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mardi 30 août 2016

La figure féminine du divin


La fusion du masculin et du féminin est un des buts de la quête initiatique. L’union de l’homme et de la femme n’en est qu’un reflet symbolique. La seconde est fiançailles, la première est noce.

Jean-Pierre Augier, Union des Coeurs - Genève (Revue maçonnique suisse: août/septembre 2005)



Evoquer aujourd’hui la franc-maçonnerie et la femme conduit immanquablement maçons ou profanes à s’interroger, polémiquer même sur ce que d’aucuns considèrent comme un ostracisme archaïque et d’autres comme une intangible tradition: la non-mixité de la maçonnerie régulière et la non-reconnaissance par celle-ci de la maçonnerie féminine. Ces questions, pour brûlantes qu’elles paraissent à la raison contemporaine, sont loin de couvrir l’entier du thème. Osons même dire d’emblée qu’aux yeux de l’initié, dans la perspective notamment de la maçonnerie spiritualiste du Régime écossais rectifié, de telles questions n’ont qu’une importance secondaire. Car par nature symboliste et initiatique, donc fondamentalement orientée vers le spirituel, la franc-maçonnerie invite d’abord à comprendre le rôle du féminin dans la quête initiatique, le développement personnel et le travail spirituel; cela avant de penser la place de la femme dans l’initiation maçonnique. Cette approche, qui est celle du présent article et en explique le titre, n’exclut toutefois pas quelques réflexions préalables sur cette dernière question.

Critique profane et regard initiatique

Homme et femme sont sans conteste égaux sur le plan de l’esprit. Les femmes peuvent accéder aux plus hautes vérités transcendantes, rayonner d’une profonde autorité morale ou spirituelle, et rien à cet égard ne justifie qu’elles soient privées du sacerdoce, dont les écartent pour d’autres raisons de nombreuses religions. La femme est donc indiscutablement initiable. Restent toutefois ouvertes les questions de savoir si la nature de l’initiation féminine est différente, si la franc-maçonnerie est une voie appropriée aux femmes ou encore si l’initiation et, partant, la maçonnerie peuvent être mixtes.

Notre époque peine à distinguer égalité des sexes et confusion des genres. La pensée dominante récuse toute différentiation des rôles sociaux fondée sur le sexe et prône la mixité dans tous les domaines. Aussi, le caractère exclusivement masculin de la maçonnerie régulière et celui majoritairement non-mixte des autres obédiences suscitent-ils incompréhension et critiques allant jusqu’au grief d’archaïsme patriarcal ou de sexisme sectaire. La mise à l’écart des femmes ou le rejet de la mixité peuvent certes paraître opposés à l’universalisme de la maçonnerie, contraires à une fraternité exempte de ségrégation. Mais cette situation découle à la fois de la tradition, à laquelle sont foncièrement attachés les maçons, et de la volonté de ceux-ci, dans leur actuelle majorité.

Les explications profanes à cette attitude de la maçonnerie envers les femmes ne manquent pas. Des sociologues y verront une survivance de la division sexuelle des tâches sociales et du travail, un avatar de l’appropriation du savoir et du pouvoir par une classe. Des anthropologues diront que les rites initiatiques des tribus primitives ont en particulier pour but l’identification sexuelle et l’intégration communautaire, qu’historiquement l’initiation des hommes et des femmes a toujours été séparée. Des psychanalystes freudiens réduiront cette attitude à un tabou né du refoulement de la libido ou à une forme de résolution du complexe d’OEdipe. Des moralistes enfin y chercheront l’empreinte d’un idéal ascétique universel de dépassement des désirs et de chasteté, de délivrance des contingences terrestres.

Plus prosaïquement, nombre de francs-maçons, et des maçonnes aussi, considèrent la non-mixité en loge comme relevant de la sagesse pratique. Au regard notamment de la morale maçonnique, les risques de la fraternité entre sexes sont évidents. Légitime est donc le souci d’éviter le désordre des sentiments et les tentations de la chair; comme celui de rassurer son partenaire ou préserver sa famille. Les faiblesses des hommes étant ce qu’elles sont, et celles des femmes n’étant pas moindres, la présence de l’autre sexe perturbe souvent pensée et comportement; le travail maçonnique rituel, intellectuel ou spirituel peut s’en trouver parasité. Notre monde est de plus en plus mixte, mais hommes et femmes n’en restent pas moins prisonniers de leur image; au delà des plaisirs conviviaux, le partage entre personnes du même sexe, sans le masque porté devant l’autre, a une valeur positive.


Ces critiques, explications profanes ou justifications pratiques ne permettent cependant pas de prendre la vraie mesure des rapports entre maçonnerie et femme. Elles suscitent des débats relevant d’ordinaire plus du politique que de l’initiatique, stériles car elles ignorent ce qui est pour nous essentiel: le sens du féminin dans les trois dimensions, symbolique, psychologique et spirituelle de la franc-maçonnerie. Or pour découvrir ce sens, propre à clarifier et relativiser le problème des relations entre hommes et femmes en maçonnerie, ce n’est pas dans quelque direction sociologique ou pragmatique qu’il faut chercher, mais dans la profondeur de l’âme humaine, dans les fondements et l’histoire de la pensée religieuse, dans la sagesse.

Sainte Sophie, mère de la trinité féminine


En Occident, Sainte Sophie a l’allure austère d’une matrone et est coiffée d’une triple couronne. Elle trône, entourée de ses trois filles (Saintes Maries de la Mer ? ou trinité matriarcale ?) qui portent les instruments de leur martyre. Au xve siècle, Sophie, comme une Vierge de Miséricorde, abrite ses filles sous les plis de son manteau (groupe en bois polychrome, église d’Eschau, près de Strasbourg). Le culte de Sainte Sophie et de sa fille Sainte Foi a été très vivace en Alsace.


