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mercredi 18 mai 2016

Toutes les femmes qui sont en nous


Qu’est-ce que la “féminité” ? Mille facettes, mille visages que chacune s’approprie ou réinvente sur un fond de qualités commun. Plus de normes ni de modèles : chacune aspire désormais à trouver son propre chemin.

La féminité… Perla Servan-Schreiber se souvient des mises en garde qu’elle suscita lorsqu’elle choisit pour titre à son livre : La Féminité, de la liberté au bonheur. C’était en 1990. Aujourd’hui, le mot ne fait plus peur. Toutes celles à qui nous avons demandé : "Qu’est-ce que c’est pour vous être une femme ?" l’ont employé spontanément. La féminité est au cœur de leur histoire, de leur expérience quotidienne, de leurs sentiments. Une manière de dire comment elles vivent et se vivent, une manière de nommer leurs peurs, leurs doutes, leurs plaisirs et leurs aspirations. Ensemble ou séparément, chacune n’a parlé que pour elle, sans jamais prétendre à l’universel. Des hésitations, des contradictions, des confusions, il y en a eu. La réponse à la question posée appelle, pour soi-même, bien des interrogations. Mais de ce concert de voix singulières se sont élevées des lignes de force qui parlent aussi bien de conflits et de culpabilités, que de désir, de liberté et de bonheur.



Une identité choisie

Premier constat : elles paraissent loin de tout débat idéologique. La vie leur importe plus que les concepts. Ce sont les mêmes – c’est-à-dire toutes ! – qui parlent d’"identité féminine" et acceptent néanmoins le postulat suivant : "Etre une femme, c’est d’abord être ce que je suis sur mes papiers d’identité : un individu de sexe F" (Pauline). Mais cette caractéristique ne leur suffit pas à faire d’une femme… une femme. Elles voient dans la différence sexuelle un paramètre parmi d’autres. Pourtant, pour Catherine Clément, philosophe, essayiste et romancière, qui a écrit avec Julia Kristeva Le Féminin et le Sacré, "la sexuation biologique, le flux menstruel et la possibilité d’avoir des enfants constituent les seuls critères de définition universelle de la féminité. L’identité féminine, elle, n’est pas donnée, c’est un choix". Nous dirons donc qu’elles ont choisi d’être femmes en tout et pour tout.

Seconde adhésion massive : elles ont en majorité de 30 à 50 ans, et soulignent de leur témoignage le moment. "A part l’égalité des salaires et la représentation politique, on a tout obtenu, dit Véronique. Quel boulot en cinquante ans ! Aujourd’hui, on a tout et tous les choix." Nathalie Heinich (dans Etats de femme, l’identité féminine dans la fiction occidentale, Gallimard) sociologue, cite l’un de ses confrère allemand, Norbert Elias : "La plus grande révolution dans toute l’histoire des sociétés occidentales aura été, au cours du XXe siècle, l’accession des femmes à une identité qui leur soit propre, sans plus être celle de leur père ou de leur mari." Et elle commente ainsi ce changement de configuration : "Avant, on était l’épouse et la mère, la maîtresse ou la gouvernante. On était dans la fécondité et la cohésion familiale, la séduction ou le savoir, et le dévouement. Maintenant, on peut être tout à la fois. Et on se sent souvent tenu de “réunir” les qualités de celles que j’appelle la première, la seconde et la tierce."

L’attachement maternel

Aucune de nos causeuses, en effet, ne s’est présentée en disant d’abord : "Je suis mariée" – aucune n’a dit non plus qu’elle était célibataire. Mais elles ont tout de suite précisé leur place dans la maternité. La grande affaire que celle-ci ! Qu’elles aient des enfants, n’en veuillent pas ou hésitent à "en faire", toutes insistent sur leur "liberté de choix" et la lente maturation "d’un désir longtemps différé". Elles parlent d’"aboutissement", d’"accomplissement à avoir fait ce pour quoi j’étais faite", mais rappellent qu’il ne s’agit plus d’une "fonction obligatoire" ni de la "répétition d’un vieux schéma".
Margaret, qui doute encore, exprime clairement l’intention de ces femmes qui appartiennent à un milieu ouvert. "Je me dis, voilà une expérience qui nous est offerte, pourquoi ne pas la faire ?" Celles qui l’ont vécue l’assimilent sans peine à la "ligne de clivage", l’"expérience fondatrice" décrite par Catherine Clément. "Il y a vraiment un avant et un après" (Dominique) ; "Tu franchis une frontière" (Véronique). Ce passage ouvre, pour toutes, un pays mystérieux où s’éprouve cet "absolu de l’attachement maternel", dont parle encore Catherine. Pour Véronique, "on ressent une émotion qui n’est comparable à rien d’autre", et pour Claudine, "un amour sans mesure, un au-delà de l’amour".

En même temps s’exprime un sentiment aigu de responsabilité, "que le temps, disent-elles, n’effacera pas" : "Quand tu mets un enfant au monde, explique Véronique, tu sais que tu es sa mère pour toujours. C’est comme si tu signais un partenariat à vie avec ton p’tit loup."

