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jeudi 25 août 2016

Peut-on apprendre à être féminine

De jolis gestes, un style sensuel et élégant, un peu de rouge sur les lèvres… Il existe mille et une façons de se sentir féminine. Mais comment y parvenir ? Trois regards sont déterminants : celui de notre mère, celui des femmes qui nous entourent et celui des hommes qui nous aiment.
Être féminine. Tel serait le désir le mieux partagé par les femmes qui font appel aux agences de « relooking » ou qui tentent, avec l’aide de divers magazines, de modifier leur apparence. La journaliste Alexie Lorca, qui vient de publier un ouvrage sur les femmes et l’image de soi - Moi et Moi, face à la dictature de l’apparence, des femmes témoignent d’Alexie Lorca (Larousse, 2008)-, rapporte que lors d’un appel à candidatures pour une émission de télévision, les postulantes ont toutes justifié leur démarche par cette même formule : « Je veux être féminine. » Comprendre « être plus séduisante », à leurs yeux mais aussi à ceux des autres. Un souhait parfois difficile à avouer aujourd’hui, tant il peut être pris pour un acte de soumission à la convoitise masculine.



Ce qu’il est aussi, soyons lucides, mais pas seulement. Et c’est toute la complexité de ce désir de supplément de féminité, celle-ci ne se réduisant heureusement pas à la séduction sexuelle. « Aujourd’hui, une femme féminine séduit pour créer de la relation avec l’autre, et non dans le seul but de se sentir désirable dans les yeux des hommes, avance la psychanalyste Isabel Korolitski. Ce qui est intéressant, c’est de se demander par quels moyens se sentir plus féminine, mais aussi quel fantasme on met en jeu dans ce désir. Ce qui est certain, c’est que la féminité est polymorphe, évolutive, à la fois transmission et apprentissage. »
Le poids de l’héritage maternel

Première femme de notre vie, première référence : notre mère. Déterminante dans la transmission de la féminité, en plein, en creux, en excès. À mère ultraféminine, fille coquette et soignée, et inversement ? Évidemment, l’alchimie est bien trop complexe pour être réduite à des équations aussi simplistes. En réalité, tout dépend des messages inconscients que délivrent les mères à leurs filles. « Les petites filles sentent très bien si leur mère se maquille uniquement pour plaire aux hommes, par plaisir et goût de la séduction, pour se sentir puissante, par automatisme ou pour réparer une blessure narcissique, poursuit Isabel Korolitski. De même qu’elles savent si elle ne se maquille pas par manque de confiance en elle, ou au contraire parce que c’est un choix conscient et heureux. Une fille va avoir tendance à reproduire le comportement de sa mère, quel que soit son mode d’expression, si elle la sent heureuse en tant que femme. »
Véronique, 37 ans, a pris le contre-pied d’une mère qu’elle décrit comme soignée, mais terne. « Contrairement à elle, je suis heureuse en couple, je me maquille, je m’achète de jolis vêtements, je ne suis jamais négligée, mais j’ai beau faire, je ne me sens pas très féminine. Même si je sais qu’il y a plusieurs façons de l’être. En fait, je crois que je n’ai pas la légèreté intérieure qu’il faudrait pour prendre plaisir à jouer avec le maquillage, les vêtements, ou avec mon corps, tout simplement. » Légèreté, esprit ludique, désir de séduire, mais aussi savoir-faire sont autant de voies d’accès à une apparence féminine. « Une mère qui donne des conseils pour se maquiller, pour se coiffer et s’habiller ou qui elle-même dégage cette compétence, cela fait toute la différence », témoigne Lou, 31 ans, qui n’a qu’une envie : vieillir comme cette mère aux jolis gestes et au style « simple, sensuel et élégant ».
Sœurs, modèles, amies… des influences marquantes

Si le premier des apprentissages se fait avec ou contre sa mère, il existe des influences et des inspirations tout aussi puissantes qui confortent, apaisent ou modifient notre relation à la féminité. « Les femmes apprennent les unes des autres, constate la psychologue clinicienne Maryse Vaillant. Entre elles, dans un rapport d’intimité, de sensualité, elles peuvent échanger leur ressenti, exprimer leurs sensations, leur rapport au corps, à l’image de soi… C’est dans ce “gynécée”, qui est celui des sœurs, des copines ou des amies, que l’on découvre, affirme ou remodèle son rapport à la féminité, sur le mode du désir, du doute ou de la crainte. » Il faut alors ne pas hésiter à solliciter le conseil ou les critiques de femmes que l’on admire et en qui l’on a confiance. Combien de « relookings » gratuits et réussis se font sur la base de préconisations avisées sur une coupe, une couleur de cheveux, une inspection sans complaisance de sa garde-robe. L’amie ou la sœur vient lever un doute en nous ou réveiller une compétence censurée. Son regard voit ce qui nous échappe, son audace peut rallumer la nôtre. On peut réunir la somme de compliments divers qui vont dans le même sens, cela finit par dessiner une direction que l’on a intérêt à suivre si l’on sent qu’elle résonne de manière juste en soi.
Maryse Vaillant loue également les mérites du modèle qui inspire. Femme célèbre ou proche, elle influence à son insu. Parce qu’elle ose et s’impose, elle donne l’envie d’essayer à son tour. « La féminité, ce n’est pas un état figé, définitif, c’est une façon de se construire et de se modeler en jouant avec soi, avec tous les soi possibles. Elle rayonne lorsque sont dépassées les rivalités œdipiennes, que l’on ne se bat plus pour le père, pour l’homme, affirme Maryse Vaillant. Alors on incarne ce que j’appelle “l’être femme”, c’est-à-dire la capacité de jouer sa féminité sur les registres qui comptent pour soi, on vit toutes les dimensions et les contradictions de son être. Ce qui n’exclut évidemment pas que l’on puisse désirer éprouver sa féminité dans le regard désirant ou amoureux d’un homme. »
"La féminité est de l'ordre du désir mimétique", c’est un concept qui évolue. Quel est-il aujourd’hui ?

Michela Marzano répond : Il y a dans le discours une valorisation des différences, mais dans les modèles proposés, la féminité reste codifiée de manière rigide, notamment par l’hypervalorisation du triptyque « mince, jeune, sexy ». Du coup, les femmes sont prises dans le désir de s’affirmer de manière singulière et dans la crainte de ne pas séduire si elles s’éloignent trop des codes en vigueur. Les modes d’apprentissage évoluent également : aujourd’hui, on cherche ce qui fait envie chez les autres femmes de sa génération ou plus jeunes, et on le reproduit. La féminité est de l’ordre du désir mimétique. Le mythe du jeunisme sévissant, les mères sont, face à leurs filles, davantage en position de rivales que d’initiatrices. Ce qui est préoccupant, c’est de constater que chez les femmes d’aujourd’hui, l’idéal de féminité, c’est la jeune fille, l’adolescente.

Pensez-vous que la féminité se définit toujours par rapport à ce qui plaît aux hommes ?

Michela Marzano répond : Malheureusement, on continue à avoir comme point de référence central le regard des hommes. L’homme continue à donner le « la », on a intégré ses critères, et il est vécu comme une entité de jugement, censée pouvoir trancher entre ce qui serait féminin ou pas. Les femmes doivent continuer à faire un travail d’appropriation de leur désir pour vivre pleinement leur féminité.

A DÉCOUVRIR

Michela Marzano, est l'auteure d’Extension du domaine de la manipulation (Grasset, 2008).


Maryse Vaillant, est l'auteure avec Sophie Carquain d’Entre sœurs, une question de féminité (Albin Michel, 2008).

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