L’origine de la Création
S’il faut voir dans la Vierge Noire une lointaine image d’Isis, son origine remonte en réalité à Lilith, déesse (sumérienne et babylonienne) vénérée avant même l’époque des « Patriarches », et qui représente la femme dotée d’une force qui en fait l’égale de l’homme, autrement dit un personnage droit, fier et imposant, à la différence du rôle effacé dévolu à Marie, la mère de jésus, habituellement dépeinte sous les traits de la Vierge Blanche. Isis et Lilith sont censées, l’une comme l’autre, connaître le Nom secret de Dieu, prérogative dont hérite à son tour Marie Madeleine, la compagne du Christ. Celle-ci a le teint bistre comme la sagesse (Sophia), qui existait dans les ténèbres du chaos avant la création.

Celle qui mit au monde le Premier Père
Pour Simon le Magicien (alias Simon le Zélote), qui est d’obédience gnostique, la sagesse (la grande et immortelle sagesse qui a mis au monde le Premier Père, en l’arrachant aux profondeurs), se confond avec le Saint-Esprit. Sophia réalise ainsi, pense-t-on, l’incarnation de l’Esprit Saint en la reine Marie Madeleine.

Sainte Sophie ou Sainte Sophie de Rome, est une martyre chrétienne suppliciée à Rome vers 137. Fête le 25 mai en Occident, le 17 septembre en Orient et le 15 mai en Alsace et en Allemagne.
Issue d'une riche famille romaine, elle éleva ses trois filles dans la religion du Christ et la crainte de Dieu. Les noms grecs de ses trois filles, Pistis, Elpis et Agapi ont été traduits en français et en russe : ce sont Respectivement Foi (ou Véra), Espérance (ou Nadège) et Agapé (Charité).
À Rome, sainte Sophie visitait les églises chaque dimanche et gagnait une multitude de femmes au christianisme. Selon la légende —probablement fondée sur des faits historiques — les jeunes filles et leur mère furent capturées, vers 137, par les troupes de l’empereur, aux oreilles duquel était parvenue la renommée de leur piété et de leur vertu. Émerveillé par la beauté des enfants, l’empereur Hadrien voulut les adopter mais elles et leur mère refusèrent. Stupéfait de constater leur fermeté dans la foi malgré leur jeune âge, l’empereur fit comparaître les filles séparément, pensant que c’était par émulation mutuelle qu’elles osaient ainsi lui tenir tête. Rendu furieux par leurs réponses et leur refus de renoncer à leur religion, l’empereur décida de les mettre à mort. Sophie encouragea ses trois filles — Foi, Espérance et Charité — durant leur supplice et mourut la dernière. La métaphore est évidente : c'est la Sagesse divine qui engendre dans le cœur des chrétiens les trois vertus théologales que sont la foi, l'espérance et la charité.
Cette légende connut une grande popularité à Rome au iie siècle mais le culte de Sophie n’y est attesté qu'à partir du vie siècle.
Personnification de la sagesse divine et du Christ plus particulièrement, Sophie a été l'objet d'une immense vénération à Byzance et dans le monde slave. L'empereur byzantin Justinien a donné ce même nom à la plus belle église de Constantinople, qu'il a fait construire : Sainte-Sophie (viie siècle) en la plaçant, non pas sous son vocable, mais sous celui du saint Sauveur, le Christ, Sagesse de Dieu.
En Occident, Sainte Sophie a l’allure austère d’une matrone et est coiffée d'une triple couronne. Elle trône, entourée de ses trois filles qui portent les instruments de leur martyre (voir triptyque, vers 1460, musée de Varsovie). Au xve siècle, Sophie, comme une Vierge de Miséricorde, abrite ses filles sous les plis de son manteau (groupe en bois polychrome, église d'Eschau, près de Strasbourg). Le culte de Sainte Sophie et de sa fille Sainte Foi a été très vivace en Alsace.
Certaines de ses reliques furent apportées par Remigius de Strasbourg au couvent d’Eschau, en 777. Le pape Serge II fit transférer le reste de ses reliques, vers 845, dans la basilique San Martino ai Monti.
Sainte Sophie de Rome est commémorée le 25 mai et elle était invoquée contre les gels tardifs. Elle était appelée en Allemagne "Die kalte Sophie" ("Sophie la froide").

jeudi 25 août 2016

Peut-on apprendre à être féminine

De jolis gestes, un style sensuel et élégant, un peu de rouge sur les lèvres… Il existe mille et une façons de se sentir féminine. Mais comment y parvenir ? Trois regards sont déterminants : celui de notre mère, celui des femmes qui nous entourent et celui des hommes qui nous aiment.
Être féminine. Tel serait le désir le mieux partagé par les femmes qui font appel aux agences de « relooking » ou qui tentent, avec l’aide de divers magazines, de modifier leur apparence. La journaliste Alexie Lorca, qui vient de publier un ouvrage sur les femmes et l’image de soi - Moi et Moi, face à la dictature de l’apparence, des femmes témoignent d’Alexie Lorca (Larousse, 2008)-, rapporte que lors d’un appel à candidatures pour une émission de télévision, les postulantes ont toutes justifié leur démarche par cette même formule : « Je veux être féminine. » Comprendre « être plus séduisante », à leurs yeux mais aussi à ceux des autres. Un souhait parfois difficile à avouer aujourd’hui, tant il peut être pris pour un acte de soumission à la convoitise masculine.



