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lundi 29 septembre 2014

Ce que les bijoux disent de nous


Les bijoux, précieux ou fantaisie, parlent de nous, comme autant de signes visibles de notre appartenance à un groupe religieux, ethnique, professionnel, politique ou sexuel. Messagers d’amour, symboles de séduction ou de soumission, objets de superstition… Ils disent à leur manière notre identité sociale, si nous sommes mariés, si nous avons hérité, si nous avons un enfant… Mais, au-delà des messages conscients qu’ils délivrent, les bijoux font partie de notre histoire et peuvent révéler notre personnalité inconsciente. Discrets ou ostentatoires, ils expriment nos goûts et notre rapport à la féminité, témoignent de notre histoire familiale ou amoureuse. Décryptage d’une relation complexe, riche de sens.

« Le bijou ne ment pas », lance Catherine Tisseuil, une passionnée de toujours, aujourd’hui créatrice, en brandissant un bracelet de force qu’elle a conçu à partir d’une timbale en argent reçue dans son enfance. Depuis que les femmes sont passées du statut de « celles qui reçoivent » à celui, plus complexe, de « celles qui offrent et s’achètent un bijou », ce dernier symbolise ce que l’on choisit de montrer de soi, son degré d’émancipation ou, tout simplement, l’humeur du moment.
L’affranchissement des codes sociaux a autant libéré le bijou que celle qui les porte. L’alliance n’est plus réservée aux personnes mariées, le collier de perles n’est plus l’apanage de la bourgeoise, la médaille de baptême ne dit plus forcément le baptême.
Il y a quelques années, une campagne de publicité américaine – « Right hand ring » – avait même encouragé les femmes à arborer « un diamant à la main droite » en signe d’indépendance affective et financière. Pour casser une allure qu’elle trouve trop classique et convenue, Laurence a choisi de porter ses pierres précieuses avec un jean et des baskets : « C’est plus rock, plus proche de ma personnalité. »
« Nous ne sommes plus dans la dépendance, mais dans l’affirmation confiante de ce que nous sommes », insiste la psychanalyste Virginie Megglé. Notre personnalité est multiple, et le bijou exprime ses différentes facettes, dès lors que l’on est en accord avec soi. Isabelle, qui déteste tout ce qui est ostentatoire, ne porte jamais d’or : « Il symbolise une richesse que je n’ai pas envie d’afficher. » Elle lui préfère le cliquetis d’argent d’un sautoir berbère, qui correspond mieux à ce qu’elle est et qui lui permet de retrouver chaque jour un souffle de liberté venu d’ailleurs.

Le bijou érotise le corps

Les bijoux ne sont pas seulement identitaires. Des boucles d’oreilles éclaireront un visage, une broche ou un collier rehausseront un décolleté, un bracelet ou une bague brillante induiront une gestuelle sensuelle. « Ces parures sont destinées à mettre en valeur la féminité, elles soulignent le corps, subliment la peau », estime Catherine Tisseuil.
Dans certaines familles, offrir à une jeune fille un rang de perles pour ses 18 ans est un rituel de passage qui lui signifie qu’elle est une femme. « Qu’elle le veuille ou non, lorsqu’une femme reçoit un bijou, c’est toujours sa féminité qui est, implicitement, valorisée », constate la psychiatre et psychanalyste Vannina Micheli-Rechtman.
Il est un attribut dont la vision est autorisée, en écho à ceux que nous devons cacher – seins, pubis ou toute autre partie intime considérée comme un bijou. En un mot, il érotise le corps. C’est aussi une façon pour celui qui offre – le père, l’amant, le mari – de montrer sa richesse et son pouvoir, à l’instar des anciens chefs de guerre couverts d’or et de joyaux. Est-ce parce qu’il considérait vivre avec la femme la plus belle du monde que Richard Burton offrait à Elizabeth Taylor les pierres les plus précieuses, les plus grosses, les plus chères ?

Le bijou, un signe de féminité ?

Mais, si le bijou souligne la féminité, il ne la décrète pas. L’habit n’ayant jamais fait le moine, le bijou ne fait pas la femme. Et, même si les pages de mode des magazines en abusent comme autant de signes extérieurs rassurants de regendering (ou « identification à son genre » : les filles sont des filles ; les garçons, des garçons), l’accumulation n’est pas pour autant convaincante. Une femme couverte de bijoux n’est pas plus féminine que les autres, les hommes qui en portent ne sont pas moins virils. A contrario, ne pas en arborer peut être une manière de refuser une expression de la féminité jugée futile ou caricaturale.