Le sens du sacré

C’est cette capacité à donner la vie et à enchaîner les générations qui, pour Catherine Clément, fondent les femmes dans l’être et dans la durée. "Elles sont très proches de la vie et de la mort, et elles savent accueillir le sacré. Il y a une porosité du corps féminin au sacré. Parce qu’il est creux et accueillant ? Sans doute. Sans doute aussi par cette capacité qu’ont les femmes à fabriquer du somatique avec du psychique. Je pense aux phénomènes de transe que j’ai observés en Afrique."
Certaines ont clairement conscience de cette "disposition" au sacré. Quelques-unes se sont "senties traversées" par des impressions, voire des prémonitions. Toutes veulent, avec ferveur, "donner une âme" ou "donner de la vie" à ce qu’elles font. Elles mettent "de la chair" et "du don" dans le moindre domaine de leur activité. Dans la cuisine : "J’aime me sentir mère nourricière. Maintenant, j’adore mixer, triturer, inventer… Et, surtout, offrir cette nourriture aux autres" (Véronique). Dans leurs relations : "Je sers toujours de passerelle, entre mon mari et mes enfants, mes enfants et mes parents, etc. Je fais constamment le lien." (Elisabeth). "Je sais qu’on apprécie mes dîners. Pour moi, il s’agit seulement de susciter des rencontres vivantes dans une atmosphère chaleureuse" (Dominique). Dans leur approche du réel, plus des trois quarts croient à "l’intuition", qu’elles ne jugent nullement incompatible avec la capacité des femmes à conceptualiser : "ça dépend simplement de ta forme d’intelligence et de son champ d’application" (Aurélie) ; "On a dressé les hommes à se comporter en pointeurs de haute précision. Ils repèrent, ils circonscrivent et ils piquent droit. Le regard des femmes, lui, embrasse tout sur 360 degrés" (Dominique). Et dans l’expression de leurs idées : "Quand j’écris, j’ai l’obsession du concret, du perceptible" (Pauline, approuvée par Elisabeth et Sabine) ; "Mes mots, je veux qu’ils aient une couleur et une odeur" (Dominique).

La frivolité, un privilège nécessaire


On voit bien, et elles le revendiquent, que beaucoup de choses passent par les sens et par le corps – "ce corps intense et fuyant" (Catherine Clément), qui sait se faire source d’information et mode d’expression. Mais il devient vite objet de doute lorsqu’il se fait objet du désir – doute et désir… d’évidence, l’un ne marche jamais sans l’autre. Aucune – pardon, une peut-être – ne m’a paru poser en majesté dans une "désirabilité" sans faille ni éclipse.
Qu’elles soient sûres, ou un peu moins, de leur "féminité", toutes ont besoin d’en donner la preuve et d’en recevoir l’assurance. La preuve, d’abord : elle se fait par la parure, le maquillage, la mise en scène de leur corps et de leur visage. "La “frivolité” est perçue comme un plaisir nécessaire, un privilège dont les femmes auraient bien tort de ne pas user quand elles l’ont", dit Catherine Clément. L’assurance ensuite : elles la trouvent dans leur miroir ("J’ai besoin de me sentir séduisante pour moi-même", dit Aurélie) ; dans "les réflexions flatteuses des copines" ; et, surtout, dans le regard des hommes. Pauline : "Je me sens femme quand je mets des chaussures de fille pour aller retrouver Alfonso." Véronique : "Si je ne me fais pas siffler dans la rue le matin, j’ai l’impression d’être roulée comme un break et “rangée des voitures”."

Au plus près de leur désir


Ce travail des apparences et de l’artifice n’exclut pas, loin de là, l’authenticité des sentiments. Elles veulent séduire, certes, mais écoutent attentivement ce que murmurent leur cœur et leur corps. Toutes se déclarent "très près de leur désir" – ou soucieuses de s’en rapprocher. Pas question de le sacrifier au "ronron confortable d’une relation". Pourtant, des peurs subsistent et ce désir-là, elles préfèrent l’éprouver et l’accomplir en lieu sûr. Sinon, "on se sent déstabilisée, on passe à côté de soi et de l’autre". Ce qu’elles veulent, à une très large majorité ? "Une relation qui implique un engagement, même s’il n’est pas éternel", "une relation où l’on s’estime et qui donne confiance". Ce qui frappe, c’est que cette relation, pour beaucoup, demande qu’"on se soit d’abord trouvée soi-même".
Elles sont en effet nombreuses à penser que ce travail préalable est nécessaire à la "bonne rencontre et à son épanouissement". Comme l’explique Astrid : "Tout le monde dit que je suis bien depuis que je suis avec Peter. Mais Peter, je n’ai pu le rencontrer et vivre avec lui que parce que j’avais fait des pas de géant à l’intérieur ! Avant, j’avais peur. Je gardais toujours une distance."

Mères courage

Sauf cas très rares, le lien amoureux trouve son accomplissement dans "l’intimité partagée". Cette intimité que toutes adorent et pour laquelle elles se déclarent "très douées" ! Elles en expliquent l’importance par le besoin qu’elles ont de "se protéger de l’extérieur" : "Dehors, c’est dur ; chez soi, on refait ses forces, on préserve quelque chose d’essentiel" (Margaret).

Elles insistent beaucoup sur cette navette dedans-dehors, et on comprend vite que ce mouvement perpétuel entre la maison et le travail est au cœur de leur fatigue, de leurs conflits et, souvent, de leur culpabilité. Elles ont le sentiment aigu de tout assumer mais de bâcler beaucoup en cours de route. "Mon boulot, mon mari, mes enfants. Je fais tout superficiellement" (Véronique), "ça m’angoisse de ne pas être tout le temps avec mon bébé, mais, en même temps, j’ai besoin et envie de travailler" (Sabine). "Même si le conjoint en prend sa part, et c’est le cas pour beaucoup, le poids de la famille, c’est quand même toi qui l’as dans la tête." D’où cette référence constante à la "force des femmes", à leur "endurance", à leur "courage" qui les fait tout assumer et tout surmonter.