Ce qu’il est aussi, soyons lucides, mais pas seulement. Et c’est toute la complexité de ce désir de supplément de féminité, celle-ci ne se réduisant heureusement pas à la séduction sexuelle. « Aujourd’hui, une femme féminine séduit pour créer de la relation avec l’autre, et non dans le seul but de se sentir désirable dans les yeux des hommes, avance la psychanalyste Isabel Korolitski. Ce qui est intéressant, c’est de se demander par quels moyens se sentir plus féminine, mais aussi quel fantasme on met en jeu dans ce désir. Ce qui est certain, c’est que la féminité est polymorphe, évolutive, à la fois transmission et apprentissage. »
Le poids de l’héritage maternel

Première femme de notre vie, première référence : notre mère. Déterminante dans la transmission de la féminité, en plein, en creux, en excès. À mère ultraféminine, fille coquette et soignée, et inversement ? Évidemment, l’alchimie est bien trop complexe pour être réduite à des équations aussi simplistes. En réalité, tout dépend des messages inconscients que délivrent les mères à leurs filles. « Les petites filles sentent très bien si leur mère se maquille uniquement pour plaire aux hommes, par plaisir et goût de la séduction, pour se sentir puissante, par automatisme ou pour réparer une blessure narcissique, poursuit Isabel Korolitski. De même qu’elles savent si elle ne se maquille pas par manque de confiance en elle, ou au contraire parce que c’est un choix conscient et heureux. Une fille va avoir tendance à reproduire le comportement de sa mère, quel que soit son mode d’expression, si elle la sent heureuse en tant que femme. »
Véronique, 37 ans, a pris le contre-pied d’une mère qu’elle décrit comme soignée, mais terne. « Contrairement à elle, je suis heureuse en couple, je me maquille, je m’achète de jolis vêtements, je ne suis jamais négligée, mais j’ai beau faire, je ne me sens pas très féminine. Même si je sais qu’il y a plusieurs façons de l’être. En fait, je crois que je n’ai pas la légèreté intérieure qu’il faudrait pour prendre plaisir à jouer avec le maquillage, les vêtements, ou avec mon corps, tout simplement. » Légèreté, esprit ludique, désir de séduire, mais aussi savoir-faire sont autant de voies d’accès à une apparence féminine. « Une mère qui donne des conseils pour se maquiller, pour se coiffer et s’habiller ou qui elle-même dégage cette compétence, cela fait toute la différence », témoigne Lou, 31 ans, qui n’a qu’une envie : vieillir comme cette mère aux jolis gestes et au style « simple, sensuel et élégant ».
Sœurs, modèles, amies… des influences marquantes

Si le premier des apprentissages se fait avec ou contre sa mère, il existe des influences et des inspirations tout aussi puissantes qui confortent, apaisent ou modifient notre relation à la féminité. « Les femmes apprennent les unes des autres, constate la psychologue clinicienne Maryse Vaillant. Entre elles, dans un rapport d’intimité, de sensualité, elles peuvent échanger leur ressenti, exprimer leurs sensations, leur rapport au corps, à l’image de soi… C’est dans ce “gynécée”, qui est celui des sœurs, des copines ou des amies, que l’on découvre, affirme ou remodèle son rapport à la féminité, sur le mode du désir, du doute ou de la crainte. » Il faut alors ne pas hésiter à solliciter le conseil ou les critiques de femmes que l’on admire et en qui l’on a confiance. Combien de « relookings » gratuits et réussis se font sur la base de préconisations avisées sur une coupe, une couleur de cheveux, une inspection sans complaisance de sa garde-robe. L’amie ou la sœur vient lever un doute en nous ou réveiller une compétence censurée. Son regard voit ce qui nous échappe, son audace peut rallumer la nôtre. On peut réunir la somme de compliments divers qui vont dans le même sens, cela finit par dessiner une direction que l’on a intérêt à suivre si l’on sent qu’elle résonne de manière juste en soi.
Maryse Vaillant loue également les mérites du modèle qui inspire. Femme célèbre ou proche, elle influence à son insu. Parce qu’elle ose et s’impose, elle donne l’envie d’essayer à son tour. « La féminité, ce n’est pas un état figé, définitif, c’est une façon de se construire et de se modeler en jouant avec soi, avec tous les soi possibles. Elle rayonne lorsque sont dépassées les rivalités œdipiennes, que l’on ne se bat plus pour le père, pour l’homme, affirme Maryse Vaillant. Alors on incarne ce que j’appelle “l’être femme”, c’est-à-dire la capacité de jouer sa féminité sur les registres qui comptent pour soi, on vit toutes les dimensions et les contradictions de son être. Ce qui n’exclut évidemment pas que l’on puisse désirer éprouver sa féminité dans le regard désirant ou amoureux d’un homme. »
"La féminité est de l'ordre du désir mimétique", c’est un concept qui évolue. Quel est-il aujourd’hui ?

Michela Marzano répond : Il y a dans le discours une valorisation des différences, mais dans les modèles proposés, la féminité reste codifiée de manière rigide, notamment par l’hypervalorisation du triptyque « mince, jeune, sexy ». Du coup, les femmes sont prises dans le désir de s’affirmer de manière singulière et dans la crainte de ne pas séduire si elles s’éloignent trop des codes en vigueur. Les modes d’apprentissage évoluent également : aujourd’hui, on cherche ce qui fait envie chez les autres femmes de sa génération ou plus jeunes, et on le reproduit. La féminité est de l’ordre du désir mimétique. Le mythe du jeunisme sévissant, les mères sont, face à leurs filles, davantage en position de rivales que d’initiatrices. Ce qui est préoccupant, c’est de constater que chez les femmes d’aujourd’hui, l’idéal de féminité, c’est la jeune fille, l’adolescente.