Un ancrage spirituel

D’une valeur symbolique et affective très forte, le bijou est un marqueur existentiel de notre histoire personnelle. « Les miens expriment mon ancrage spirituel et mon lien à la terre », révèle Flavia, qui s’amuse à mélanger les styles : « Une bague de fiançailles, une bague de famille et des semainiers indiens en turquoise. »
« Ma bague de fiançailles est un serti clos composé de diamants d’Afrique du Sud, pays où j’ai rencontré mon futur mari, raconte Sophie. Je ne la quitte jamais et je mourrai avec ! »
Sandrine se souvient du premier bijou qu’elle s’est offert lorsqu’elle a touché son premier salaire : un collier avec une dizaine de rangs, en perles colorées très fines. « Il s’est démodé rapidement, mais je garde de la tendresse pour lui, il me rappelle toujours qui j’étais à 20 ans. »
Isabelle ne se sépare jamais de son bracelet décoré de trois petites silhouettes en argent qui représentent ses trois filles. « Ma grand-mère avait une bague avec cinq saphirs pour chacun de ses enfants, et ma sœur aînée porte un collier avec trois médailles, sur lesquelles figure le prénom des siens », confie-t-elle.
Lors d’une enquête*, les ethnologues Marlène Albert-Llorca et Patrizia Ciambelli ont noté que plus de la moitié des femmes qu’elles ont rencontrées possèdent un bijou hérité ou transmis. Ce qui n’est pas toujours simple. « À la mort de ma mère, mon père m’a donné sa bague de fiançailles. Je l’aime beaucoup, mais je la porte peu, je me sens mal à l’aise avec… Ça n’est plus moi », avoue Caroline. « La loyauté familiale agit ici comme un handicap, car cet accessoire est porteur d’un message qui ne nous est pas destiné », explique Virginie Megglé.

Le bijou et notre histoire personnelle

C’est d’ailleurs lorsque nous le perdons que nous prenons souvent conscience de l’importance d’un bijou dans notre histoire personnelle. « Quand je me suis fait voler ma médaille de baptême, une montre de gousset en or offerte par ma grand-mère pour ma première communion et une bague avec une belle topaze, cadeau de ma marraine à l’adolescence, j’ai eu l’impression d’être amputée de mon passé », témoigne Sonia.
Pour Virginie Megglé, se remettre de la perte de ses bijoux familiaux demande de faire un travail de deuil et de conversion de ses propres valeurs. C’est l’occasion de se pencher sur son histoire, de s’en détacher pour se singulariser, puis de « grandir » pour investir d’autres bijoux, une identité renouvelée.

Le bijou, un objet thérapeutique

Une légende raconte que des hommes découvrant des rubis dans le sol ont pensé que ces pierres rouges avaient le pouvoir d’arrêter les hémorragies… Quelles que soient les époques et les cultures, nous avons toujours prêté aux pierres le pouvoir de nous guérir et de nous protéger. Ruban brésilien, œil de sainte Lucie, pierre d’onyx, charms et autres gris-gris nous maintiennent en bonne santé, nous portent bonheur, nous apaisent ou relancent notre énergie. Leur contact charnel nous protège et nous sécurise. Devenus talismans et objets thérapeutiques, leur valeur marchande importe peu puisque seule compte la valeur particulière que nous leur attribuons.

Des bijoux et des hommes

Longtemps, le bijou fut un signe extérieur de pouvoir et de richesse réservé aux hommes : rois, papes et autres chefs guerriers arboraient bagues, couronne, bracelets, pectoral. Il leur servait également de défense : la couronne protège la tête, le pectoral éblouit l’ennemi et arrête les flèches… Manches et étuis de poignard ou d’épée étaient recouverts de pierreries. Seuls les rois portaient des diamants, jusqu’à ce qu’Agnès Sorel, favorite de Charles VII, en exige à son tour. Avec elle, le bijou se féminise et perd en virilité.
Est-ce la raison pour laquelle les hommes finissent par l’abandonner ? Au début du XXe siècle, il réapparaît timidement dans le vestiaire masculin sur les boutons de manchette, les pinces à cravate ou les boucles de ceinture. Le changement survient après Mai 68, quand les hommes, par anticonformisme, se réapproprient le bijou en signe de contestation. Les punks portent des bagues et des piercings, les hippies ou les surfeurs, des colliers en tout genre, les homos revendiquent la boucle d’oreille, les gothiques, les têtes de mort… Si les années 1970 marquent le retour du bijou identitaire, les années 2000 lui imposent une fonction utilitaire. Mais la contestation reste dans l’air, et les rappeurs s’affichent couverts d’or et de pierreries, comme les nouveaux chefs de guerre.
A voir, à lire
Le site de la créatrice Catherine Tisseuil : www.16emesud.fr.
Et celui de Virginie Megglé, auteur deLa Projection, à chacun son film… (Eyrolles, 2009) : 
www.psychanalyse-en-mouvement.net

