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vendredi 13 janvier 2017

De la Danse Orientale au Tribal Fusion



Le terme de danse orientale semble bien vague. Traduction littérale de l’arabe raqs al-sharqui, il désigne cependant quelque chose de bien précis : la danse répandue dans l’est du Bassin Méditerranéen, qui se caractérise par la rotation et les mouvements onduleux du bassin et des hanches, du buste et des bras, et par de vigoureux hanchements.

Parler, en dehors des milieux dans lesquels elle est pratiquée, de danse orientale, de «danse du ventre», amène souvent un silence choqué de l’interlocuteur – à moins que quelque plaisanterie gauloise ne jaillisse – l’une et l’autre attitude étant bien significatives de la tournure d’esprit de la plupart des gens et de leur ignorance. Il faut dire à leur décharge que les spectacles offerts aux touristes amateurs d’exotisme dans certains restaurants, cabarets et night-clubs aussi bien d’Europe que du Proche-Orient, sont encore trop souvent provocants et vulgaires, sans réelle valeur artistique. Sensuelle mais non érotique, la danse orientale peut être pudique, élégante, racée, voire même prendre des aspects hiératiques et nobles.

La danse orientale n’a pas de date de naissance précise, comme en a, par exemple, la danse classique française. Est-elle née chez les Phéniciens ? (la Phénicie occupait l’emplacement approximatif du Liban actuel). Les Tsiganes l’ont-ils apportée du nord de l’Inde ? A-t-elle été introduite en Egypte par les Turcs ?

Thèse la plus communément admise, l’Egypte, conquise en 1415 par les Turcs, ayant fait partie de l’empire ottoman pendant plus de 400 ans ; ou bien les Turcs l’ont-ils au contraire apprise des Egyptiens ?

Les opinions s’opposent, toutes étayées. Il semble que ce style de danse soit la survivance d’une forme de danse liée aux rites de fertilité, au culte de la Déesse Mère des sociétés matriarcales. Ils reproduisaient symboliquement les mouvements de la conception et de l’enfantement et glorifiaient la maternité en représentant la conception mystérieuse de la vie, la souffrance et la joie avec lesquelles une nouvelle âme est mise au monde et célébrait le renouveau de la nature au printemps.


On a retrouvé des traces de cette forme de danse dans le monde entier :

Mouvements de hanches et de ventre très nets sur des peintures rupestres d’Afrique et du Levant espagnol ; sur des sculptures de l’Inde et de la Grèce Antiques ; en Egypte Ancienne dans le culte de Baktet et de la déesse Hathor ;  sur la voie Appia à Rome ;

Description de femmes dansant des nuits entières, entre elles, dans les collines de l’Ancienne Anatolie ;

Danses sauvages des femmes de Sparte dans les temples d’Artémis, déesse de la lune et de la fécondité ; à Chypre, danses érotiques et extatiques des prêtresses d’Aphrodite ;

Dans la Bible : danse de la Sulamite dans le Cantique des Cantiques ; danse de Salomé dans les Evangiles ;

Romains se délectant à voir les danseuses syriennes qu’ils avaient fait venir vers 60 avant JC ;

Poème de Virgile – remarquable mais peu connu – la Copa (ou Fille d’auberge), dont l’héroïne est une danseuse syrienne ;

Description par Pline le Jeune, Martial et Juvenal, des danseuses de Cadix (alors colonie phénicienne), qui dansaient nues et qui, selon Juvenal, plaisaient davantage encore aux femmes qu’aux hommes.

Chroniques d’Adam de Brême, au XIè siècle, dans lesquelles il se plaint des danses lascives des femmes du nord de l’Europe ;

Danses traditionnelles du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, telles la danse bédouine parmi d’autres, la guédra, danse en grande partie assise, toujours pratiquée dans le sud du Maroc et le nord de la Mauritanie ;

Danses des femmes Maori, en Nouvelle-Zélande, qu’on pouvait encore voir en 1950 ; oupa-oupa tahitien, tamouré ;

Danse hula-hula des iles Hawai, toujours pratiquée, danses antillaises ;

Danse pelvienne des Bafioti de Loango et d’autres ethnies en Afrique Occidentale ;

Danse similaire en Nouvelle-Guinée ; dans les îles Salomon ;

Femmes banjara de Delhi, au ventre tatoué, toujours célèbres pour leurs danses et qui sont des tziganes ; alors que les Indiennes portent généralement le sari de danse, les banjara portent jupe basse et boléro ;

Nomades tziganes du Rajasthan, dansant dans les villages avant de faire la quête.