Pensez-vous que la féminité se définit toujours par rapport à ce qui plaît aux hommes ?

Michela Marzano répond : Malheureusement, on continue à avoir comme point de référence central le regard des hommes. L’homme continue à donner le « la », on a intégré ses critères, et il est vécu comme une entité de jugement, censée pouvoir trancher entre ce qui serait féminin ou pas. Les femmes doivent continuer à faire un travail d’appropriation de leur désir pour vivre pleinement leur féminité.

A DÉCOUVRIR

Michela Marzano, est l'auteure d’Extension du domaine de la manipulation (Grasset, 2008).


Maryse Vaillant, est l'auteure avec Sophie Carquain d’Entre sœurs, une question de féminité (Albin Michel, 2008).

mardi 23 août 2016

Société des femmes Zopatèques


 Juchitán de Zaragoza est une ville de 100 000 habitants, de la vallée d’Oaxaca au Mexique, au bord de l’isthme de Tehuantepec, et une plaque tournante du commerce mondial, car située sur un axe routier reliant l’Amérique du nord à l’Amérique du sud. La population est majoritairement zapotèque. Seules les femmes y parlent encore la langue de cette civilisation vieille de près de deux mille ans. Cette langue préservée leur a permis de développer une solidarité féminine remarquable qui est à la base de leur société matrilinéaire.



La puissance notoire des femmes Zapotèques

Le Manuel des Indiens d’Amérique, fait référence à «la puissance notoire des femmes zapotèques » qui se disent Tehuanas. Les femmes sont chefs de famille, contrôlent les richesses et représentent la communauté à l’extérieur. Seules les femmes vont au marché.

« Le passe-temps le plus prisé du marché de Tehuanas, et qui provoque beaucoup de rires, est de se moquer d’un individu, surtout quand l’objet des moqueries est un homme. » (L’écrivain ici, a été offensé par l’utilisation de surnoms que les femmes lui ont donné, comme « tortue », « femme de la ville », « grandes dents », « petit cochon », « gros testicules »). Il y a une forte solidarité entre toutes les femmes, et les personnes âgées sont très respectées. La majorité des guérisseurs indigènes sont des femmes.

Des origines antiques

La civilisation zapotèque était une civilisation amérindienne précolombienne qui s’est épanouie dans la vallée d’Oaxaca au sud de la Mésoamérique et qui a développé une société de structure matriarcale. La position particulièrement avantageuse des femmes dans la culture matriarcale zapotèque fait que ces dernières sont aujourd’hui encore réputées pour leur tolérance vis-à-vis de certaines formes d’homosexualité masculine. À noter aussi la place particulière des homosexuels « au cœur de femme ». Ces muchés sont les seuls à être admis dans certaines circonstances à partager les rituels ou les activités des femmes. En effet, les hommes ayant un «cœur de femme» (désignés sous le terme de muxhe) sont socialement acceptés comme un genre supplémentaire.

Une homosexualité tolérée

Expliqué à tort par le fait que la virginité des femmes avant le mariage est considérée comme indispensable (apport espagnol?), il n’est pas rare de voir des jeunes hommes former des couples avec des muches, qui sont souvent considérés comme des personnes de compagnie agréable. Ces couples sont toutefois généralement éphémères, les couples hétérosexuels étant la norme pour la formation du noyau familial. Toutefois, la grande tolérance des Zapotèques pour les muche contraste avec ce qui se passe ailleurs au Mexique, ainsi, il n’est pas rare de voir des muche immigrer en pays zapotèque pour y vivre plus sereinement.

Matrilinéarité de l’héritage

Comme on pouvait s’y attendre, la mère et la maternité jouent un rôle important dans cette société. Le nom, la maison, l’héritage passent par les femmes et la naissance d’une fille est donc une grande réjouissance. À l’âge de quinze ans, la jeune fille — reine du jour — est intronisée à la suite d’une cérémonie initiatique. Le mariage fait aussi l’objet de pratiques parallèles aux cérémonies catholiques. À la suite de celles-ci, le mari, perdu pour sa famille, ira vivre dans la maison de sa femme (mariage matrilocal).

Le mari expulsé de la maison de sa femme

La résidence matrilocale donne véritablement l’avantage à la femme, puisqu’elle peut expulser son mari de chez elle, ainsi que cela arrive chez les Pueblo. C’est assurément une supériorité dans les relations conjugales, mais la situation de l’homme n’en est pas aussi sérieusement affectée qu’il semblerait au premier abord, puisqu’il lui est toujours loisible de se réfugier chez sa mère ou ses sœurs; il trouve toujours un abri, en raison d’un droit reconnu à se domicilier dans sa propre parenté féminine.

Une économie féminine

Ici domine depuis toujours une économie régionale qui se base aussi sur les échanges avec les autres ethnies de la région. Les femmes se sont approprié le commerce dans la région et, par conséquent, le pouvoir économique. Les hommes, quant à eux, ont les activités agricoles peu rémunératrices. Ils sont agriculteurs, pêcheurs, artisans et journaliers. Ils donnent leurs produits et leurs salaires aux femmes.


dimanche 21 août 2016

Qui est masculin, qui est féminin ?



Les hommes se féminisent-ils ? Les femmes se masculinisent-elles ? Depuis les années 1970, la conquête de l’égalité entre les sexes – pas encore gagnée – a fait exploser les anciens repères, tant psychologiques que sociaux, et redistribué les rôles. Les premiers auraient basculé du côté yin (amants nounours, papas poules, métrosexuels…), et leurs compagnes du côté yang (amazones sexuelles, femmes de pouvoir, mères à la carte…).
A tel point qu’aujourd’hui, l’indifférenciation sexuelle serait une vraie menace pour les individus et la société. Ce risque est au centre de débats violents. D’un côté, ceux qui considèrent que réduire le féminin et le masculin à des caractéristiques anatomiques, biologiques ou culturelles enferme les deux sexes dans un rôle de composition étroit. De l’autre, les défenseurs de la différence, des psychanalystes essentiellement, pour qui prôner l’altérité, c’est s’inscrire dans une dynamique de vie.


La peur de l’altérité

La psychanalyste Hélène Vecchiali, dans Ainsi soient-ils, sans de vrais hommes, point de vraies femmes (Calmann-Lévy, 2005), dénonce la féminisation des hommes. Une évolution dommageable, puisque c’est l’attirance entre les deux sexes qui en pâtirait. « Le désir ne se manifeste que dans l’altérité, insiste-t-elle. En recherchant du semblable, on se ferme au désir, au plaisir et à la connaissance de soi. Parce qu’elle nous confronte à l’inconnu, l’altérité est un risque. Elle fait peur à une époque où l’on cherche avant tout à se rassurer. »

L’absence de confrontation à la différence est ce que les partisans de la différenciation sexuelle dénoncent comme une régression majeure. Ne pas accepter les caractéristiques et les limites de son sexe, ainsi que celles de l’autre, traduit pour Gérard Bonnet, auteur de L’Autoanalyse (Puf, Que sais-je, 2006), psychanalyste et sexologue, un fantasme infantile d’hégémonie caractéristique de notre époque. « Freud a découvert que l’être humain est originellement bisexuel, il se construit ensuite en tant qu’être sexué. Aujourd’hui, notre société exploite ce fantasme de bisexualité, qui est une aspiration à la toute-puissance : “Je peux être tout !” Or la différence des sexes est une réalité biologique, l’accepter, c’est accepter la réalité. Cette réalité est le point de butée de notre narcissisme. Pour se construire, il faut se heurter à des limites. Grâce à elles, on peut rencontrer l’autre, et dans l’amour, l’éblouissement vient de ce que l’on est face à un être humain différent. Y compris dans les couples homosexuels. »

Des rôles en mouvement

« Qu’est-ce qui vous attire chez l’autre et que vous considérez comme spécifiquement masculin ou féminin ? » Nous avons posé cette question sur notre site Internet. Parmi les réponses, celle d’Anne, qui vit en couple depuis huit ans. Elle avoue dans un long courrier ne plus éprouver de désir pour un homme « sensible, trop fragile et trop soumis », qui, selon elle, est davantage en demande d’affection que de relations sexuelles…
A l’opposé, Coralie, mère d’un petit garçon de 2 ans, se dit séduite et émue par son homme, bien plus maternel qu’elle. « Il a choisi de travailler à la maison pour élever notre fils. Il est incollable en psychologie des enfants comme en nutrition. Il s’épanouit dans la paternité tout en restant mon amoureux, attentionné et fougueux. Le rêve, quoi ! » Des témoignages qui montrent bien qu’en matière de « qualités féminines-qualités masculines », chacun a le droit de préférer ce qu’il veut.
« Ce que notre siècle découvre, après Freud, c’est qu’il n’y a d’identité féminine ou masculine qu’en devenir, avance Anne Dufourmantelle, psychanalyste et auteure de La Femme et le Sacrifice (Denoël, Médiations, 2007). Un homme abrite en lui une part féminine, qui peut d’ailleurs entrer en rivalité avec les femmes qu’il rencontre. Et la femme a une part masculine, ô combien sollicitée de nos jours. Un homme peut entrer dans un processus de féminisation, ou bien une femme peut se viriliser à la faveur d’une relation, d’un travail, d’un contexte particulier, mais aussi à partir de données de sa petite enfance, et ce processus dynamique ne cesse pas, tout au long de l’existence, de se faire. »

Bafiala, une de nos internautes, écrit : « Je ne me suis jamais sentie aussi bien dans mon corps de femme que depuis que je suis avec lui, parce tout est clair. Nous sommes plutôt vieux jeu, nous pensons que chacun doit avoir des tâches bien définies. » Le compagnon de Bafiala a peut-être une conception « vieux jeu » des relations hommes-femmes, mais cela ne l’empêche pas, dixit sa compagne, « de passer plus d’heures que moi à se pomponner dans la salle de bains et d’exprimer ses sentiments plus facilement que moi ».
Dans l’essai aussi pertinent qu’impertinent qu’elle vient de consacrer à la question de la différence sexuelle, la journaliste Cécile Daumas met en avant une conception souple et moderne de l’identité sexuelle. « Comme la psychanalyste Sabine Prokhoris, je pense que nous avons tous, hommes et femmes, intérêt à considérer le genre comme une sorte de nuancier dans lequel coexistent tous les degrés, du plus féminin au plus masculin, plutôt que comme l’opposition entre deux blocs d’identité qui s’opposent : le féminin “et” le masculin. D’ailleurs, c’est ce qui est en train de se passer dans les faits. »
Les témoignages que nous avons reçus esquissent cette nouvelle géographie. Féminin et masculin s’y croisent et s’entrelacent, exprimant un désir à chaque fois singulier. Estelle nous écrit : « Son torse musclé, son côté viril m’attire… Dans la vie quotidienne, il ne montre pas beaucoup son côté mâle, mais j’avoue que pendant l’acte sexuel, j’aime quand il prend le dessus sur moi. » Luc vit avec Pierre depuis quatre ans : « Notre couple est plus différencié que celui que forme ma sœur et son mari, constate-t-il en riant. Eux sont tous les deux blonds, maniaques, passionnés de généalogie, on dirait des jumeaux… Quant à Pierre et moi, nous sommes homos, ce qui veut dire “mêmes”, pourtant nous sommes aussi différents que le jour et la nuit. Je n’aimerais pas me voir dans l’autre comme dans un miroir, quel intérêt ? »