A LIRE
La Psychanalyse face à ses détracteurs de Vannina Micheli-Rechtman (Flammarion, 2010).


Faites vos produits de beauté vous-même !


Nous consacrons des fortunes à l'achat de produits de soins et de beauté censés nous rendre éternellement belles (ou beaux) et séduisant(e)s. Hélène Baron et Tiphaine Chagnoux jettent un pavé dans le pot de crème : ces produits trichent, disent-elles, et sont souvent nocifs ! À la place, elles ont adopté une méthode très différente, à tout petits pas.

Le monde des produits de beauté et des cosmétiques a toujours eu une place de choix dans les cultures humaines, même en temps de crise ou de guerre. À notre époque, c'est devenu un enjeu économique colossal, qui nous manipule dans une large mesure, via la publicité la plus luxueuse du monde, mais aussi parfois la plus menteuse, puisqu'elle nous promet grosso modo l'élixir d'éternelle jeunesse ! Hélène Baron et Tiphaine Chagnoux ont opté pour une autre démarche, qui consiste à fabriquer leurs produits de soin et de beauté elles-mêmes.
Au début de leur charmant petit guide, Cosmétiques naturels - Conseils et recettes plaisir pour préserver sa santé au quotidien (éd. Sully), le lecteur, qui est surtout une lectrice, a un moment de recul : faire ses propres produits ne représente-t-il pas un travail énorme ?
Et n'aboutit-on pas, en fait, à des catastrophes ? Il se passe alors quelque chose d'étonnant : ce livre vous prend par la main et commence par vous emmener faire le marché - éventuellement sur le web, pour certains produits, mais il est important de sentir les odeurs des huiles, des essences, des poudres, des argiles, des fleurs, des miels... Puis vous rentrez chez vous et une réelle envie vous prend d'essayer. Un peu comme si vous aviez toujours été nourrie de plats en conserve et que l'on vous proposait soudain de vous mettre aux fourneaux ! Une euphorie s'annonce : des laits pour le corps aux lotions pour les cheveux, des infusions pour bain aux gels pour visage, en passant par d'invraisemblables dentifrices à l'argile, vous aimeriez tout essayer. Heureusement, les auteurs vous mettent en garde : pas de précipitation. La sensualité est fille d'un mouvement très lent. Une belle adaptation aux temps à venir.
Nouvelles Clés : D'après la page de garde, Hélène Baron a écrit la partie critique de votre livre, où elle démonte impitoyablement le système industrialo-médiatique des cosmétiques qui, selon elle, nous manipule et nous empoisonne. Et vous, plus cool, vous avez rédigé la partie pratique, celle, pardonnez-moi, qui nous intéresse le plus ! On n'achète pas un tel livre pour son idéologie, mais plutôt pour ses conseils efficaces.
Tiphaine Chagnoux : Vous savez, j'aurais été beaucoup plus critique qu'Hélène ! Il valait donc mieux, en effet, qu'on me laisse aux fourneaux. Concernant l'idéologie, deux formidables livres de mise à nu de l'économie des cosmétiques sont déjà parus, qui disent mieux que nous pourquoi il faut désormais réagir. Le premier s'intitule La Vérité sur les cosmétiques , rédigé par une Allemande, Rita Stienf (éd. Leduc.S). Un vrai pavé dans les crèmes et les onguents, paru en 2001 ! À la suite de quoi, l'émission "Envoyé Spécial" a diffusé un reportage et les Français ont commencé à s'alerter. Un second livre, de Laurence Wittner, est sorti peu après, avec la même intention de décoder les ingrédients, de vérifier ce que les industriels mettent dans les cosmétiques, etc. Ce travail a été très bien fait. Même des néophytes réussissent à le lire : Cosmétiques : Mode d'emploi, éd. Leduc.S.
Nous, ce qui nous a intéressées, c'est de proposer d'acheter différemment, par exemple en magasin bio, ou encore de fabriquer soi-même ses produits à la maison. Hélène m'a donc demandé de l'aider, sachant que je mets ça en pratique depuis un certain temps. Par pur plaisir. Pour moi, c'est un hobby.