"J’ai l’impression d’être une succession de manques : dans ma relation de couple, au bureau, avec les enfants" (Flavie). Cette insatisfaction et ces déchirements, Nathalie Heinich les explique par le paradoxe de "la liberté contraignante" : "Parce qu’elles ont vu s’ouvrir tous les possibles, explique-t-elle, les femmes les tiennent désormais pour des obligations. En s’appliquant à tout, elles se mettent aux prises avec des impératifs souvent contradictoires. Elles exigent d’elles une compétence égale au lit, à la maison, au travail. Mais personne, pas même une femme, n’est condamnée à réussir."

La réussite en plus


Pourtant, l’idée de devoir "sacrifier" quelque chose les effraie. Elles trouvent injuste toute forme de renoncement, elles se voudraient à la fois "complètes et heureuses". Certaines croient à un modèle de "réussite au féminin" qui leur permettrait de surmonter enfin paradoxes et contradictions. Sur ce point, le témoignage de la créatrice Barbara Bui, dont la société est cotée en bourse et la marque reconnue dans le monde entier, est particulièrement intéressant : "La réussite, ça n’a pas beaucoup de sens en soi. L’argent ? Bien sûr qu’il rend la vie plus confortable. Mais pour le reste, c’est affaire d’individus. Moi, ça m’a permis d’être acceptée telle que je suis. Mon métissage – elle est eurasienne – et mon histoire familiale m’ont fait très vite me sentir hors normes. J’ai tout de suite voulu m’exprimer différemment. Ma réussite, elle, s’est faite là et elle me sert à ça : j’ai le droit de n’être pas pareille."


Chacune cherche son centre


Le parcours de Barbara n’offre aucune solution universelle et c’est en cela qu’il apparaît exemplaire ! Ce qui est enviable, pour toutes les femmes interrogées, c’est ce qui n’appartient qu’à soi ; ce qu’on crée pour soi et à partir de soi. Elles se méfient unanimement des normes et des modèles. C’est l’atypique qui attire et réconforte. Chacune y voit la preuve qu’elle pourra, elle aussi, trouver son propre chemin. Car ce qu’elles espèrent et ce qu’elles veulent, c’est connaître la femme qu’elles sont et lui donner les moyens de se mettre au jour. Quand elles disent : "Je veux découvrir mon centre" ; "Faire le tri entre ce qui est essentiel et ce qui ne l’est pas" ; "Me débarrasser des images pour accéder à moi-même", elles expriment un seul et même désir que définit bien Margaret : "Trouver mon identité féminine à moi et l’accomplir à ma manière."


Après vingt ans de carrière extérieure, Perla Servan-Schreiber a choisi d’être une "femme à plein temps, parce que la féminité est mon identité profonde et que je mets mon ambition et mon exigence à vivre au plus près de moi." Bref, chacune – et c’est merveille – veut inventer sa propre féminité et entendre distinctement cette ligne mélodique qui part du cœur de soi et conduit, pour Nathalie Heinich, "au simple plaisir d’être ce que l’on veut être".

samedi 14 mai 2016

M. Cerveau et Mme Cervelle, ont-ils un sexe


Les femmes peuvent parler et écouter en même temps. Pas les hommes. Une différence parmi d’autres que la science, aujourd’hui, permet d’expliquer.

Le cerveau serait-il sexué lui aussi ? Grande question, à l’origine d’un débat qui agite fébrilement le monde scientifique depuis plus de un siècle et à propos de laquelle des énormités ont parfois été proférées.

Depuis une dizaine d’années, on sait que les hormones sexuelles jouent un rôle essentiel au cours de la vie embryonnaire et néonatale : elles provoquent non seulement des modifications du corps, mais aussi du cerveau. Sur le plan génétique, ces hormones – testostérone ou œstrogènes – imprègnent le fœtus et créent les circuits neuronaux responsables des comportements mâles ou femelles. On peut donc dire que l’on naît avec un cerveau "garçon" ou un cerveau "fille", avec, bien sûr, toute la palette de différences et subtilités qui fait l’extraordinaire variété du genre humain. Cela expliquerait, par exemple, qu’en matière d’apprentissage, les filles sont nettement plus performantes que les garçons jusqu’à l’âge de 4 ou 5 ans. La différence disparaît ensuite pour réapparaître vers la puberté, période qui correspond à une production élevée de testostérone chez les garçons.
Aujourd’hui, avec les progrès de l’imagerie médicale et sa batterie de scanners, IRM et autres capteurs d’activité mentale, on en sait davantage. La découverte la plus importante : les hémisphères cérébraux d’une femme sont moins spécialisés que ceux d’un homme. Si cet élément permet d’expliquer certaines différences, elle ne peut en aucun cas servir d’argument pour décréter que les premières sont faites pour pleurer et les seconds pour être ingénieurs ! Bien des femmes, en effet, savent parfaitement lire les cartes routières, et bien des hommes rangent leurs chaussettes !
Elle n’arrête pas de parler !