Au fur et à mesure des témoignages, une conclusion, ni définitive ni absolue, se dessine et court comme un fil rouge : le désir se nourrit de la familiarité rassurante du semblable, mais s’électrise au contact de la différence. Une relation épanouissante n’est peut-être pas tant basée sur une différenciation sexuelle stricte – « moi Tarzan, toi Jane » – que sur notre capacité à accepter et faire cohabiter nos différences… pour mieux jouer avec elles.

mardi 16 août 2016

Le clitoris est une sentinelle


Dans Femme !, une journaliste scientifique américaine ose lever le voile sur les mystères et les caprices de la jouissance féminine. Un document remarquable mêlant histoire, médecine, art et biologie. Extraits.

Sexe honni, sexe ignoré, malheureux deuxième sexe ! " Demandez aux femmes la taille de leur clitoris. La plupart ne vous donneront pas le moindre début de réponse. Faut-il compter en pouces, millimètres, centimètres, parcmètres ? " Natalie Angier, grand reporter au “New York Times”, spécialisée en biologie et lauréate du prestigieux prix Pulitzer, a eu envie d’écrire un livre à la gloire du corps féminin. Pour élucider les origines de sa géographie intime, comprendre son comportement, ses rondeurs, son impétuosité et ses caprices de fonctionnement. Elle y aborde le sein, l’utérus, l’ovule, le sang et le clitoris. Dans ce chapitre-là, l’auteur émet une hypothèse qui a retenu toute notre attention : et si le clitoris avait pour fonction d’encourager sa propriétaire à prendre en main sa sexualité ? Extraits.

Un continent oublié
Les militantes féministes des années 70 n’ont peut-être pas brûlé leurs soutiens-gorge, comme le veut la légende. […] Mais elles avaient bel et bien brandi le symbole du clitoris. Elles s’exprimaient comme des explorateurs ayant mis le pied sur un continent oublié, un jardin de l’Eden, qui sait, tel que Lilith l’avait connu. […] La bible des féministes, Our Bodies, Ourselves, dans son édition des années 90, rappelle que les femmes n’avaient aucune idée de l’importance du clitoris jusque dans les années 60. On imputait cette ignorance à la thèse de Freud qui qualifiait l’orgasme clitoridien d’" infantile " contrairement à l’orgasme vaginal " mature ", et prétendait que la femme ne pouvait parvenir à l’épanouissement psychologique et sexuel qu’en transférant le plaisir qu’elle tirait de son vestige de phallus sur son vagin à la féminité incontestable. L’indignation qu’a suscitée cette théorie était légitime. […] Cela fait des milliers d’années que les savants comme les amateurs savent que le clitoris est au centre du plaisir et de l’orgasme féminins. […]

Nancy Friday a dénoncé le silence qui pèse sur le clitoris et l’absence de tout enseignement relatif aux détails de l’anatomie sexuelle féminine, contrairement à ce qui se passe pour les garçons. Les filles sont victimes d’une véritable " clitoridectomie mentale ", affirme-t-elle. Comme à son habitude, Nancy Friday fustige les mères. Leur réprobation silencieuse et leur pruderie sont à l’origine de cette psychochirurgie, accuse-t-elle. Mais la littérature scientifique et médicale n’est guère plus loquace. […] On peut sans doute attribuer une part de ce dédain des professionnels au fait que la médecine traite des maladies et que le clitoris, grâce à Dieu, n’est généralement pas le siège de pathologies. Mais, pour ce qui est des Etats-Unis du moins, on ne peut nier qu’un tel désintérêt reflète une incorrigible pudibonderie. Il n’est pas facile de décrocher une bourse fédérale en vue d’étudier la morphologie de la petite clé des Grecs. Le clitoris, de toute évidence, a besoin de chercheurs italiens.[…]
Pourquoi les filles en sont pourvues ?
Dès qu’il est question du clitoris et de l’orgasme féminin, mieux vaut avoir en tête trois vérités de base. D’abord, disons le tout net, l’orgasme féminin n’est pas indispensable. Le mâle doit habituellement atteindre l’orgasme pour se reproduire, mais la femme peut parfaitement procréer sans ressentir quoi que ce soit et même, en cas de viol, éprouver de la peur et du dégoût. Ensuite, l’orgasme féminin est capricieux ; sa fiabilité et sa fréquence varient énormément d’une femme à une autre. Enfin, il y a la question de l’homologie génitale – le fait que le clitoris et le pénis se développent à partir de la même crête génitale chez le fœtus. Nous ne sommes pas la synthèse de ces trois points. Ces réalités physiologiques introduisent trois possibilités évolutives pouvant convenir à notre organe vedette, trois explications qui pourraient chacune rendre compte de l’existence du clitoris et de sa fonction.[…]

1. Le clitoris est un vestige du pénis La fille en est pourvue parce que l’organisme est par nature bisexuel, et que le fœtus peut aussi bien développer des organes sexuels féminins que masculins. Si elle avait été programmée pour être un mâle, il lui aurait fallu un pénis opérationnel, capable d’éjaculation et bien innervé. Au lieu de quoi, elle n’en a reçu qu’un vestige, un fragment de tissu sensoriel doté de la même architecture neuronale qu’un phallus authentique. Dans cette version des faits, le clitoris, comme les aréoles mammaires masculines, serait un atavisme, la signature fugitive de ce qui aurait pu être, mais n’a plus de raison d’être.

