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mardi 17 juin 2014

Des apparats aux incommodités féminines




 

« Déesse inconstante, incommode, bizarre dans ses goûts, folle en ses ornements, qui paraît, fuit, revient et naît dans tous les temps », la mode vestimentaire est un éternel recommencement, à l’image de la fraise, encombrant appendice adulé sous Henri II et refleurissant sous la Restauration, du châle tantôt désuet tantôt incontournable attribut de grand luxe, de la crinoline du Second Empire dont le vertugadin fut l’ancêtre sous François Ier, ou encore du séant postiche prenant ses marques sous François II


Au mois de juillet 1913, on célébrait le centenaire de l’introduction du cachemire en France. C’était, disait-on, la spirituelle Mme de Bourrienne, arbitre des élégances féminines de l’époque, qui, en juillet 1813, avait arboré à Paris le premier cachemire qu’elle venait de recevoir des Indes.

Or, s’il est vrai que Mme de Bourrienne lança alors la mode du châle, qui devait durer jusqu’à la fin du Second Empire, il était inexact de dire que son cachemire était le premier qu’on eût vu en ce pays. A la vérité, le premier cachemire qui vint en Europe, avait été apporté des Indes près d’un quart de siècle auparavant, à Marie-Antoinette, de la part du bailli de Suffren. Ce fut un jeune officier de marine nommé Bouvet – un nom célèbre dans la marine – qui s’en chargea et apprit à la reine la façon de le porter.

Sans la Révolution, qui bouleversa les modes comme toutes choses, il est probable que la mode du cachemire eût commencé vingt-cinq ans plus tôt. Cette mode, cependant, est de celles qui durèrent le plus longtemps. Il faut croire que le châle avait bien des avantages pour que les femmes aient consenti à le porter pendant cinquante ans. Il faut dire que ces châles venus des Indes étaient de merveilleux objets. Les Hindous les apportaient par la voie de terre en Russie, à la grande foire de Macarieff, laquelle fut remplacée par celle de Nijni-Novgorod. C’étaient des châles anciens qu’avaient portés, en ceinture ou en turban, les nababs ou les radjahs.

Plus tard, quand la mode se démocratisa, des industriels français en fabriquèrent. Au milieu du XIXe, nos ancêtres avaient tous vu leurs grand-mères se draper dans ces grands châles bariolés dont ils firent, quand la vogue en fut passée, des tentures des tapis de table ou des dessus de piano. Vers 1860, les femmes commencèrent à renoncer au châle. Beaucoup d’élégantes le regrettèrent. A la veille de la guerre de 1870, la princesse de Metternich tenta de remettre le cachemire en faveur. « N’importe qui, disait-elle, peut s’habiller d’une confection, mais il faut être une vraie dame pour savoir porter le châle. »

Sous le Premier Empire et sous la Restauration, le beau châle des Indes étaient le vêtement de grand luxe. L’impératrice Joséphine en posséda jusqu’à quatre cents. Elle en avait qui n’avaient pas coûté moins de dix et douze mille francs. Comme on place aujourd’hui son argent en colliers de perles ou en rivières de diamants, on le plaçait en ce temps-là en cachemires. Un beau châle des Indes était un objet qui ne pouvait qu’augmenter de valeur. Voltaire appelait la mode :

...Une déesse inconstante, incommode,
bizarre dans ses goûts, folle en ses ornements,
Qui paraît, fuit, revient et naît dans tous les temps.

Est-il possible de la dépeindre avec plus d’exactitude ? La mode, en effet, « paraît, fuit, revient » sans cesse. C’est surtout en parlant d’elle qu’on peut dire qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil. La mode d’avant-hier redevient celle d’aujourd’hui ; la mode d’hier sera celle de demain. Peut-on jamais affirmer qu’une mode, si ridicule qu’elle soit, et même alors que les femmes n’en veulent plus, ne renaîtra pas quelques années plus tard ?

Tenez : la fraise... La fraise avait été imaginée par Henri II pour cacher une cicatrice que les écrouelles lui avaient laissée sur le cou. Aussitôt les courtisanes des deux sexes l’adoptèrent. Les femmes la portèrent de dimensions exagérées. La fraise était pourtant singulièrement incommode. A table, les femmes étaient obligées d’employer des cuillers longues d’une aune pour manger leur potage.

On eût pu croire qu’une telle mode une fois disparue, ne rentrerait jamais en faveur. Eh bien, il n’en fut rien. Sous la Restauration, pendant quelques années, on vit les élégantes porter de nouveau la fraise – la fraise moins rigide et légèrement infléchie en avant, il est vrai..., mais c’était la fraise tout de même.

Et la crinoline ?... Au début du XXe siècle, on menaça nos ancêtres du retour de la crinoline. Ils y échappèrent. Mais y échapperons-nous demain ? D’ailleurs, la crinoline de nos aïeules n’était pas elle-même une innovation. C’était une mode qui renaissait et qui renaissait même pour la seconde fois. La crinoline, en effet, ne fut pas, comme on le croit généralement, une création du Second Empire. Elle eut, dans l’histoire de la mode, deux ancêtres qui firent quelque bruit.