Même si les hommes ont parfois du mal à le croire, une femme peut parler et écouter en même temps ! Lorsqu’elle parle, le scanner révèle que deux régions bien spécifiques de son cerveau – dans l’hémisphère frontal gauche et dans l’hémisphère frontal droit – fonctionnent conjointement. La cause : les œstrogènes de la femme stimulent en permanence les liens entre les deux hémisphères cérébraux et incitent davantage les cellules nerveuses à créer des connexions. Les femmes auraient ainsi 30 % de connexions neuronales supplémentaires dédiées au langage…
Comme l’hémisphère gauche de la fille se développe aussi plus rapidement, elle parlera plus vite et mieux que son frère, apprendra plus facilement une langue étrangère, etc. Chez l’homme, la parole, répartie dans l’hémisphère gauche, ne semble pas liée à une région spécifique, comme s’il ne possédait pas de centre dévolu à cette fonction. Cela peut expliquer qu’il ait moins besoin de communication, et que la clientèle des orthophonistes, qui soignent les troubles du langage, soit essentiellement composée de petits garçons…
Il n’écoute que d’une oreille…

Lorsqu’un homme regarde la télévision, il devient sourd ! Inutile de se moquer de lui, car il y a une raison physiologique : le corps calleux de son cerveau, une zone qui permet aux deux hémisphères de communiquer, est nettement moins épais que celui de la femme. Aussi, son cerveau "compartimenté" ne peut-il accomplir qu’une tâche à la fois. Exemple : en réunion, même lorsqu’il est très attentif, un homme utilise surtout son oreille droite, directement branchée sur son "cerveau gauche", responsable de la reconnaissance des mots. Bien sûr, les deux oreilles entendent, mais les connexions sont moins fortes. Et c’est pourquoi les femmes, elles, lorsqu’elles sont en réunion, ont tendance à vouloir parler toutes en même temps…

Elle est incapable de lire une carte routière

C’est bien connu : les femmes sont de piètres navigatrices. Donnez-leur une carte routière, elles vont la tourner dans tous les sens, avant d’avouer qu’elles ne savent pas où elles sont… De nombreuses études ont exploré ce sujet. Les hémisphères cérébraux du petit garçon étant plus spécialisés, il saura plus facilement s’orienter dans l’espace et assembler les pièces d’un puzzle. La petite fille, elle, va plutôt développer le sens du détail et ses aptitudes verbales. C’est pourquoi, aussi, les garçons sont beaucoup plus à l’aise dans les jeux virtuels et peuvent rester scotchés à leur console pendant des heures.

Il est insensible…


Comme les femmes ont une meilleure aptitude verbale et une plus grande réceptivité sensorielle, elles parlent plus facilement de leurs sentiments, d’autant que, dans leur cerveau, les centres du langage et ceux des émotions se superposent. Ce qui explique chez elles une certaine difficulté à séparer les sentiments de la raison ! L’homme, au contraire, a des cases "langage" et "émotions" bien distinctes, et dont la juxtaposition est loin d’être automatique. A tout ceci, on ajoutera, évidemment, ce que l’on sait déjà sur l’éducation des garçons et des filles…

Elle a un sixième sens


Les analyses par IRM ont montré que, lorsque le cerveau d’un homme est au repos, au moins 70 % de son activité électrique est inerte. L’activité de la femme, en revanche, continuant de fonctionner à 90 %, celle-ci ne cesse de recevoir et d’analyser les informations qui proviennent de son environnement. Elle remarque donc mieux aussi les nuances de la voix, du langage corporel ou les stimuli sensoriels. De même, elle "sent" l’état de santé de son enfant…

Il ne retrouve jamais ses chaussettes !

La femme a un angle de "vision périphérique bien supérieur" : sans même tourner la tête, elle peut faire l’inventaire de tout ce qui se trouve dans une armoire, par exemple. Cependant, elle aura besoin de nombreux détails pour se repérer. L’homme, lui, est obligé de tourner sa tête dans tous les sens pour enregistrer ce qui l’entoure… En revanche, il a une meilleure acuité visuelle et peut voir très loin.
Dans le quotidien, ces différences de perception spatiale se traduisent au niveau du rangement. Dans une armoire, donc, une femme va s’inquiéter de la place de chaque objet et classer les vêtements par catégories séparées : un étage pour les pulls, un pour les tee-shirts, un pour les jeans, etc. Un homme, qui a une perception plus globale, classe plutôt par ensembles non séparés : la tenue de jogging – avec chaussettes et chaussures ! – dans un coin, les vêtements pour aller travailler dans un autre. Ordre et rangement n’ont pas exactement le même sens pour chacun…

Il s’habille n’importe comment !


Un homme est incapable de saisir les dégradés subtils des tons d’une robe. Quand une femme utilisera toutes les ressources de son vocabulaire – et même plus ! – pour décrire ce qu’elle voit, un homme dira, au mieux, "rouge" ou "vert". Les scientifiques ont démontré cette supériorité des femmes à distinguer les couleurs plus rapidement. La cause probable : la rétine de l’œil contient 130 millions de cellules en forme de cônes, qui perçoivent les couleurs ; c’est le chromosome X qui produit ces cônes ; les femmes ayant deux chromosomes X, ceci pourrait expliquer cela…

A lire

 

Cerveau d’homme, cerveau de femme de Doreen Kimura (Odile Jacob).
Les Hommes, les femmes, etc. d’Ellen Willer (Marabout).

Pourquoi les hommes n’écoutent jamais rien… d’Allan et Barbara Pease (First).

