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mercredi 18 mars 2015

DYNAMIQUE DES SAVOIRS ANCESTRAUX



À La Réunion, les femmes connaissent fréquemment une trentaine de végétaux d’utilisation courante, aux usages tant préventifs que curatifs. Quoique la manière de les employer soit relativement moins connue des jeunes que des aînées, la connaissance de ces plantes, de leurs effets et des préparations possibles constituent dans la plupart des familles un fond commun de culture populaire thérapeutique. Une enquête menée en 2006 dans les Hauts de La Réunion (Le Tampon) auprès d’élèves de CM1 (âgés donc de 9 ans en moyenne) a montré que les enfants avaient connaissance, par transmission familiale, en général par leur mère ou leur grand-mère, d’une dizaine de plantes médicinales d’usage courant, y compris leurs conditions de culture ou de récolte et, dans certains cas, la manière de préparer les tisanes. Souvent, quand un jardin familial existe, ces végétaux y sont plantés. À ce niveau de pratique domestique, la préparation est simple : les plantes, feuilles, tiges, fleurs ou racines sont généralement mises à bouillir et consommées sous forme d’infusion. Il est à noter que les connaissances des aînées sont dans l’ensemble beaucoup plus précises et complexes que les recettes données par les plus jeunes, ce qui tendrait à accréditer une double hypothèse : UÊ celle de savoirs qui seraient acquis tout au long de la vie et qui expliqueraient que les aînées soient plus expérimentées que les inter- locutrices les plus jeunes ; UÊ celle d’une déperdition actuelle des savoirs.

Ainsi, pour une même pathologie – un muguet dans la bouche des petits enfants – Christine, 30 ans, conseille de frotter l’intérieur de la bouche avec un morceau de tissu trempé dans une infusion de cochléaria à laquelle est ajouté un peu de miel.


Le même schéma est globalement présent à Maurice, avec cependant de très importantes variations dans les connaissances en fonction de l’âge, de l’origine et du milieu social des femmes interrogées : plus les femmes sont jeunes, plus leur niveau d’études est élevé, plus elles semblent avoir rejeté les savoirs traditionnels. À l’inverse, plus les femmes sont âgées, plus elles connaissent de plantes et de recettes de remèdes. Cette grande disparité entre les générations s’explique sans doute en partie par la hausse du niveau d’études des femmes, ainsi que par l’importance, elle aussi croissante, de l’offre médicale, qu’elle soit ou non biomédicale.

À Maurice, cette dernière prend une ampleur croissante en raison, notamment, de la création récente d’un cursus d’études médicales dans l’île. La médecine populaire y est souvent niée ou dévalorisée par les médecins, qui parlent à son sujet de croyances, voire d’obscurantisme. Le fait se retrouve à La Réunion, mais dans une moindre mesure. Le manque de médecins et le nombre particulièrement limité de recours biomédicaux excluent Rodrigues de ce schéma. Depuis une vingtaine d’années, la biomédecine vient de plus en plus court-circuiter le recours aux simples en milieu familial, l’utilisation de végétaux apparaissant comme socialement connotée (médecine des pauvres), même si, dans les faits, elle est encore massivement employée. Les jeunes femmes font toujours appel à leurs aînées quand elles ont besoin d’un remède qu’elles ne savent pas préparer. Ce phénomène se retrouve sur les trois îles. La connaissance des plantes semble également diminuer en raison de l’arrivée, sur le « marché » des soins, d’autres médecines au pouvoir de guérison reconnu. À Maurice, autre alternative à la médecine occidentale moderne, la médecine chinoise, connue depuis longtemps, s’affirme comme un recours important et réputé ; en parallèle, depuis une quinzaine d’années, la médecine ayurvédique tend à s’implanter, associée au désir de retour aux origines d’une partie de la population mauricienne d’origine indienne. Enfin, depuis un peu moins de dix ans, les naturopathes ont fait leur apparition dans l’île. Leur discours à connotation scientifique tend à rassurer certains parmi les jeunes générations qui, sous prétexte de désir de modernité, refusent une partie de leur patrimoine culturel (avant, d’ailleurs, le plus souvent, d’y revenir quelques années plus tard) et substituent volontiers des élixirs vendus à prix élevé aux simples cultivés par leurs mères et leurs grands-mères.

Les modes de préparation relevés dans les familles comprennent l’ensemble des possibilités de préparation thérapeutique : infusions, décoctions, onguents, emplâtres et cataplasmes, bains, préparations composées ou spécifiques à des végétaux donnés. Et les très nombreuses recettes collectées ont été fournies tant par de jeunes mères que par des femmes plus âgées. En outre, le nombre des plantes connues et employées par toutes est beaucoup plus élevé qu’il ne l’est à La Réunion ou à Maurice. Il se situe, selon les femmes, entre 30 et 50 plantes, qui sont soit cultivées dans les jardins, soit ramassées sur le bord des routes ou dans les étendues sauvages (au sens de non cultivées), soit enfin récoltées en forêt.

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