La danse orientale est la seule danse au monde qui fait “danser le ventre”. Le ventre ! Centre de vie de la femme. C’est le coeur de notre anatomie, de nos énergies, de notre féminité. Dans la pratique, nous sollicitons les abdominaux et le périnée. Pour les solliciter, il faut les maîtriser. Ce travail est fait en cours. Bien souvent, les élèves disent alors “découvrir leur corps”. Or, découvrir son corps, c’est se l’approprier. C’est, pour elles, l’occasion de l’écouter, le respecter et souvent de s’en émerveiller. Elles se réconcilient avec ce corps qui, pour des raisons personnelles, leur a, un jour, échappé.

L’American Tribal Style (A.T.S.) : Une base commune, source de cette danse

L’American Tribal Style Bellydance a ses racines dans les danses tsiganes du Moyen Orient auxquelles s’ajoute la sensibilité artistique américaine  contemporaine (Rina Orellana Rall). Le style tribal est né aux Etats-Unis à la fin des années soixante avec Jamila Salimpour. Lors de la «Renaissance Pleasure Fair» (à Berkeley), Jamila Salimpour, professeur de danse orientale, et sa troupe doivent répondre à l’exigence esthétique de la période médiévale.

Pour y répondre avec la plus grande authenticité possible, Jamila travaille donc l’année suivante sur les origines de la danse orientale, ses racines tziganes comme ses styles traditionnels et présente sa nouvelle troupe Bal-Anat en costumes traditionnels.

Au cours de ses recherches ethnologiques et sociologiques, Jamila retrouve les traditions de ces danses tant dans les mouvements que dans les costumes et les maquillages. Dès lors, elle les mélange, les fusionne à chacune de ses représentations. La danseuse Morocco de New York discutant avec Jamila de sa troupe parlera de Tribal Californien ou Tribal Américain (1998) dans la  façon qu’elle a alors de fusionner différentes tribus et différents styles. Ce nom est toujours utilisé aujourd’hui.

Ce style s’identifie à deux caractéristiques majeures : d’une part, l’emploi de mouvements issus des danses folkloriques orientales et tziganes au sens  large, et d’autre part des costumes composés d’éléments traditionnels de différentes cultures (jupes, cholis, turban, bijoux anciens, sagattes...). Puis, quelques-uns des danseurs de cette troupe quittent le groupe pour continuer leur propre route. Les plus fameux sont : John Compton (Directeur de la Troupe Hahbi’Ru), Katarina Burda (Directrice de la Troupe Aywah dont Mira Betz, Zoe Jakes et Elizabeth Strong faisaient partie) et enfin Masha Archer.

Styliste et créatrice de bijoux ethniques, Masha ajoute à ce début de fusion, une esthétique particulière où large sarouel et turban alourdi de bijoux ethniques sont les pièces maîtresses. Côté danse, elle met en scène la troupe (organisation de l’espace scénique) et ouvre les musiques aux harmonies occidentales. Elle développe aussi l’idée d’une danseuse orientale féminine et puissante, à l’encontre de l’image féminine et séductrice de la danse orientale de cabaret. 


Puis Carolena Nericcio, élève de Masha Archer depuis l’âge de 14 ans, fait évoluer le concept de danse en troupe improvisée. Elle organise la danse, la codifie pour pouvoir présenter sur scène une improvisation collective synchronisée. Elle est la créatrice de l’American Tribal Style Bellydance (ATS) et la directrice de la compagnie Fat Chance BellyDance (FCBD). Les costumes sont ethniques (bijoux afghans et berbères, jupes gypsy, turban indien sur la tête, tatouages tribaux sur le visage), la danse se pratique en communauté. Les solistes n’existent pas. Les mouvements fusionnent la danse orientale, la danse khatak d’Inde et le flamenco. C’est une danse de semi-improvisation basée sur le principe «lead & follow» et des «cues» : un meneur «leader» entraîne le reste de la troupe «followers» dans des combinaisons de mouvements déclenchés par des clés «cues». Chaque danseur est tour à tour meneur et «suiveur». L’énergie et la complicité du groupe prime sur la qualité artistique individuelle. L’ego n’a pas sa place dans cette danse.

American Tribal Style : Une interprétation personnelle et créative

Ce style a finalement été appelé «American Tribal Style Belly Dance». Lui donner un nouveau nom permet de le distinguer définitivement des autres danses orientales traditionnelles. «American» rappelle qu’il s’agit d’une invention et «Tribal Style» parce que c’est une danse de groupe où les danseurs portent des costumes venant de différentes tribus (source : site des FCBD).