Le fantasme du guerrier


Qu’est-ce que la virilité ?
Une construction psychique et, avant tout, l’intime conviction d’être un homme. C’est aussi, depuis la nuit des temps, une façon d’être aux allures de diktat social, comme il est demandé aux femmes d’être féminines. À en croire notre imaginaire collectif, ces dernières – forcément faibles et fragiles – devraient pouvoir se réfugier dans les bras d’hommes forts et musclés. « La barre est haute ! reprend le psychanalyste. Le fantasme de virilité n’est pas celui d’un mec peinard, mais celui d’un conquérant, un guerrier intrépide, un surhomme. »
Partageant son étymologie avec la vertu (« vertu » et « virilité » sont des dérivés du latin vir, « homme »), la virilité fait, culturellement, la valeur d’un homme : un bon chef de famille, un bon employé, un bon soldat, etc. Mais, au XXe siècle, elle essuie échec sur échec, alors que les femmes conquièrent des lieux (l’usine, l’université, l’armée, etc.) et des droits jusqu’ici réservés aux hommes. Si bien qu’aujourd’hui, « nombreux sont ceux qui ont du mal à trouver leur place d’homme, relève Jean Mollon, gestalt-thérapeute et co-animateur du groupe « Viens si t’es un homme », à L’École parisienne de gestalt. Ils ont peur, s’ils expriment leur puissance, de passer pour violents ou d’effrayer les femmes avec leur désir ». Certains se cachent derrière une extrême serviabilité, s’inhibent jusqu’à, parfois, refuser la sexualité, tandis que, de leur côté, « les femmes souffrent du manque d’affirmation des hommes », poursuit Jean Mollon.



Avoir le plus beau… vélo

 

La virilité est d’abord une élaboration psychique « qui se met en place, entre 3 et 8 ans, avec le complexe d’OEdipe. Le petit garçon veut à la fois être aussi fort que son papa et s’en débarrasser », explique Françoise Moscovitz, psychanalyste. Comparant son sexe à celui de son père (ou à celui de son oncle, de son grand-père…), il s’interroge sur sa conformité anatomique. Parce qu’elle se construit à la fois dans l’inquiétude de ne pas surpasser cette puissance fantasmée, dans la volonté d’éblouir sa mère et dans le stress culturel d’« être un vrai mec », la virilité prend des allures de Saint-Graal. Avec toujours ce désir d’en avoir « une plus grosse », en espérant que cette baguette magique lui donne l’assurance manquante.
D’autant que, pour les psychanalystes freudiens, la fierté d’avoir un phallus se mêle à la peur archaïque de la castration : si les filles n’en ont pas, c’est que le garçon peut perdre le sien. « Dès l’école, avoir, par exemple, le plus beau vélo le protège inconsciemment de cette menace. En multipliant les objets phalliques, il se tranquillise sur sa puissance et comble sa peur du manque », note Françoise Moscovitz.
La mère a alors un rôle primordial : « Pour que le garçon acquière l’intime conviction d’être un homme, il faut qu’elle l’appréhende comme tel, porteur d’une virilité destinée aux autres femmes. De son côté, le père doit à la fois “l’épater”, disait Lacan, et l’aider à devenir un homme », insiste Pierre Marie, psychanalyste et auteur de La Croyance, le Désir et l’Action (PUF, 2011). Pour cela, il doit accepter qu’il le dépasse et l’encourager à aller voir ailleurs, sur d’autres terres que les siennes.

En roulant des mécaniques avec les copains, en étant le plus fort ou le plus malin, le garçon se rassure aussi sur son genre. Il démontre qu’il est homme parmi les hommes, avant de pouvoir, dernière étape de la construction de la virilité, à l’adolescence, rencontrer les femmes. Ou les hommes, car la psychanalyse considère que la structure féminine et masculine est présente chez les deux sexes. Quel que soit le choix du partenaire amoureux, la virilité se valide dans l’altérité. Et « un homo danseur étoile peut se sentir plus viril qu’un hétéro rugbyman », précise Bernard-Élie Torgemen.
Au temps des premiers ébats, c’est donc le grand saut, empreint de crainte de ne pas être capable ou pris au sérieux. « Si l’on n’a pas été accueilli, à ce moment-là, par la femme ou l’homme désiré, peut s’ancrer la peur de ne pas être assez viril », souligne Jean Mollon. Et même quand ça se passe bien, l’inquiétude ne s’envole pas pour autant. « Elle était plus âgée, et m’a dit que personne ne lui avait fait l’amour comme cela. Ça m’a ébranlé : être un homme pouvait donc tenir au jugement d’une femme », se souvient Philippe, 39 ans.
« Finalement, la vraie réassurance se produit lorsque l’on tombe amoureux, que l’on découvre que l’on peut être faillible et aimable », éclaire Bernard-Élie Torgemen. La virilité est enfin remise à sa (moindre) place. Car, affirme Jean Mollon, « aller pleinement au contact de l’autre demande d’identifier ses forces autant que ses fragilités. Quand je me sens fort à l’intérieur, je peux l’être à l’extérieur ». Apprendre à parler de soi, faire place aux émotions : autant, selon nos représentations, de « trucs de filles » qui font des hommes agissants, capables de prendre des décisions. Des hommes virils, tendres et solides à la fois.

A DÉCOUVRIR

 

A lire

Histoire de la virilité sous la direction d’Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine et Georges Vigarello. Trois volumes qui nous apprennent que, dès l’Antiquité grecque, l’homme devait associer force, courage, puissance sexuelle et morale. La virilitas romaine se veut ensuite l’accomplissement du masculin. La chevalerie y ajoute la courtoisie, le XIXe siècle, le patriotisme. Et Brando, le maillot de corps (Seuil, 2011).

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Les hommes se sentent-ils encore virils ? Les hommes ne sont plus ce qu’ils étaient. S’il n’est pas le premier à le dire, Serge Hefez, thérapeute du couple et de la famille, est l’un des rares à s’en réjouir...

mercredi 11 mai 2016

Qu’est-ce qui fait courir les aventurières ?


