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jeudi 19 novembre 2015

Une histoire de sorcières

  
Lorsque les femmes se retrouvent entre elles, cela paraît suspect aux yeux de l’entourage, de la société. Même au sein de notre cercle, la participation ne laisse pas l’entourage indifférent : de la curiosité à l’hostilité, si certaines deviennent très vite des relais auprès des proches, enfants, amies, en créant parfois même de nouveaux espaces d’échanges, d’autres gardent ce jardin secret pour se préserver. Mais que font les femmes entre elles de si mystérieux ?



Quand les femmes se rassemblent, elles partagent leurs histoires, leurs joies et leurs soucis, elles échangent leurs trucs et astuces, elles vibrent sur une même corde, se répondant comme des miroirs les unes aux autres … De tous temps des espaces se sont créés, mais presque toujours de manière subversive, dans l’espace privé sans légitimité publique … 

Tel est le principe de la domination : diviser pour régner. Le patriarcat avait un intérêt à ce que les femmes soient isolées, sous le joug du père ou du mari pour que l’ordre social soit maintenu. Au cours des siècles, les femmes ont été sans discontinuité assignées à leur rôle de femmes : épouses et mères. Et les femmes indépendantes, sages-femmes, femmes seules, se voyaient entourées d’une certaine méfiance puisqu’elles survivaient sans la protection d’un homme. 

Certaines possédaient en outre un certain savoir empirique qui soulevait pas mal de fantasmes chez les honnêtes gens. Mais qui étaient ces sorcières, ces femmes sages en marge ? Elles étaient au Moyen-Age les médecins des campagnes, ou les médecins du peuple, qui possédaient des connaissances, notamment des plantes, transmises de femme à femme, de mère à fille. Elles accompagnaient aussi bien la naissance, la vie, la maladie que la mort. Selon Barbara Erhenreich et Deirdre English , l’avènement des facultés de médecine sous l’emprise du clergé, a contribué à hiérarchiser les savoirs, à casser cette chaîne de transmission, afin d’asseoir le pouvoir clérical masculin et de chasser les sorcières au sens propre des pratiques médicales. Alors que les rencontres très probables entre ces femmes, que l’on accusait d’être des sorcières, avaient sûrement une influence sur l’évolution de la société. 

« En fait, il est à peu près sûr que ces femmes que l'on accusait de sorcellerie se rencontraient effectivement par petits groupes et qu'à leur tour, ces petits groupes se joignaient à d'autres pour se retrouver par centaines et par milliers les jours de fête. Certains écrivains pensent que ces rencontres étaient des prétextes à des célébrations païennes. Il va sans dire que ces rencontres servaient aussi à s'échanger des nouvelles et des connaissances sur les plantes médicinales. On a toutefois peu de témoignages quant à la portée politique de ces rencontres, mais il est difficile d'imaginer qu'elles n'en aient eu aucune, puisqu'elles coïncidaient avec les rebellions paysannes de l'époque. Toute organisation, par le simple fait d'être une organisation, favorisait les échanges entre les villages et l'esprit de solidarité et d'autonomie parmi les paysans ».

Aujourd'hui et ailleurs Les cercles de femmes, comme par exemple les tentes rouges , fleurissent, comme on l’a dit, partout en Belgique, en Europe ou ailleurs, sous des formes et des couleurs variées, chaque cercle ayant son organisation propre. Les initiatives sont diverses : parfois une femme fait appel à ses amies, parfois c'est l'envie d'un petit groupe d'initier quelque chose de nouveau, parfois sur base d'une idée précise telle la création d'un rite de passage pour les filles à leurs premières lunes (règles), parfois c'est une association qui prend en charge la logistique. Mais tous les cercles ont en commun d'être et de devenir un espace-temps de parole et d'écoute, de lien et de soutien. 

En ce sens, le témoignage d'Anne-Charlotte est parlant : « Grâce aux rencontres et aux lectures proposées, j'ai pu naître à la vie, sentir les saisons, de la nature et de moi-même (...) J'ai pu prendre connaissance de mes lunes, de leurs significations, de leur présence, de leur impact sur mon humeur, le pourquoi de mon humeur (...) Bref, mieux me comprendre au cours de mon cycle lunaire, au cours de mes cycles de vie, au cours de ma vie. Depuis, je me redécouvre tous les jours un peu plus ... sur le plan physique et sur le plan spirituel. 

Et ce rendez-vous, une fois par mois, me permet de me recentrer, de me reconnecter lorsque la vie quotidienne m'a entraînée un peu partout et que je me suis laissée dé(con)centrer (...) D'avoir rejoint ce groupe m'a permis d'ouvrir une porte que je n'avais qu'entre-ouverte au monde de l'invisible et des liens qui s'y créent ». Même au Rwanda, des groupes de paroles avec des survivantes du génocide sont devenus des espaces sacrés où les femmes se sont connectées à la puissance du Féminin. 

Comme le raconte Laetitia De Schoutheete , « c'est en lâchant « notre » savoir que nous avons touché les unes et les autres cet espace sacré où la sagesse des femmes qui se rassemblent depuis des millénaires est à portée de cœur ».


Propos de Frédou Braun et Lara Lalman

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