Selon ce scénario, le clitoris et l’orgasme féminin ne sont pas le résultat d’une adaptation. L’adaptation, l’objectif final, c’est le pénis éjaculatoire, autrement dit le camion de livraison de l’ADN, avec le clitoris comme lot de consolation.Ce qui ne veut pas dire que nous ne pouvons pas profiter au mieux de cette circonstance fortuite. […] Faites donc l’amour autant que vous voulez, ou pouvez. Et si parfois il vous semble ardu d’escalader les pics du plaisir, ne regrettez rien, cela aurait pu être pire. Tenez, pensez aux hommes : les avez-vous jamais vus succomber aux joies de l’allaitement ?
2. Le clitoris est un vestige de clitoris 
Selon le scénario précédent, le clitoris n’est pas et n’a jamais été une adaptation ; c’est un pénis résiduel. Un autre raisonnement part du principe que le clitoris n’est peut-être pas aujourd’hui d’une utilité évidente, mais qu’il a été jadis une adaptation – resplendissant de tous les feux d’un dôme d’église byzantine. Si l’on en croit cette métaphore, nos ancêtres féminines se comportaient comme nos sœurs bonobos (voir encadré), aujourd’hui se servant de leur sexe comme d’une clé universelle – pour faciliter les relations amicales, apaiser les humeurs, solliciter un morceau de viande, obtenir les faveurs du maximum de partenaires et, à l’occasion, faire oublier les questions de paternité. Le clitoris incitait les femelles aux aventures, à grappiller leur plaisir autour et alentour, à jouer les nymphomanes. Cette façon de voir pourrait expliquer pourquoi les femmes sont lentes à jouir : leur sexualité était adaptée aux rapports multiples avec toute une série de mâles instables. Bon, celui-là ne fait pas trop l’affaire ; je ferais mieux de sortir, d’aller draguer et finir ce que j’ai commencé.

Sarah Blaffer Hrdy, une de mes biologistes évolutionnistes préférées, adhère à la théorie du " il était une fois ". D’après elle, le comportement fantasque de l’organe, son besoin d’attention prolongée voire collective pour donner le meilleur de lui-même, est la preuve de son statut transitoire, entre adaptation et non-adaptation. Si l’orgasme de la femme caractérisait la monogamie et les liens de couple, comme le veut la tradition, s’il était destiné à encourager l’intimité des amoureux, le clitoris humain serait bien plus efficace, explique-t-elle. Il réagirait aisément aux seuls mouvements de la copulation et s’apaiserait tout aussi promptement une fois que l’homme aurait terminé. Au lieu de quoi une minorité de femmes parvient à l’orgasme par le seul va-et-vient du rapport sexuel ; la plupart ont besoin d’un petit travail de terrain préalable. […]
3. Le clitoris, c’est du Jean-Sébastien Bach 
J’ai souvent pensé, en écoutant la musique de Bach, qu’en son absence rien n’existerait. Plus j’en écoute, plus je me dis que son avènement était inéluctable. L’évolution n’a pas de finalité, certes, sauf peut-être pour donner à entendre les second et cinquième “Concertos brandebourgeois”, les “Variations de Goldberg” et le “Clavier bien tempéré”. Si les dinosaures ont disparu, c’est pour permettre à Bach d’exister.

En d’autres termes, le clitoris est une adaptation. C’est un organe essentiel, en tout cas fortement recommandable. Il est tout à la fois fantasque, généreux, exigeant, profond, sociable et tolérant. C’est un caméléon, capable de changer de message selon les circonstances. On peut toujours l’interpréter de façon nouvelle, le mettre au goût du jour – comme la musique de Bach. Une piste à explorer en posant cette simple question : la planète pourrait-elle compter six milliards d’individus si les femmes n’aimaient pas faire l’amour ? Et comment joueraient-elles des fugues si les cordes de leur violon ne pouvaient vibrer ? […]

Il nous parle de ce que nous préférons ignorer

Soit. Posons comme postulat que le clitoris et l’orgasme féminin sont des traits adaptatifs. Il nous faut alors examiner de plus près les détails de leur fonctionnement. Supposons que le clitoris existe pour nous donner du plaisir, et que le plaisir soit l’aiguillon de la sexualité – autrement dit que sans la grande récompense, nous nous contenterions de faire de la broderie à la maison. Il nous faut alors reconsidérer le problème de la déconvenue, les raisons des défaillances du clitoris. Pourquoi nous faut-il peiner plus que les hommes pour atteindre l’apothéose ?
Le clitoris est un idiot savant : il peut être génial ou stupide. A moins qu’il ne s’exprime comme Cassandre et nous parle de ce que nous préférons ignorer. A mon sens, l’inconstance et l’entêtement apparents du clitoris, son décalage par rapport aux réactions masculines, la variabilité de son comportement d’une femme à l’autre – toutes ces complications si déconcertantes – peuvent s’expliquer par une simple supposition : et si le clitoris avait pour fonction d’encourager sa propriétaire à prendre en main sa sexualité ? D’accord, cela sonne comme un slogan politique, et nos organes n’ont pas pour habitude de prendre la carte d’un parti. Mais en l’occurrence, celui-ci vote avec ses pieds : il se conduit avec bonheur quand on le traite convenablement, bredouille et vacille lorsqu’il est maltraité ou incompris.

En vérité, le clitoris réalise ses meilleures performances quand la femme se sent en pleine forme, qu’elle est heureuse de vivre, qu’elle mugit à plein, au sens figuré comme au sens propre. Le clitoris n’aime pas qu’on l’effraie ni qu’on le force. Certaines femmes violées rapportent que leur vagin s’est lubrifié alors même qu’elles craignaient pour leur vie – heureusement d’ailleurs, ce qui leur a évité d’être déchirées –, mais les femmes n’ont pratiquement jamais d’orgasme au cours d’un viol, quels que soient les fantasmes masculins à ce sujet. Il ne faut pas presser ni bousculer le clitoris. La femme qui craint d’impatienter son partenaire mettra d’autant plus de temps à jouir. Celle qui cesse de surveiller la casserole envoie un message au clitoris – j’arrive ! – ce qui suffit à faire déborder le lait.

Les femmes aux orgasmes multiples

Le clitoris aime le pouvoir et fait tout ce qu’il peut pour avoir le sentiment d’être aux commandes. L’anthropologue Helen Fischer a constaté que les femmes parvenant aisément aux orgasmes multiples partagent le même trait : elles se sentent responsables de leur plaisir. Celui-ci ne dépend pas du savoir faire ni de la sollicitude de leur partenaire. Elles connaissent les positions et les angles qui leur conviennent le mieux, et négocient lesdites postures verbalement ou physiquement. Sans compter que les positions les plus satisfaisantes sont le plus souvent celles qui donnent à la femme un certain contrôle de la chorégraphie sexuelle, en se tenant au-dessus du partenaire ou à ses côtés. Un film qui montre l’héroïne gravir tout le crescendo de la volupté et de l’extase bloquée contre un mur, à la façon du “Dernier Tango à Paris”, ne peut avoir été mis en scène par une femme. […]
Le goût du pouvoir et la complexité du clitoris ne devraient pas nous étonner. Pour une femme, faire l’amour a toujours été risqué. L’on peut se retrouver enceinte, attraper une maladie, se faire confisquer un lait de trop bonne qualité. Mais en bonnes primates que nous sommes, nous ne faisons pas l’amour uniquement pour nous reproduire. Nous ne sommes peut-être pas des bonobos, mais pas non plus des brebis à ruts saisonniers. Notre vulnérabilité exige une ligne de défense efficace.


Le clitoris est notre sentinelle, notre promontoire magique. 
Il nous dit que le plaisir est une affaire sérieuse et que nous ne devons pas nous enflammer sans raison. Il intègre des informations de différentes sources, conscientes et inconscientes, en provenance du cortex cérébral, de l’hypothalamus, du système nerveux périphérique, et réagit en conséquence. Si vous avez peur, il se paralyse. Si l’on vous indiffère ou vous répugne, il ne pipe pas. Si la passion vous fait vibrer, il s’anime comme une baguette d’orchestre et vous imprime son rythme, ici une caresse, là une envolée… " andante, allegro, crescendo, da capo ". […]

Ethologie : Mme Bonobo, championne clitoridienne

Qui est-elle ? Son espèce est également connue sous le nom de chimpanzé pygmée, l’un de nos parents actuels les plus proches. Le bonobo est un champion olympique en matière sexuelle. Mâles, femelles, vieux, novices, peu importe – on baise, on se pelote, on se frotte, on se branle mutuellement, bref, on fait l’amour toute la journée. Et tout cela, la plupart du temps, sans rapport avec la procréation. Il s’agit plutôt d’un code de bonne conduite grâce auquel les bonobos peuvent vivre en communauté. C’est leur psychothérapie, leur lubrifiant social, le baume qui apaise les querelles, une façon d’exprimer ses sentiments, une pratique si rapide qu’on n’y fait plus attention. Chez une espèce où la sexualité prend une telle importance, pas étonnant que le clitoris prenne des proportions considérables. L’adolescente bonobo pèse environ moitié moins que l’adolescente humaine, mais son clitoris est trois fois plus grand, au point d’en dévoiler le balancement quand elle se déplace. Plus tard, elle devient féconde et ses lèvres gonflent. Il devient alors difficile de distinguer l’organe, mais il est toujours là, prêt pour le service à chaque fois que sa propriétaire le convoque, au demeurant plusieurs fois par heure.

Clotoridectomie : 2 000 bébés mutilés chaque année

Le clitoris n’a aucun rôle fonctionnel, nous rappelle Natalie Angier. C’est un simple faisceau de nerfs, la plus grande concentration de fibres nerveuses de tout l’organisme (8 000), " y compris le bout des doigts, les lèvres et la langue, deux fois plus que pour le pénis. En un sens, donc, le petit cerveau de la femme est plus grand que celui de l’homme. Et tout ceci, sans autre but que de servir au plaisir féminin. Le clitoris est le seul organe à vocation purement sexuelle, sans heures supplémentaires à effectuer en tant qu’appareil sécrétoire ou excrétoire. C’est peut-être pourquoi le clitoris a avantage à rester à l’abri des regards au sein de la fente vulvaire. "

" Personne n’a mené d’enquête pour savoir si les femmes dotées d’un clitoris imposant parviennent à l’orgasme plus souvent que les autres, ou plus intensément ", ajoute la scientifique. En revanche, on pratique aux Etats-Unis un autre type d’" expérience ". Natalie Angier nous apprend en effet qu’on procède couramment à une clitoridectomie, c’est-à-dire à la réduction chirurgicale de clitoris de fillettes, jugés trop grands. 2 000 bébés subiraient chaque année ce " correctif ". " Un grand clitoris n’a jamais fait de mal à personne, certainement pas au bébé. Mais ça fait bizarre, obscène, vous a un air de zizi de garçon. " Pour y remédier, on taille, on replie, on ampute totalement. Une pratique qui n’est pas sans rappeler celle de l’excision, contre laquelle les pays occidentaux s’insurgent pourtant !