Elles escaladent l’Everest, couvrent les guerres ou s’embarquent à bord d’une navette spatiale…Leur point commun ? Des parents qui n’ont pas étouffé leurs passions.



Quelle est la nature et l’origine de cette force qui leur permet de repousser si loin les limites du corps et du courage ?

Catherine Reverzy se dit d’abord frappée par la grâce, l’aisance physique qui reflète leur équilibre psychique. L’une des idées les plus intéressantes de son livre est en effet la suivante : plus tôt on se sent affectivement sécurisé par ses parents, plus on est capable de s’en détacher, et d’aller loin dans la réalisation et le dépassement de soi. La plupart des femmes d’aventure ont eu un père présent et une mère tendre, des parents exigeants qui ont su rester fermes.
Pour eux, l’effort sportif et la nature, la mer, la montagne étaient des valeurs fortes. Si bien que leurs filles, à leur tour, se sentent "reliées" non seulement à leurs proches, mais aussi à la Terre, au cosmos, à l’humanité. Sans être idéaux, ces parents ont été "suffisamment bons" pour ne pas étouffer les passions et les rêves de leur fille. Ce soutien permet aux "intrépides" d’avoir le champ libre, psychiquement parlant, pour aller plus vite, plus loin, plus fort. Leur chance est de ne pas avoir à trop se préoccuper de leur sécurité intérieure.
Abordent-elles l’aventure autrement que les hommes ?

L’exploit pour l’exploit, semble-t-il, les intéresse moins. Elles aiment lui donner un but humanitaire, écologique ou culturel. Incontestable, en revanche, est leur moindre force physique. Aussi s’emploient-elles à contourner ce handicap en redoublant de détermination, de souplesse et de faculté d’adaptation.
« Dans la jungle, là où l’homme passe avec un coupe-coupe, une femme repousse doucement la végétation de l’épaule », confie Nicole Viloteau, photographe naturaliste. Et si les baroudeuses crèvent parfois de peur, Alexandra Boulat, photographe de guerre, affirme : « Un homme a aussi peur que moi. La différence, c’est que je le dis… »
Néanmoins, ces différences sont finalement minces. Il faut dire que ces femmes mobilisent en elles des qualités que l’on impute traditionnellement aux hommes. « Deux personnes coexistent en moi : le vieux soldat aguerri au danger et la femme qui s’émerveille », observe Nicole Viloteau. N’ayant pas eu peur pour elles, leurs parents ne les ont pas limitées sous prétexte qu’elles étaient des filles. Elles ont été élevées, non pas comme des garçons, mais sans qu’il soit fait de différences avec eux : Christine Janin a fait du football comme ses frères, dès l’âge de 4 ans, Priscilla Telmon, grimpeuse de l’extrême, voulait barrer comme son aîné… Quand les filles de leur âge pensaient garçons, chanteurs et chiffons, elles rêvaient de sommets himalayens, d’expéditions polaires, ou de voyages dans l’espace comme Claudie Haigneré.
Souvent, elles se sont senties un peu à part, un peu garçons manqués – alors qu’elles étaient des "filles réussies", s’insurge l’océanographe Anita Conti. Il a fallu, à l’âge adulte, qu’elles soient rebelles pour imposer leur choix et oser dire non à une vie rangée, correspondant mieux à l’image traditionnelle de la "féminité". Souvent encore – mais de moins en moins semble-t-il – les intrépides doivent justifier leur refus de la maternité, ou son report, alors que l’on demande rarement aux aventuriers si la paternité leur manque ! L’argument le plus touchant de ces femmes étant que l’on ne peut à la fois prendre de tels risques et fonder une famille…

Les femmes d’aventure ne sont pas des femmes exemplaires

Ce sont des femmes heureuses, auxquelles il faut un double courage : celui d’affronter la peur et le danger, et celui de ne jamais renoncer à ce qui est essentiel pour elles-mêmes. Que, de plus en plus, la société occidentale leur permette de se réaliser en s’écartant des sentiers battus de la féminité, est une « preuve de haut degré de culture et d’humanité », estime Catherine Reverzy. De ce point de vue, plus les différences entre hommes et femmes se gomment, plus il est possible, pour les personnes des deux sexes, de s’épanouir dans une multiplicité d’êtres que chacun peut inventer.

Entretien avec Claudie Haigneré, cosmonaute : « Là-haut, toutes les différences se gomment »

 

Elle devait partir, le 21 octobre dernier, à bord d’un vaisseau Soyouz, pour une mission de dix jours sur l’ISS, la Station spatiale internationale, en qualité d’ingénieur de bord n°1. Claudie Haigneré (ex-André-Deshays) obtient son baccalauréat scientifique à 15 ans ; à 24, elle devient médecin rhumatologue ; deux ans plus tard, elle lit une annonce du Centre national d’études spatiales (CNES) qui recrute des scientifiques pour ses futures missions. Mille candidats, cent femmes, elle est l’une des sept sélectionnés. En 1996, trente et unième femme de l’espace, elle embarque à bord de Soyouz pour une mission de seize jours en orbite autour de la Terre.
Première cosmonaute française, Claudie Haigneré annonce, elle aussi, une nouvelle manière d’être une femme, une manière libre, ardente, rebelle et joyeuse, où la féminité ne saurait se réduire à être femme et mère de…
Psychologies : Avez-vous été freinée dans vos rêves parce que vous étiez une femme ?

