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mercredi 11 mai 2016

Qu’est-ce qui fait courir les aventurières ?


Elles escaladent l’Everest, couvrent les guerres ou s’embarquent à bord d’une navette spatiale…Leur point commun ? Des parents qui n’ont pas étouffé leurs passions.



Quelle est la nature et l’origine de cette force qui leur permet de repousser si loin les limites du corps et du courage ?

Catherine Reverzy se dit d’abord frappée par la grâce, l’aisance physique qui reflète leur équilibre psychique. L’une des idées les plus intéressantes de son livre est en effet la suivante : plus tôt on se sent affectivement sécurisé par ses parents, plus on est capable de s’en détacher, et d’aller loin dans la réalisation et le dépassement de soi. La plupart des femmes d’aventure ont eu un père présent et une mère tendre, des parents exigeants qui ont su rester fermes.
Pour eux, l’effort sportif et la nature, la mer, la montagne étaient des valeurs fortes. Si bien que leurs filles, à leur tour, se sentent "reliées" non seulement à leurs proches, mais aussi à la Terre, au cosmos, à l’humanité. Sans être idéaux, ces parents ont été "suffisamment bons" pour ne pas étouffer les passions et les rêves de leur fille. Ce soutien permet aux "intrépides" d’avoir le champ libre, psychiquement parlant, pour aller plus vite, plus loin, plus fort. Leur chance est de ne pas avoir à trop se préoccuper de leur sécurité intérieure.
Abordent-elles l’aventure autrement que les hommes ?

L’exploit pour l’exploit, semble-t-il, les intéresse moins. Elles aiment lui donner un but humanitaire, écologique ou culturel. Incontestable, en revanche, est leur moindre force physique. Aussi s’emploient-elles à contourner ce handicap en redoublant de détermination, de souplesse et de faculté d’adaptation.
« Dans la jungle, là où l’homme passe avec un coupe-coupe, une femme repousse doucement la végétation de l’épaule », confie Nicole Viloteau, photographe naturaliste. Et si les baroudeuses crèvent parfois de peur, Alexandra Boulat, photographe de guerre, affirme : « Un homme a aussi peur que moi. La différence, c’est que je le dis… »
Néanmoins, ces différences sont finalement minces. Il faut dire que ces femmes mobilisent en elles des qualités que l’on impute traditionnellement aux hommes. « Deux personnes coexistent en moi : le vieux soldat aguerri au danger et la femme qui s’émerveille », observe Nicole Viloteau. N’ayant pas eu peur pour elles, leurs parents ne les ont pas limitées sous prétexte qu’elles étaient des filles. Elles ont été élevées, non pas comme des garçons, mais sans qu’il soit fait de différences avec eux : Christine Janin a fait du football comme ses frères, dès l’âge de 4 ans, Priscilla Telmon, grimpeuse de l’extrême, voulait barrer comme son aîné… Quand les filles de leur âge pensaient garçons, chanteurs et chiffons, elles rêvaient de sommets himalayens, d’expéditions polaires, ou de voyages dans l’espace comme Claudie Haigneré.
Souvent, elles se sont senties un peu à part, un peu garçons manqués – alors qu’elles étaient des "filles réussies", s’insurge l’océanographe Anita Conti. Il a fallu, à l’âge adulte, qu’elles soient rebelles pour imposer leur choix et oser dire non à une vie rangée, correspondant mieux à l’image traditionnelle de la "féminité". Souvent encore – mais de moins en moins semble-t-il – les intrépides doivent justifier leur refus de la maternité, ou son report, alors que l’on demande rarement aux aventuriers si la paternité leur manque ! L’argument le plus touchant de ces femmes étant que l’on ne peut à la fois prendre de tels risques et fonder une famille…

Les femmes d’aventure ne sont pas des femmes exemplaires

Ce sont des femmes heureuses, auxquelles il faut un double courage : celui d’affronter la peur et le danger, et celui de ne jamais renoncer à ce qui est essentiel pour elles-mêmes. Que, de plus en plus, la société occidentale leur permette de se réaliser en s’écartant des sentiers battus de la féminité, est une « preuve de haut degré de culture et d’humanité », estime Catherine Reverzy. De ce point de vue, plus les différences entre hommes et femmes se gomment, plus il est possible, pour les personnes des deux sexes, de s’épanouir dans une multiplicité d’êtres que chacun peut inventer.

Entretien avec Claudie Haigneré, cosmonaute : « Là-haut, toutes les différences se gomment »

 

Elle devait partir, le 21 octobre dernier, à bord d’un vaisseau Soyouz, pour une mission de dix jours sur l’ISS, la Station spatiale internationale, en qualité d’ingénieur de bord n°1. Claudie Haigneré (ex-André-Deshays) obtient son baccalauréat scientifique à 15 ans ; à 24, elle devient médecin rhumatologue ; deux ans plus tard, elle lit une annonce du Centre national d’études spatiales (CNES) qui recrute des scientifiques pour ses futures missions. Mille candidats, cent femmes, elle est l’une des sept sélectionnés. En 1996, trente et unième femme de l’espace, elle embarque à bord de Soyouz pour une mission de seize jours en orbite autour de la Terre.
Première cosmonaute française, Claudie Haigneré annonce, elle aussi, une nouvelle manière d’être une femme, une manière libre, ardente, rebelle et joyeuse, où la féminité ne saurait se réduire à être femme et mère de…
Psychologies : Avez-vous été freinée dans vos rêves parce que vous étiez une femme ?

Quand j’ai vu Neil Armstrong poser le pied sur la Lune, en 1969, j’avais 12 ans. J’ai tout de suite rêvé d’aller dans l’espace, sans penser qu’être une fille poserait un problème. La féminité n’a d’ailleurs jamais été un obstacle à ma progression. Il faut dire que je réussissais avec facilité… Néanmoins, ayant été sélectionnée en 1985, je ne suis allée dans l’espace que onze ans plus tard, en 1996. Si j’avais été un homme, militaire et pilote de chasse, j’aurais sûrement volé plus tôt.

Dans votre métier, à quelle occasion ressentez-vous le fait d’être une femme ?

Mes collègues masculins sont d’une grande galanterie. Lors du vol que j’ai accompli, Ils vérifiaient, par exemple, que mon logement – le siège – dans la cabine était bien amarré, car c’est un geste qui exige beaucoup de force. Autre geste d’attention : au cours des sorties extravéhiculaires, physiquement très éprouvantes, mon commandant prenait en charge des choses que je ne pouvais pas faire. Mais ensuite, je faisais deux fois ma part.

Lors de l’entraînement ou des vols, des différences psychologiques sont-elles apparues entre cosmonautes des deux sexes ?

En vue des explorations martiennes nécessitant des vols de longue durée, de nombreuses expériences d’isolement et de confinement ont été menées. Elles ont montré que les équipages mixtes sont plus performants, hommes et femmes ayant des approches différentes de l’organisation du travail, de la prise de décision, de la résolution des conflits.

Quand la Terre apparaît à travers le hublot, pensez-vous ressentir une émotion spécifique ?

Il y a toujours des différences. Peut-être une femme sera-t-elle plus sensible aux couleurs, à la lumière, à la beauté d’une planète ronde et bleue, seule au milieu d’un cosmos noir, à la fragilité d’une Terre protégée par une si fine couche d’atmosphère. Mais les hommes le ressentent aussi. Les différences doivent plutôt porter sur la manière de le raconter, et relèvent, à mon avis, davantage de la culture, de l’éducation et du bagage professionnel. Parce que je suis médecin, je ne ferai pas les mêmes comptes rendus qu’un militaire pilote de chasse. Cela dit, quand nous sommes là-haut, toutes les différences se gomment. Nous ne sommes plus ni homme, ni femme, ni russe, ni français. Seulement des êtres humains en train de vivre une expérience exceptionnelle. Nous sommes des "terriens"…

Parce que vous êtes médecin rhumatologue, femme, mais également maman, vous allez raconter l’espace à des enfants malades.

Oui, dans le cadre de mon parrainage de l’association Kourir, qui se consacre aux polyarthrites rhumatoïdes infantiles, aux enfants qui souffrent à longueur de journée de ne plus pouvoir marcher, d’avoir les articulations tuméfiées et enflammées. L’une des nombreuses retombées de nos expéditions est de pouvoir leur apporter un peu de rêve, de bonheur, et l’espoir de réussir à mener une vie riche et pleine.

Vous sentez-vous féministe ?

Je me sens féminine et très heureuse d’être une femme. J’accepte aussi de me faire le témoin et le messager des femmes. Il est vrai que le débat sur la parité me préoccupe. Je crois que les jeunes gens qui sont ensemble sur les bancs de la fac, dans les mêmes écoles de médecine et d’ingénieur sauront bouger. J’espère que la jeune génération masculine donnera aux femmes la disponibilité dont elles ont besoin pour s’engager dans un épanouissement complet.

A lire

Femmes d’aventure de Catherine Reverzy (Odile Jacob)



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