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mardi 3 mai 2016

La mère, à l’origine du mâle

Première femme de la vie d’un homme, elle modèle inconsciemment sa future vie amoureuse. Surprotectrice, distante, castratrice…, le psychanalyste Alain Braconnier dessine cinq profils de mère et explique leur influence.



C’est un amour qui ne ressemble à aucun autre. Même si elle ne le formule pas de cette manière, qu’elle l’assume ou s’en défende, une mère sait combien la relation qui la lie à son fils est intense et singulière. Première femme de la vie de son petit homme, elle trouve dans cette relation une sécurité affective sans égale, qui la fait se comporter comme si elle était sans rivale. Ce qu’elle est, selon Freud. Car pour le théoricien du complexe d’Œdipe – que sa mère appelait « mon Siggi en or » –, « la relation entre une mère et un fils est fondée sur le narcissisme qu’aucune rivalité ultérieure ne vient déranger ». Si la fille, en entrant dans l’œdipe, change d’objet d’amour, se détournant de sa mère pour son père, le fils, lui, reste tourné vers elle. « Quand on sait combien la rivalité imprègne les relations humaines, on mesure le poids d’une relation qui en est totalement dépourvue et son impact sur la future vie amoureuse des garçons », explique Alain Braconnier.

Le psychanalyste rappelle également que si la relation mère-fils est faite d’attachement et de séduction, de désir et de plaisir, elle est aussi modelée par ce que la mère y projette en matière d’idéal et par ce qu’elle transmet de son propre rapport au masculin. Cinq types de mères cohabitent en chacune d’elles. Leur personnalité et leur histoire accentuent une tendance plus qu’une autre, tout comme le rôle du compagnon, notamment sa capacité ou son incapacité à séparer la dyade mère-fils. Petite typologie établie par Alain Braconnier.
La mère amoureuse

Son profil : son regard, ses gestes, ses mots témoignent de l’admiration amoureuse qu’elle voue à son fils, sur qui elle projette entièrement son idéal masculin. Prompte à vanter ses qualités, physiques et morales, elle se rengorge lorsqu’il remporte des succès spectaculaires. De manière expresse ou tacite, elle lui dessine un avenir glorieux. Elle ne veut pour lui que le meilleur en tout, prête à se sacrifier pour ce fils qui est sa raison d’être. Son soutien est à la hauteur de son exigence, elle ne supporte pas la médiocrité chez lui, ni autour de lui. Elle place tous ses espoirs en lui. Même lorsqu’elle est discrète, en retrait, elle l’encourage à grands coups de compliments et le chouchoute sans faillir. C’est la mère type des « grands hommes ».

Son influence : la force que transmet cette mère est puissante. Le fils en retire une confiance en lui très solide, grâce à laquelle il affrontera sans crainte les aléas de la vie. Sur le plan affectif, il est tout aussi assuré et ambitieux. Porté et enivré par un amour maternel inconditionnel, cet « élu » va partir en quête de celle qui prendra le relais de sa mère et qui le couvera à vie du même regard émerveillé. Ses espoirs sont souvent déçus et les relations se succèdent rapidement. La quête tourne à la conquête, et le prince charmant se transforme en don juan souvent frustré, parfois amer. S’il finit par trouver sa perle rare, le conquérant exigera d’elle abnégation et dévotion à vie. Les femmes fortes, indépendantes ou séductrices ne l’intéressent en général que très peu.

La mère surprotectrice

Son profil : c’est l’archétype de la mère juive dans les films de Woody Allen. Anxieuse, intrusive, possessive et fusionnelle. Son but : prolonger le plus possible l’exclusivité du lien avec son fils. Pour cela, elle n’hésite pas à lui administrer régulièrement des douches écossaises, en jouant tantôt sur le registre de la peur – elle exagère tous les dangers, affectifs et matériels –, tantôt sur celui de la chaleur nourricière – elle le réconforte, le gâte et le cajole. Profondément angoissée, elle transmet à son fils sa vision pessimiste des relations humaines, ce qui a pour effet de renforcer chez lui anxiété et dépendance affective.

Son influence : écrasés par cet amour féroce, ses fils grandissent dans l’anxiété, l’immaturité affective et la culpabilité. Intimité difficile à établir, communication verbale réduite, émotions verrouillées… Voilà les conséquences et mécanismes de défense que peuvent mettre en place, à leur corps défendant, ces hommes littéralement attachés à leur mère. S’ils parviennent à couper le cordon, c’est avec violence et de manière définitive. Dans le cas contraire, ils lui restent dévoués, et ce sont les femmes qu’ils rencontrent qu’ils mettent à distance. Ces dernières, on s’en doute, trouvent rarement grâce aux yeux de leur belle-mère potentielle. D’où le choix de femmes un peu infantiles qui pourront être « adoptées » à leur tour par la mamma.

