bien
souvent excusée là où d’autres auraient dû avoir la sagesse de chercher à se
faire pardonner d’elle. Elle, comme tous ces autres Grandes Prêtresses, qui,
par leur flamme intérieure, furent poussées à donner d’elles pour une
communauté, grande ou petite. Elles qui, mues par le désir d’ajouter leur
pierre à l’édifice, à rendre leur existence utile à d’autres, prirent le risque
d’aller au6devant de la scène et d’essayer de construire quelque chose, pour
les autres, pour elles, pour leurs idéaux, leurs croyances, leur foi
inextinguible. Quelle autre force que ce désir pourrait permettre de continuer
cette route malgré les écueils, malgré les mises à mal de la réputation, les
accusations ? Et surtout, malgré tous ces écueils, quelle autre force permet de
continuer à se relever et continuer encore, sans fin, aidée et soutenue par
celles et ceux qui ont compris la difficulté de la tâche.
Le
soir, la Grande Prêtresse rentre chez elle et est ravie de pouvoir retirer et
poser au loin le masque avec lequel elle a bien «joué sa pièce». Alors nue et
humaine, vulnérable et forte, elle se réchauffe au feu brillant de la confiance
et de l’amour que les siens lui portent. A elle, une femme comme les autres.
Ecrit Par Hédéra, Coven de la Sphinge
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