L’ATS est la seule danse au monde qui utilise le format «cues-lead-follow» et permet d’improviser une danse de troupe parfaitement synchronisée. Grâce à ce langage non verbal, la communauté prend vie sur scène et crée cette magie de l’instant où l’on doit être attentif à l’autre en oubliant son égo et ses propres ambitions. La philosophie de cette pratique artistique est donc :

- le respect des origines des danses
- l’écoute de l’autre et l’humilité
- renforcer la beauté féminine en développant sa confiance et sa force. 


Enfin, Jill Parker quitte la troupe des FatChance Bellydance. Elle souhaite pouvoir créer de nouveaux mouvements en y ajoutant ses propres influences. C’est le début du style American Tribal Fusion Bellydance. Jill est directrice de la compagnie Ultra Gypsy et devient la première danseuse d’American Tribal Fusion Bellydance (ATF - Danse orientale Tribale Fusion Américaine).

D’abord membres des UltraGypsy, elles ont ensuite suivi leur route : Rachel Brice, Sharon Kihara, Rose Harden pour les plus connues. Puis, des solistes apparaissent ainsi que des troupes utilisant des chorégraphies. Les artistes agrémentent la base ATS de leurs propres influences (jazz, hiphop, odissi, contemporain...) et beaucoup d’entre elles utilisent la technique Suhaila Salimpour qui leur permet une maitrise totale de leur musculature exécutant alors sur scène des «isolations» fascinantes. Les costumes se personnalisent, la musique fusionne, voire devient électro.

Aujourd’hui, il existe plusieurs courants tels que : fusion gothique, fusion burlesque, fusion romantique, fusion urbaine... Le point commun à toutes : l’ATS, la posture, l’attitude et la fusion.

L’ATF, toujours fidèle à la philosophie de l’ATS, stimule la création artistique personnelle. Ouverte à toutes les fusions, elle ne demande rien d’autre que d’être soi même. C’est une quête vers sa propre identité qui se nourrit et s’enrichit de l’ouverture à l’autre.

La philosophie de cette pratique artistique est donc :

- le respect de ce que l’on pressent être nous-même ;
- l’ouverture vers d’autres danses ;
- l’expression collective d’une identité personnelle.


Techniquement
Le groupe apprend ensemble un certain nombre de mouvements (ou variations). Il a donc le même vocabulaire de danse. Comment dire à ses partenaires que l’on va exécuter tel ou tel mouvement ? C’est tout l’intérêt des “cues” (ou “clés”). Au lieu de parler sur scène à ses partenaires qui ignorent ce que le leader veut danser, celui-ci exécute un mouvement de tête, de bras ou de main pour indiquer la variation à exécuter. En ATS (renommé ATP par C. Nericcio American Tribal Pura), ces clés sont répertoriées dans une sorte de dictionnaire appelé “format”.

Toutes les danseuses du monde, connaissant le format ATP, sont capables de danser dans un ensemble synchronisé à un instant “T”. En ATS ou ITS (Improvisation Tribal Style), chaque troupe crée son propre vocabulaire collectif sur la même base de “clés” et “variations” et peut ainsi improviser sur l’instant. Carolena Nericcio a également imaginé un système de placement des danseuses permettant à la troupe d’improviser. Le “leader” ou “meneur” est toujours devant à gauche, et les “followers” ou “suiveurs” derrière lui. Tous les danseurs sont tournés légèrement de profil pour apercevoir le “leader” en utilisant leur regard périphérique. Il existe ensuite, plusieurs types de “formations” de troupe. Elles portent des noms : “stagger”, “horse shoe”, “duet”, “circle”...

Le concept est ainsi fait que chaque danseur devient “leader” quand il le désire, tout le monde doit alors le suivre. Ensuite, il quitte sa place quand il le désire également. Les danseurs sont donc, dans une même performance, tour à tour meneur et suiveur. Cela implique donc : de la modestie (quand on est “suiveur” on ne se permet jamais de juger la qualité du “meneur” car à un moment les rôles s’inversent), de l’attention à l’autre (il faut être attentif au signe du “meneur” pour exécuter le format de mouvement indiqué par ses clés), une forte conscience de soi et du groupe pour respecter constamment les placements afin que tous soient vus du public.

Les tatouages et les costumes
Les tatouages existent depuis la nuit des temps dans un bien grand nombre de tribus d’Orient et d’ailleurs. Les Californiennes des années 80 étaient également majoritairement tatouées : il n’est plus un signe d’appartenance à une communauté marginale mais prend véritablement une valeur d’esthétique corporelle. C’est donc tout naturellement que ces femmes ont également fusionné leurs tatouages avec ceux des tribus orientales : le visage est décoré, le corps tatoué. Ces deux apparats font partie intégrante du costume.