La mère distante


Son profil : parce qu’elle doute profondément de ses compétences maternelles, cette mère vit dans la crainte de mal faire, donc de faire souffrir son enfant. Tout ce qui vient d’elle lui semble potentiellement dangereux : ses émotions, ses initiatives, son contact. Aussi se met-elle en retrait, physiquement et affectivement. Ce qui ne signifie pas qu’elle n’aime pas son fils, bien au contraire. Mais tant qu’il n’a pas décodé la souffrance de sa mère derrière sa froideur, il se sent mal aimé.

Son influence : parmi les fils de mères distantes se trouvent souvent les misogynes, voire les misanthropes. N’ayant pas été enveloppés de la chaleur et de la sécurité de l’amour maternel, ils ont du mal à faire confiance aux femmes et développent souvent un discours cynique sur l’amour et la sexualité. Dans les relations affectives, ils avancent toujours masqués, par prudence, et affichent, pour se protéger, une froideur dissuasive. Résultat : ils reproduisent avec les femmes la distance maternelle et ils en souffrent. En revanche, s’ils baissent suffisamment la garde et rencontrent une personne rassurante, chaleureuse et généreuse, ils s’investissent sans compter dans leur couple.

La mère castratrice


Son profil : qu’elle en ait conscience ou non, elle est en guerre avec les hommes, qu’elle veut mettre sous sa coupe. Pour la psychanalyse, c’est une femme qui veut le « phallus » (le pouvoir) pour elle seule. Dominatrice, autoritaire, elle fait marcher son petit monde à la baguette. Frontalement ou de manière plus souterraine, façon main de fer dans un gant de velours, elle rappelle à chaque instant à son fils qu’il n’y a qu’un maître à bord.

Son influence : comment ne pas avoir peur de la rencontre intime avec les femmes ? Les fils de ces mères surpuissantes ont une attitude paradoxale. Ils semblent les fuir tout en recherchant leur copie conforme, afin de rejouer avec leur compagne la relation dominante-dominé. Pourtant, lorsque le ­couple s’installe dans la durée, c’est par l’infidélité qu’ils tentent de se dégager de ce lien asphyxiant, sans toutefois parvenir à s’en affranchir. Mais la soumission au féminin à des limites : ils peuvent aussi faire preuve de violence, verbale ou physique, lorsqu’ils se sentent agressés dans leur masculinité par les ­femmes, se vengeant ainsi de toutes les humiliations maternelles.

La mère bienveillante


Son profil : c’est avant tout une femme heureuse, comblée par son compagnon, qui ne projette sur son fils ni attentes excessives ni idéal inaccessible. Attentive aux besoins de l’enfant, elle n’est pas anxieuse ni en quête de réparation narcissique. Elle veille au bien-être de sa famille et laisse au père toute sa place. Ses sources de plaisir sont variées, l’enfant n’est pas son unique raison d’être. Si elle est à l’écoute de son fils et sait être complice, à l’adolescence notamment, elle n’est jamais intrusive ni possessive. En un mot, elle l’aime sans l’empêcher d’aller désirer et aimer d’autres femmes qu’elle.

Son influence : cette mère « fait » des ­hommes confiants, bien dans leur masculinité et à l’aise avec le féminin. Avoir eu une mère heureuse avec un homme donne envie d’être celui qui comblera une femme à son tour. Les fils des mères bienveillantes savent accueillir et exprimer leurs émotions, et séduire sans bluffer ni dominer. Ils savent jongler avec les rôles d’ami et d’amant, ne se sentent pas en danger dans les rapports de force. Leur talon d’Achille : avoir tendance à privilégier avec les femmes la relation de bienveillance au détriment de la relation amoureuse. Comme le disait Aristote, qui devait être de ces hommes-là : « L’amitié est le meilleur destin de l’amour conjugal »…


A lire

Mère et Fils d’Alain Braconnier
Médecin, psychologue et psychanalyste, l’auteur montre que, contrairement à une idée reçue, une femme n’aime jamais trop son fils. Un ouvrage déculpabilisant, avec un test en fin de volume : « Quel type de mère êtes-vous ? » (Odile Jacob, “Poches”, 2007).


In Freud and His Mother de Deborah Margolis (Jason Aronson, 1977, en anglais).

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