Quand j’ai vu Neil Armstrong poser le pied sur la Lune, en 1969, j’avais 12 ans. J’ai tout de suite rêvé d’aller dans l’espace, sans penser qu’être une fille poserait un problème. La féminité n’a d’ailleurs jamais été un obstacle à ma progression. Il faut dire que je réussissais avec facilité… Néanmoins, ayant été sélectionnée en 1985, je ne suis allée dans l’espace que onze ans plus tard, en 1996. Si j’avais été un homme, militaire et pilote de chasse, j’aurais sûrement volé plus tôt.

Dans votre métier, à quelle occasion ressentez-vous le fait d’être une femme ?

Mes collègues masculins sont d’une grande galanterie. Lors du vol que j’ai accompli, Ils vérifiaient, par exemple, que mon logement – le siège – dans la cabine était bien amarré, car c’est un geste qui exige beaucoup de force. Autre geste d’attention : au cours des sorties extravéhiculaires, physiquement très éprouvantes, mon commandant prenait en charge des choses que je ne pouvais pas faire. Mais ensuite, je faisais deux fois ma part.

Lors de l’entraînement ou des vols, des différences psychologiques sont-elles apparues entre cosmonautes des deux sexes ?

En vue des explorations martiennes nécessitant des vols de longue durée, de nombreuses expériences d’isolement et de confinement ont été menées. Elles ont montré que les équipages mixtes sont plus performants, hommes et femmes ayant des approches différentes de l’organisation du travail, de la prise de décision, de la résolution des conflits.

Quand la Terre apparaît à travers le hublot, pensez-vous ressentir une émotion spécifique ?

Il y a toujours des différences. Peut-être une femme sera-t-elle plus sensible aux couleurs, à la lumière, à la beauté d’une planète ronde et bleue, seule au milieu d’un cosmos noir, à la fragilité d’une Terre protégée par une si fine couche d’atmosphère. Mais les hommes le ressentent aussi. Les différences doivent plutôt porter sur la manière de le raconter, et relèvent, à mon avis, davantage de la culture, de l’éducation et du bagage professionnel. Parce que je suis médecin, je ne ferai pas les mêmes comptes rendus qu’un militaire pilote de chasse. Cela dit, quand nous sommes là-haut, toutes les différences se gomment. Nous ne sommes plus ni homme, ni femme, ni russe, ni français. Seulement des êtres humains en train de vivre une expérience exceptionnelle. Nous sommes des "terriens"…

Parce que vous êtes médecin rhumatologue, femme, mais également maman, vous allez raconter l’espace à des enfants malades.

Oui, dans le cadre de mon parrainage de l’association Kourir, qui se consacre aux polyarthrites rhumatoïdes infantiles, aux enfants qui souffrent à longueur de journée de ne plus pouvoir marcher, d’avoir les articulations tuméfiées et enflammées. L’une des nombreuses retombées de nos expéditions est de pouvoir leur apporter un peu de rêve, de bonheur, et l’espoir de réussir à mener une vie riche et pleine.

Vous sentez-vous féministe ?

Je me sens féminine et très heureuse d’être une femme. J’accepte aussi de me faire le témoin et le messager des femmes. Il est vrai que le débat sur la parité me préoccupe. Je crois que les jeunes gens qui sont ensemble sur les bancs de la fac, dans les mêmes écoles de médecine et d’ingénieur sauront bouger. J’espère que la jeune génération masculine donnera aux femmes la disponibilité dont elles ont besoin pour s’engager dans un épanouissement complet.

A lire

Femmes d’aventure de Catherine Reverzy (Odile Jacob)



lundi 9 mai 2016

Garçons-Filles, Sommes-nous trop pareils


C’est une question cruciale de notre époque : les différences entre hommes et femmes sont-elles indépassables ? En toile de fond de ce débat : le désir, la rencontre, la possibilité de s’aimer, le rôle de chacun… Etat des lieux des réponses les plus engagées.



Les hommes se féminisent-ils ? Les femmes se masculinisent-elles ? Depuis les années 1970, la conquête de l’égalité entre les sexes – pas encore gagnée – a fait exploser les anciens repères, tant psychologiques que sociaux, et redistribué les rôles. Les premiers auraient basculé du côté yin (amants nounours, papas poules, métrosexuels…), et leurs compagnes du côté yang (amazones sexuelles, femmes de pouvoir, mères à la carte…).
A tel point qu’aujourd’hui, l’indifférenciation sexuelle serait une vraie menace pour les individus et la société.

Ce risque est au centre de débats violents. D’un côté, ceux qui considèrent que réduire le féminin et le masculin à des caractéristiques anatomiques, biologiques ou culturelles enferme les deux sexes dans un rôle de composition étroit. De l’autre, les défenseurs de la différence, des psychanalystes essentiellement, pour qui prôner l’altérité, c’est s’inscrire dans une dynamique de vie.
La peur de l’altérité

La psychanalyste Hélène Vecchiali, in Ainsi soient-ils, sans de vrais hommes, point de vraies femmes(Calmann-Lévy, 2005), dénonce la féminisation des hommes. Une évolution dommageable, puisque c’est l’attirance entre les deux sexes qui en pâtirait. « Le désir ne se manifeste que dans l’altérité, insiste-t-elle. En recherchant du semblable, on se ferme au désir, au plaisir et à la connaissance de soi. Parce qu’elle nous confronte à l’inconnu, l’altérité est un risque. Elle fait peur à une époque où l’on cherche avant tout à se rassurer. »

L’absence de confrontation à la différence est ce que les partisans de la différenciation sexuelle dénoncent comme une régression majeure. Ne pas accepter les caractéristiques et les limites de son sexe, ainsi que celles de l’autre, traduit pour Gérard Bonnet, auteur de L’Autoanalyse (Puf, Que sais-je, 2006), psychanalyste et sexologue, un fantasme infantile d’hégémonie caractéristique de notre époque.

