Pages

vendredi 30 mai 2014

Rapports entre femmes et générations



Les hommes ne le savent peut-être pas, mais ce dont la plupart des femmes préfèrent parler entre elles, ce n’est pas d’eux ; c’est de leur mère. Tant et tant de confidences chuchotées entre filles, entre adolescentes, entre femmes adultes, entre mères, entre grand-mères même, tournent autour des faits et des dits de leurs mères. C’est que le sujet est un universel féminin. Certes, les femmes ne deviennent pas toutes mères, et les mères n’ont pas toutes des filles, mais toutes les femmes ont une mère, et même, parfois, plusieurs "mamans" (qui peuvent d’ailleurs être des hommes, puisque ce terme désigne une fonction et non une place généalogique).

S’interroger sur la relation mère-fille est donc le lot de toutes les femmes à un moment ou à un autre de leur vie, voire toute leur vie ; c’est aussi, qu’ils le veuillent ou non, celui des hommes, observateurs ou impliqués dans cette relation, parfois activement, parfois à leur corps défendant, si même ils n’occupent pas – à leur insu ou en toute clarté – une position maternelle vis-à-vis de leur femme, ou de leur fille.

Dans un article consacré aux différentes versions du Petit Chaperon Rouge, l’anthropologue Yvonne Verdier montrait que les versions écrites qui nous sont parvenues (celles de Perrault et de Grimm) opèrent d’étranges déplacements par rapport à la tradition orale, telle qu’elle se transmettait de personne à personne dans les foyers populaires d’autrefois. Dans les versions orales, ce n’est pas le loup qui est l’interlocuteur principal de la petite fille, mais la grand-mère ; ce ne sont pas les hommes qui menacent en priorité le monde féminin, mais les femmes, qui se dévorent entre elles ; et ce n’est plus la confrontation avec la sexualité masculine que symbolise le récit, mais c’st l’initiation aux âges successifs de la vie d’une femme, incarnés par la fille, la mère, la grand-mère.

L’aventure de la petite fille n’est pas tant la découverte de la sexualité, au risque du vil, que l’affirmation de son identité de femme, au risque de la rivalité, scandée par l’apprentissage progressif des savoir-faire féminins.

Au terme de cette subtile analyse, l’auteur s’interroge sur le succès de la version savante, celle qui privilégie "les relations de séduction entre le loup et la petite fille" avec pour fonction d’avenir : "Petites filles, méfiez-vous du loup". Cette version a fini par occulter la version populaire, insistant sur les "fonctions féminines" et "porteuse d’une tout autre morale : "Grand-mères, méfiez-vous de vos petites filles" !


Ce quadruple déplacement – de l’écrit à l’oral, du savant au populaire, du masculin au féminin, et d’une problématique de la sexualité à une problématique de l’identité – permet de mettre en évidence l’importance de l’enchaînement des places, de génération en génération, ainsi que la dimension critique des rapports mère-fille dans la transmission des rôles et la construction des identités. Ainsi, se trouve dessiné le cadre d’une recherche : comment apparaissent les rapports mère-fille, dans tous leurs aspects et à tous les âges, dès lors qu’on s’éloigne des problématiques savantes sur la littérature et des interrogations centrées sur une vision masculine ou non sexuée ? Et en quoi sont-ils spécifiques, c’est à dire non réductibles aux rapports parents-enfants en général ?

Issu du livre Mères-Filles une relation à Trois aux éditions Albin Michel

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire