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jeudi 19 juin 2014

La Femme et la Musique


Depuis la nuit des temps, les femmes domptent par des incantations apaisantes les esprits malins qui hantent les enfants à l’heure crépusculaire. Elles inventent ces mélopées dont elles conduisent le flux au rythme du bercement. Depuis la nuit des temps, elles honorent ou implorent les dieux par les danses ou les lamentations vocalisées dans la  liberté de l’improvisation. Ignorées dans la nuit médiévale les troubadoures Iseut de Capiot, Béatrice de Die ou Clara d’Anduze , oubliée dans la nuit grecque, Sappho qui « chante harmonieusement pour charmer ses amies » et méconnues aussi les Romaines citharistes officiantes du culte de Cybèle.


Le nom des femmes qui firent œuvre musicale au cours des siècles passés fut occulté jusqu’au milieu du XXème siècle : ni Histoire des Arts, ni ouvrage musicologique ne les mentionne. Pourtant des traces existent, des annonces : ainsi dans le Mercure de France en 1770 : « Melle Lechantre publie deux concertos pour le clavecin ou le pianoforte », des recueils paraissent dont ceux de Pauline Duchambge qui a écrit plus de 400 romances sur des poèmes de Hugo, Lamartine et Vigny, ou ceux de Marguerite Béclard d’Harcourt associée à Gérard de Nerval. Dans le cas où leur nom demeure dans les mémoires, on prend une voix nocturne pour les citer et elles ne sont pas présentées à la hauteur de leur talent. C’est le cas pour Elizabeth Jacquet de la Guerre, figure majeure du règne de Louis XV puisqu’elle composa en 1721 un Te Deum à grand chœur pour célébrer la convalescence du Roi. Elle n’apparaît que fugitivement dans les histoires de la musique qui, écrites par des hommes, ne tiennent nullement compte des productions et carrières féminines.

Celles-ci, pourtant, ne manquent pas au cours du XIXème siècle, ne serait – ce qu’en France : Louise Bertin, auteur de nombreux opéras, Louise Farrenc en qui un critique voit « l’expression la plus haute du talent symphonique chez les femmes », Augusta Holmès, louée par Saint-Saëns ou Hélène (de) Montgeroult qui, même ayant renoncé à la particule, ne dut qu’à son talent de pianiste de n’avoir point la tête tranchée pendant la Terreur ! Au début du XXème siècle, même les plus titrées, sont souvent passées sous silence. Pourtant sont honorées du Prix de Rome Lili Boulanger en 1913, Marguerite Canal en 1920, Jeanne Leleu en 1923, puis Elsa Barraine en 1929 en tête de plusieurs de nos contemporaines.

Conscientes d’échapper injustement à la notoriété, certaines optèrent pour un pseudonyme masculin : Marie Granval en usa plusieurs, Mélanie Bonis entretint l’équivoque en signant Mel Bonis, et Augusta Holmès débuta comme Hermann Zenta.

Quelques unes, Alma, Clara et autres Fanny souffrirent de la concurrence imposée par leur patronyme. En revanche l’une d’elles ne profita point de la légalité de son emploi : Mademoiselle Barbe Gerber, auteuse de romances et pièces de piano, qui devint par son mariage Madame (Jean Marie) Chopin. Bien d’autres, dont nul ne sait qu’elles composèrent, connurent le succès par d’autres voies : Marie Antoinette, Hortense de Beauharnais, Wilhelmine von Bayreuth ou la cantatrice Pauline Viardot, dont Saint-Saëns admirait « la plume impeccable ».

Plusieurs causes apparaissent à cette occultation du rôle créatif des femmes dans l’histoire musicale. En premier lieu l’asphyxie des interdits, et d’abord ceux de l’église pour qui l’infériorité de la femme allait jusqu’à la rendre assimilable à une image diabolique. Paul ayant affirmé, dans une épître aux Corinthiens que la femme devait se taire à l'église, les décrets se multiplièrent pour la soustraire à la pratique des  exercices musicaux. Toutefois, par dérogation ou désobéissance, plusieurs s’y livrèrent comme en témoigne l’œuvre de Hildegarde Von Bingen, fondatrice au XIIème siècle du monastère indépendant de Rupertsberg, théologienne, poétesse et compositrice d’antiennes, d’hymnes et drames liturgiques.

Tout aussi oppressants furent les interdits sociaux et bien plus durables. La femme est assujettie à sa condition de mère et d’épouse. Pour brider tout élan créateur, la volonté du père et celle du mari se conjuguent. Germaine Tailleferre, qui en souffrit, le souligne dans ses Mémoires, citant d’abord son père criant à tue-tête : « pour ma fille, être au Conservatoire ou faire le trottoir Saint Michel, c’est la même chose. Jamais je ne donnerai mon autorisation ! », puis, la carrière commencée, intervient un mari, Richard Burton, qui « n’aimait pas beaucoup se sentir Monsieur Tailleferre », et une belle-mère, la mère de Jean Lageat, qui rappelle les bonnes manière : « Moi, ma fille, je n’ai jamais travaillé.

C’est ainsi dans notre milieu. ». Un critique, d’ailleurs, ironise en même temps : « Le Groupe des Six se compose de cinq membres et d’une membrane ! ».



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