Le costume reprend différents atours des danses traditionnelles et folkloriques d’Orient. En opposition à la danse orientale égyptienne classique ou «Raqs Sharqui», le costume est une pièce unique souvent créé par la danseuse elle-même. Il reflète sa vie, ses goûts. Les tissus sont à base de matières naturelles (coton, lin, soie), les accessoires aussi (coquillages, plumes, os, bois, laine). Les bijoux sont antiques. Au fil des ans, les costumes témoignent également de la culture de chaque danseuse : il devient plus contemporain. Les fibres naturelles disparaissent pour laisser place à des matériaux et accessoires plus synthétiques.


Masher Archer fut la première dans les années 70 à proposer des musiques originales et non orientales lors de ses représentations. Même si aujourd’hui encore, les danseuses utilisent des musiques orientales traditionnelles ou remixées, dans ce domaine également la fusion est là. Aujourd’hui, de nombreux DJ se spécialisent dans la création de musiques pour danseuses tribales. On y retrouve les influences orientales remixées ou des musiques électroniques. Seules les troupes de danses ATS continuent de danser sur des musiques très traditionnelles égyptiennes pour des raisons de simplicité rythmique.

Pour les danseuses tribales fusion, elles choisissent des musiques allant du remix oriental ou gitans jusqu’au rock’n roll en passant par l’électro, la techno, la variété, le rap. N’oublions pas qu’il s’agit de danse orientale tribale américaine. Quelques grands noms de compositeurs actuels : Solace, Amon Tobin, Mercan Dede, DJ Amar, Cheb i Sabbah, Oojami, The Toids, Pentaphobe, the Balkan Beat Box.

Pratiques professionnelles
En France, les artistes du spectacle vivant découvrent cette danse et voient en elle une opportunité professionnelle supplémentaire.

Développement de la créativité
Parce qu’elle fusionne différentes techniques, la danse orientale tribale fusion américaine pousse l’artiste à s’ouvrir à de nouvelles esthétiques. Parce qu’elle incite la danseuse à prendre, à un moment donné, la place de «leader», elle force sa créativité spontanée. Parce que le costume de la danseuse tribale fusion est aussi unique et personnel que ses fusions, elle développe l’inventivité esthétique.

Création d’un univers visuel nouveau pour le public
En tant qu’organisatrice de spectacles, j’entends souvent le public exprimer son étonnement et sa fascination pour cet art inconnu qui mélange tant d’univers dans une danse serpentine qui les intrigue. C’est nouveau, alors c’est avant tout la découverte. On vient voir un spectacle de «danse orientale...» et on est très étonné de voir des danseuses se produire sur des musiques électro, rétro ou autres. Surpris aussi de la maîtrise corporelle qui permet des isolations de mouvements étonnantes. Attiré enfin par les  costumes, la multiplicité des accessoires, bijoux sublimes et coiffures sophistiquées.

Opportunité de vivre de son art
Aux Etats-Unis, nombreuses sont les danseuses professionnelles qui arrivent à vivre de cet art. Elles sillonnent le monde pour enseigner et danser. On dénombre environ une trentaine de professionnelles et des centaines de semi-professionnelles. Ailleurs en Europe, une petite dizaine de troupes ou danseuses professionnelles se produisent actuellement et quelques dizaines d’artistes semi-professionnels dansent assez régulièrement.

En France il y a, à ma connaissance, 3 troupes professionnelles et moins d’une dizaine d’artistes professionnels solistes. Les artistes du spectacle vivant commencent seulement à se produire et les professeurs, à enseigner. Il leur a d’abord fallu plusieurs années d’apprentissage dans des stages  internationaux en France et à l’étranger. La danse orientale tribale américaine est une danse récente. Nous avons donc la chance extraordinaire de pouvoir côtoyer encore aujourd’hui ces pionniers qui, un jour, en quête de racines et d’humanité, ont inventé une nouvelle façon de danser le monde occidental contemporain.

Aujourd’hui, la danse orientale tribale fusion américaine se développe doucement en France. Elle véhicule ses valeurs : esprit de tribu, ouverture à toutes formes de danses par la fusion.

Danse orientale tribale américaine : Un retour aux sources des danses collectives populaires avec pour base de mouvements la fusion des danses et des cultures. Elle est une pratique artistique qui combat les discriminations, force l’altérité, supprime les frontières et invite aux rencontres.

Sites des danseuses citées :

Jamila Salimpour et Suhaila Salimpour www.suhailainternational.com
Carolena Nericcio et «FatChance Bellydance» www.fcbd.com
Jill Parker and the Fox Gloves Sweet Heart www.jillparkerbellydance.com
Elisabeth Strong www.strongdancer.com
The Indigo Bellydance Company www.rachelbrice.com
Urban Tribal Dance Company www.urbantribaldance.com

Sources





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