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vendredi 22 août 2014

Plus de morale avec les Femmes



Pourquoi avec les femmes y aurait-il plus de morale et d’intelligence qu’avec les hommes ?

Sandrine Treiner : Parce que nous avons dû développer ces moyens-là pour nous imposer dans un monde d’hommes. Autant les mettre à profit pour changer le monde. Un monde équilibré dans le rapport entre les sexes sera un monde meilleur. 

Comment se situent les hommes face au discours féministe ?

Michelle Perrot : J’ai une petite-fille de vingt-cinq ans convaincue qu’être une femme aujourd’hui n’est pas toujours évident ; elle est sans concessions. Mon petit-fils est plus réticent : le féminisme lui fait un peu peur. Beaucoup d’hommes, y compris des jeunes, sont comme lui. Je pense qu’il n’est pas si simple pour eux de passer de la royauté absolue à un monde du partage. La question des modèles identitaires continue de se poser avec acuité, encore plus dans les milieux défavorisés où règne encore le vieux modèle traditionnel de la virilité, du patriarcat, du muscle, du rejet de l’autre et du différent. C’est l’une des raisons pour lesquelles le Front national y a du succès. Et c’est, en partie, ce qui explique la recrudescence des violences contre les femmes qui, elles, sont en train de changer.

Sandrine Treiner  : Dans les autres catégories de la population, le vernis y est, je le concède volontiers. Mais les regards sont les mêmes, les plaisanteries n’ont pas évolué. Sous le vernis, je vois beaucoup d’agacement chez ceux qui se disent : « en voilà du bruit pour rien », mais qui se savent obligés de faire attention à leur conduite et à leurs mots pour ne pas se faire taper sur les doigts. Les modifications ne sont pas suffisamment radicales, quel que soit le milieu d’appartenance.

Michelle Perrot : L’agacement dont parle Sandrine est palpable, il est même en augmentation. Par exemple, on ne pardonne rien à une femme politique…

Sandrine Treiner : Ni à une femme tout court : quel que soit son talent professionnel, on lui reprochera son caractère, son autoritarisme, sa supposée froideur, son salaire parfois, autant de choses qu’on ne relèvera pas chez un homme, dans la même situation.

Comment décririez-vous l’évolution du féminisme en un demi-siècle ?

Michelle Perrot : Il y a cinquante ans, nous voulions l’égalité, c’est-à-dire ce qu’ont les hommes, quitte à renoncer à certains attributs de la femme, comme la maternité qui nous situait dans une « féminité héritée ». Cependant, le féminisme n’a jamais été antinomique avec la féminité, même si l’on a collé aux féministes des étiquettes de « moches » et « mal baisées ». Dans les années 1930, Marguerite Durand, qui était actrice et très belle, disait : « Nul ne saura jamais ce que le féminisme doit à mes cheveux blonds. » Aujourd’hui, nous voulons tout : le travail et la famille, au sens le plus libre qui soit, des enfants. La France a les taux d’activité féminine et de natalité les plus élevés d’Europe ! 

Sandrine Treiner : Ce qui a changé, c’est la dimension internationale de notre conscience d’être au monde, l’aspiration au changement qu’expriment les femmes d’autres cultures. Nous incarnons peut-être le dernier internationalisme possible, avec la démocratie. Le féminisme a une légitimité universelle parce qu’il y a une universalité des inégalités et des violences contre les femmes. Une solidarité active s’exerce désormais et elle doit continuer à s’exercer, y compris dans notre propre pays où je m’inquiète du recul que nous vivons depuis une quinzaine d’années : sous couvert de défendre des cultures minoritaires, on en arrive à faire passer l’idée que les droits évidents pour certaines femmes ne le sont peut-être pas pour les autres et que, d’ailleurs, elles n’en voudraient pas. Le relativisme culturel s’est infiltré dans le discours public dans l’indifférence politique, divisant le mouvement féministe et se légitimant grâce à un antiracisme que je ne comprends pas. J’espère que le Printemps arabe, grâce à la place que les femmes pourraient conquérir, contribuera à clore cette séquence.

La lutte contre les violences faites aux femmes relève au premier rang des droits humains, pas juste du combat féministe !

Sandrine Treiner : Mais qui se bat pour les femmes dans le monde si ce n’est les femmes ? Depuis 1979 et la ratification d’un certain nombre de textes et résolutions à l’ONU, ce sont des femmes qui sont présentes, notamment sur le terrain. Quel est le grand livre sur cette question signé par un homme ? 

Michelle Perrot : Les hommes sacrifient aisément les femmes devant d’autres impératifs, ils n’en font pas une priorité. En Pologne, à l’époque de Solidarnosc, on a vu des hommes engagés, progressistes, rester prudents sur la question des femmes, sur celle du droit à l’avortement, pour ne pas perdre l’opinion catholique. En France, les Radicaux, des républicains de progrès, ont longtemps été hostiles au vote des femmes. Je peux citer des dizaines de cas où les femmes se sont retrouvées seules dans la lutte pour l’égalité, seules contre des hommes pourtant progressistes. Je crois qu’il y a une frontière des droits des femmes au-delà de laquelle les femmes ont peut-être des alliés masculins, mais si elles ne sont pas là, ces alliés ne font plus grand-chose.

Nous sommes, en France, en période électorale. Que représente votre combat dans les programmes des partis politiques ?

Michelle Perrot : Très peu de choses, à part une défense des acquis dans le programme socialiste.

Sandrine Treiner : Dans celui du Front national, on trouve, à la rubrique « femmes », la famille et les enfants. Avec un laïus proposant la relance de la natalité française et la promotion de l’adoption prénatale pour lutter contre l’avortement, la vie étant sacrée depuis la conception. Voilà ce que promeut Marine Le Pen, mise en avant dans les médias comme un modèle de réussite personnelle et féminine. 

Votre discours est pessimiste. Atteindre « juste l’égalité » serait donc une illusion ?

Michelle Perrot : Non, mais c’est toujours à refaire : l’histoire n’a pas de fin, chaque génération a besoin de reconstruire le rapport égalitaire avec l’autre, d’analyser les situations, d’inventer ses solutions. Trouver d’autres voies. Une génération a cherché à se couler dans le modèle masculin. On se demande désormais pourquoi les hommes ne se féminiseraient pas aussi. La quête de l’égalité, c’est aussi la quête du bonheur. Hier, les hommes plaçaient leur bonheur dans la sphère privée où les attendaient les femmes. Cela ne peut être l’idéal d’aujourd’hui. La société s’est modifiée grâce à l’apport du féminisme.

Une dernière question. Dans la « profession de foi » de CLES, nous proclamons que le XXIe siècle serait celui des femmes et des Chinois. Une affirmation péremptoire ?

Sandrine Treiner : Il n’est pas parti pour être celui des femmes chinoises. Dans une grande partie de l’Asie, la situation des femmes se détériore, et apparaît le phénomène des « femmes manquantes », une centaine de millions en Chine, avec les conséquences que cela a sur le rapport des hommes aux femmes restantes…

Michelle Perrot : On a pu parler de « génocide des petites filles ». Si on n’extermine pas les filles, on les laisse mourir. Il y a toujours, dans la représentation de la hiérarchie des sexes, l’idée fondamentale que les hommes ont plus de valeur que les femmes.

Sandrine Treiner : Tant que l’on continuera de raisonner en fonction des sexes, c’est que du chemin restera à parcourir : vive l’indifférence ! 

interview de Michelle Perrot & Sandrine Treiner



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