Les premières crinolines datent du règne de François Ier. Il y avait alors, à la cour du roi-chevalier, quelques dames qui avaient les hanches mal faites. Pour dissimuler cette imperfection, elles inventèrent le « vertugadin », par lequel elles prétendaient donner de l’élégance à la taille en arrondissant les hanches. Afin de ne point laisser deviner la vraie raison de cette mode, elles en firent honneur à leur modestie en l’appelant « vertugadien ». On en a fait « vertugadin » par corruption.

Or, le vertugadin n’était autre chose qu’une crinoline, seulement plus évasée aux hanches que celle qu’on porta sous Napoléon III. Cette mode, abandonnée pendant deux siècles, reparut sous Louis XV, et, apparemment, pour la même raison. On lui donna le nom de « paniers ». C’était là le nom d’un maître des requêtes fort répandu dans la monde. Fut-il l’inventeur ou plutôt le restaurateur de cette mode ? On ne sait. Toujours est-il que son nom y gagna une célébrité qu’il n’eût point conquise sans cela.

La vogue des paniers est un des exemples les plus probants de la toute-puissance de la mode. Tout le monde les trouvait ridicules, incommodes. Les femmes ne pouvaient plus monter en chaise à porteurs ; dans les carrosses, elles tenaient toute la place au détriment de leurs maris. Dans les salons, elles se gênaient mutuellement avec les développements excessifs de leurs jupes ; et, comme disait plaisamment un écrivain du temps, la duchesse couvrait la marquise, la marquise couvrait la comtesse, la comtesse couvrait la baronne. Les plus grands appartements devenaient trop étroits pour le développement de ces énormes falbalas.

La commodité, le bon sens condamnaient les paniers ; bien mieux, la religion tonnait contre eux. Les prédicateurs censuraient de tout le pouvoir de leur éloquence ces accoutrements scandaleux. A Saint-Sulpice, le père Bridaine, de sa voix de stentor, adjurait ses pénitentes d’y renoncer si elles ne voulaient pas être condamnées à aller expier leurs excès somptuaires dans les flammes de l’enfer. Qu’arrivait-il ?... Les belles élégantes, pour aller l’écouter à l’église, mettaient de modestes robes plates sur les hanches, mais, dès qu’elles étaient rentrées au logis, c’était à qui d’entre elles s’ornerait des plus formidables paniers.

Et le réticule (petit sac) ?... Que d’ancêtres n’a-t-il pas ? Les dames du Moyen Age avaient l’aumônière ; celles de la Renaissance avaient l’escarcelle. Chaque fois que les femmes supprimèrent l’ampleur de leur robe, elles supprimèrent les poches du même coup, et le réticule reparut sous quelque nom nouveau.

Il y a quelque 800 ans, les dames portaient des vêtements collés au corps. Voyez plutôt les statues de ce temps-là, taillées au portail des églises. C’était la robe fourreau que portèrent de nouveau les élégantes au début du XXe siècle. Au temps de Saint-Louis, la manche plate était tellement en faveur que les dames faisaient, sur leurs bras mêmes, coudre et découdre leurs manches, matin et soir, par leurs chambrières. Or, vers 1910, on vit revenir à la mode ces manches exagérément plates.

Parmi les modes singulières considérées par certains comme ridicules, citons la manche à gigot. Elle fut inventée, au temps de la Renaissance, par de nobles dames qui dissimulaient ainsi leurs épaules contrefaites. Cela ne l’empêcha pas de reparaître vers 1880.

Sous François II, un seigneur arbitre des élégances d’alors, était fort ventru : pour l’imiter, les hommes s’avisèrent de porter des ventres postiches. C’est alors que les femmes, par esprit de contradiction, sans doute, et dans l’intention de railler cette passion des hommes pour la rotondité abdominale, inventèrent la mode des gros derrières et imaginèrent des postiches qui donnaient à leur séant des proportions dont la Vénus hottentote eût été jalouse. Nous n’avons pas revu la mode des gros ventres chez les hommes ; mais celle des gros séants chez les dames fut de nouveau très en vogue à la fin du XIXe siècle. Et l’on désignait ce postiche d’un euphémisme ingénieux : la « tournure ».


Mais nous n’en finirions pas s’il fallait examiner toutes les modes défuntes, ou que l’on croit telles, et qui, sans qu’on sache pourquoi, reviennent brusquement au jour. Du moins, celle des cachemires qui réapparut dans les années 1920, se justifie-t-elle par la grâce et le bon goût. Il apparaît d’une manière générale que les modes jugées ridicules ou disgracieuses s’imposent non moins facilement que les autres, et il n’est pas une femme qui, regardant les gravures de modes d’autrefois, ne s’écrie : « Dire que nos grand-mères s’habillaient comme ça ! »

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