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mardi 10 juin 2014

Le vagin denté chez les Mai Huma



Des rapports entre les hommes et les femmes Mai huna, le lien entre les deux problématiques de la reproduction, physiologique et symbolique, naît du désir masculin de marquer la participation des hommes au processus biologique. La reproduction physiologique s’inscrit dans la dynamique de la reproduction des hommes, comme espèce sociale, et de la nature où, par un jeu d’équivalences symboliques et linguistiques, le principe féminin du monde (humain, animal et végétal) est animé par le principe masculin mai, des hommes et des astres.



La mythologie montre que si la maternité est une affaire de femmes – les formes et les signes de la grossesse étant causées par elles, et à elles attribuées – elle ne prend une forme sociale qu’après l’intervention fondée sur le désir de l’homme et le pouvoir de pénétration. Ce geste, qui est rendu possible par l’opération d’extraction du « vagin denté », thème mythologique connu, est un signe d’évolution aux yeux des Mai huna. Sans cette opération, l’espèce humaine eut été, à jamais, dépossédée d’un avantage critique sur les autres espèces animales, à savoir l’opposition du pouce et des doigts qui autorise la préhension. L’extraction mythique du vagin denté alimenta, jusque dans les années trente, une pratique semblable à l’excision chez les fillettes tukano, « afin qu’elles ne soient pas comme un homme », dont les traces ont été observées plus récemment dans un groupe apparenté aux Mai huna, les Airo Pai. Elles ont aujourd’hui disparu, mais l’idée qu’il faut retirer aux femmes une part de masculinité reste présente dans le vocabulaire, dans les formes d’humour et les plaisanteries, et dans la distribution des rôles sociaux et politiques.

L’organisation socio-politique Mai huna est viricentrée (le principe mai domine) et les femmes reçoivent leur identification par les hommes. Filles de leur père (yibago), elles reçoivent une appartenance clanique. Epouses de… (niho), elles héritent d’un rôle social. Mère de … (hako), elles accomplissent leur destin. C’est ainsi que le nom propre des femmes est moins mémorisé dans les généalogies que celui des déterminants masculins de leur identité. La résidence uxorilocale – qui peut, dans certains cas, donner force à la communauté féminine – n’est pas établie selon le principe d’une continuité résidentielle, dans un contexte où les familles doivent migrer pour tirer le meilleur parti de l’écosystème et rentabiliser les activités halieutiques, cynégétiques et les pratiques culturales qui reposent sur l’essartage et la culture sur brûlis. La communauté Mai huna repose fondamentalement sur le principe de l’échange entre des alliés dont les deux pôles que sont le gendre et le beau-père sont liés dans toutes les activités ordinaires et rituelles. La femme est toujours l’intermédiaire entre deux hommes (père-époux, mari-fils) dans la situation consacrée par « la mère primordiale »Ñukeo, à qui les Mai huna rendent hommage lors d’un rite de renaissance symbolique qui marque le début de l’année (rite du pifuayo). Ainsi placée en situation d’intermédiaire, que l’on pourrait croire dominée, Ñukeo est garante de l’équilibre du monde et responsable de la constitution de l’être. Attachée dans un hamac à la « tête de l’eau » (l’Est pour les Mai huna), sa position est cruciale pour le maintien de l’ordre cosmique. (Elle évite que les astres Soleil et Lune entrent en collision.) Les hommes s’attachent, par des gestes précis, à éviter qu’elle-même n’entre en collision avec la terre qu’elle ferait trembler.

Les femmes Mai huna ont aussi des « pouvoirs cachés » qui sont d’ordre individuel et collectif. Individuellement, la femme exerce un pouvoir de séduction capable de briser l’harmonie entre les hommes, et aussi la carrière des chamans. Collectivement, elles ont un rôle politique. La co-résidence des mères et des filles crée un contrepoids à l’autorité que l’homme exerce en tant que chef de maison, et les femmes tissent entre elles un réseau de relations qui est l’exact contrepoint de l’armature masculine. Leur rôle économique est très important tant par leurs activités de production que par la part qu’elles prennent dans l’organisation du travail et le contrôle de la circulation des produits du jardin et de la chasse. Elles se font une opinion sur toutes les affaires publiques et privées, qu’elles discutent entre elles avant de tenir les hommes informés de leurs résolutions. Mais elles ne peuvent imposer leurs décisions, ni au sein de la maison ni dans l’unité sociale d’un ordre supérieur. Il arrive cependant que des femmes s’y efforcent par différents moyens, allant de la grève de la cuisine au refus de faire l’amour, de l’acte de violence physique contre l’homme au chantage au suicide, jusqu’à l’abandon des enfants pour aller refaire sa vie ailleurs, lorsque la situation devient trop critique.

Les mythes relatés ici ouvrent la geste épique de Maineno, et leur analyse exhaustive a été présentée dans le cadre d’une réflexion très complète sur la construction des relations de genre (Bellier, 1991). La sélection établie vise à montrer, avec des images très explicites, la perspective Mai huna sur les deux piliers de la reproduction des hommes que sont, d’une part le principe de filiation, d’autre part la pacification du rapport entre les sexes qui s’appuie sur la mise en acte de la domination masculine. Les deux mythes ont en commun de présenter une image dévorante de la femme, la mère Jaguar d’un côté, de l’autre la femme au vagin denté comme le point de départ d’une geste civilisatrice qui serait tout entière portée par les hommes. Mais ces mythes nous montrent aussi que sans la femme l’homme n’est rien.


lire l’article entièrement ici : http://socio-anthropologie.revues.org/139

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