« Freud a découvert que l’être humain est originellement bisexuel, il se construit ensuite en tant qu’être sexué. Aujourd’hui, notre société exploite ce fantasme de bisexualité, qui est une aspiration à la toute-puissance : “Je peux être tout !” Or la différence des sexes est une réalité biologique, l’accepter, c’est accepter la réalité.
Cette réalité est le point de butée de notre narcissisme. Pour se construire, il faut se heurter à des limites. Grâce à elles, on peut rencontrer l’autre, et dans l’amour, l’éblouissement vient de ce que l’on est face à un être humain différent. Y compris dans les couples homosexuels. »
Des rôles en mouvement

« Qu’est-ce qui vous attire chez l’autre et que vous considérez comme spécifiquement masculin ou féminin ? » Nous avons posé cette question sur notre site Internet. Parmi les réponses, celle d’Anne, qui vit en couple depuis huit ans. Elle avoue dans un long courrier ne plus éprouver de désir pour un homme « sensible, trop fragile et trop soumis », qui, selon elle, est davantage en demande d’affection que de relations sexuelles…
A l’opposé, Coralie, mère d’un petit garçon de 2 ans, se dit séduite et émue par son homme, bien plus maternel qu’elle. « Il a choisi de travailler à la maison pour élever notre fils. Il est incollable en psychologie des enfants comme en nutrition. Il s’épanouit dans la paternité tout en restant mon amoureux, attentionné et fougueux. Le rêve, quoi ! » Des témoignages qui montrent bien qu’en matière de « qualités féminines-qualités masculines », chacun a le droit de préférer ce qu’il veut.
« Ce que notre siècle découvre, après Freud, c’est qu’il n’y a d’identité féminine ou masculine qu’en devenir, avance Anne Dufourmantelle, psychanalyste et auteure de La Femme et le Sacrifice (Denoël, Médiations, 2007). Un homme abrite en lui une part féminine, qui peut d’ailleurs entrer en rivalité avec les femmes qu’il rencontre. Et la femme a une part masculine, ô combien sollicitée de nos jours. Un homme peut entrer dans un processus de féminisation, ou bien une femme peut se viriliser à la faveur d’une relation, d’un travail, d’un contexte particulier, mais aussi à partir de données de sa petite enfance, et ce processus dynamique ne cesse pas, tout au long de l’existence, de se faire. »

Bafiala, une de nos internautes, écrit : « Je ne me suis jamais sentie aussi bien dans mon corps de femme que depuis que je suis avec lui, parce tout est clair. Nous sommes plutôt vieux jeu, nous pensons que chacun doit avoir des tâches bien définies. » Le compagnon de Bafiala a peut-être une conception « vieux jeu » des relations hommes-femmes, mais cela ne l’empêche pas, dixit sa compagne, « de passer plus d’heures que moi à se pomponner dans la salle de bains et d’exprimer ses sentiments plus facilement que moi ».

Qui est masculin, qui est féminin ?

Dans l’essai aussi pertinent qu’impertinent qu’elle vient de consacrer à la question de la différence sexuelle, la journaliste Cécile Daumas met en avant une conception souple et moderne de l’identité sexuelle. « Comme la psychanalyste Sabine Prokhoris, je pense que nous avons tous, hommes et femmes, intérêt à considérer le genre comme une sorte de nuancier dans lequel coexistent tous les degrés, du plus féminin au plus masculin, plutôt que comme l’opposition entre deux blocs d’identité qui s’opposent : le féminin “et” le masculin. D’ailleurs, c’est ce qui est en train de se passer dans les faits. »
Les témoignages que nous avons reçus esquissent cette nouvelle géographie. Féminin et masculin s’y croisent et s’entrelacent, exprimant un désir à chaque fois singulier. Estelle nous écrit : « Son torse musclé, son côté viril m’attire… Dans la vie quotidienne, il ne montre pas beaucoup son côté mâle, mais j’avoue que pendant l’acte sexuel, j’aime quand il prend le dessus sur moi. » Luc vit avec Pierre depuis quatre ans : « Notre couple est plus différencié que celui que forme ma sœur et son mari, constate-t-il en riant. Eux sont tous les deux blonds, maniaques, passionnés de généalogie, on dirait des jumeaux… Quant à Pierre et moi, nous sommes homos, ce qui veut dire “mêmes”, pourtant nous sommes aussi différents que le jour et la nuit. Je n’aimerais pas me voir dans l’autre comme dans un miroir, quel intérêt ? »
Au fur et à mesure des témoignages, une conclusion, ni définitive ni absolue, se dessine et court comme un fil rouge : le désir se nourrit de la familiarité rassurante du semblable, mais s’électrise au contact de la différence. Une relation épanouissante n’est peut-être pas tant basée sur une différenciation sexuelle stricte – « moi Tarzan, toi Jane » – que sur notre capacité à accepter et faire cohabiter nos différences… pour mieux jouer avec elles.

A lire

Qui a peur du deuxième sexe ? de Cécile Daumas

Existe-t-il un éternel féminin et un éternel masculin ? Quelles sont les vraies différences entre hommes et femmes ? L’identité sexuelle ne peut-elle se jouer que dans l’opposition ? 

Telles sont les questions très actuelles et forcément très polémiques que pose Cécile Daumas. Un livre pour mieux comprendre les enjeux de la guerre des genres (Hachette, 2007).