N.C. : Restons quelques secondes sur la partie critique : décrypter les étiquettes des cosmétiques est une vraie galère, les industriels s'arrangeant toujours pour imprimer ça en tout petit et surtout dans un jargon incompréhensible.
T.C. : En France, la loi obligeant les industriels à livrer la composition de leurs produits ne date que de 1998. Cela dit, c'est rédigé dans une nomenclature codée (l'INCI), qu'un consommateur moyen ne peut quasiment pas comprendre. Avec carrément des pièges. Sur notre forum, beaucoup de gens nous demandent par exemple ce que veut dire « castor oil » : en fait, aucun rapport avec les castors ; en anglais, c'est le nom de l'huile de ricin. Il y a donc une opacité complète pour les consommateurs. Un autre problème vient de ce que seuls les ingrédients dont la présence égale ou dépasse 1% qui sont mentionnés. Ceux qui ne figurent qu'à doses infimes ne figurent pas sur la liste. Or ils peuvent très bien être toxiques, même très dilués.
N.C. : Pour en finir avec la critique, en dehors des statistiques, qui nous disent que de plus en plus de gens souffrent des effets secondaires de leurs cosmétiques, connaissez-vous personnellement des femmes ou des hommes qui s'en sont plaints auprès de vous ?
T.C. : J'ai personnellement la peau sensible et c'est la raison pour laquelle je suis passée aux cosmétiques naturels. 20% des consultations en dermatologie dans les CHU sont liées à l'utilisation de produits d'hygiène et de cosmétiques. Le problème c'est que, très souvent, on ne se rend pas compte que ces produits sont nocifs. Je prends l'exemple des cheveux. J'ai eu les cheveux longs très longtemps et un shampoing ne me suffisait jamais, il fallait forcément un après-shampoing pour les démêler. Depuis que j'utilise des shampoings corrects, je n'ai plus besoin de démêlants ou d'après-shampoing. Les cosmétiques actuels nécessitent de plus en plus l'usage d'autres cosmétiques - simplement parce que la base d'un shampoing tel que vous pouvez en trouver dans un supermarché est la même que celle d'un détergent pour moquette. C'est donc quelque chose d'assez agressif et pour reconstituer un fil protecteur, on est obligé d'utiliser un produit supplémentaire.
Un des paradoxes sur lequel nous sommes tombées, c'est que moins on en fait pour la peau, et mieux elle se porte ! Et un simple savon de Marseille peut très bien suffire pour se laver.
N.C. : Ma fille de 16 ans ne serait pas d'accord : elle m'a expliqué que les savons de Marseille que j'avais fièrement rapportés de voyage desséchaient horriblement... Cela dit, elle aussi est victime de la pub !
T.C. : On vend du rêve, avec un talent extraordinaire. J'en ai beaucoup parlé avec mes cousines qui ont entre 14 et 20 ans. Il y a savon et savons. Contrairement à ceux des savonniers traditionnels, les savons du commerce sont expurgés d'une partie de leur glycérine et donc assez irritants pour la peau. Quand on les fait à la maison, on n'enlève rien et ça change tout. De plus, les huiles varient énormément. Le vrai savon de Marseille se fait à l'huile d'olive, alors qu'aujourd'hui, certains reposent sur des graisses animales.
N.C. : Passons à la partie positive de votre guide. Au début, on risque d'être pris de vertige à l'idée de changer aussi radicalement de style de vie. Ce n'est pas rien, d'arrêter d'aller s'approvisionner à la parfumerie en produits luxueux et sophistiqués, pour les remplacer par des produits de base, achetés à l'épicerie bio !!!
T.C. : Je suis passée par là et c'est pourquoi notre livre repose sur une politique des petits pas. Impossible de tout changer du jour au lendemain. Pour changer des habitudes ancrées en nous depuis l'enfance et réinjectées à longueur d'années par la publicité, il y a en fait qu'un moyen : y aller très très progressivement. On va commencer par remplacer un ou deux produits. Au début, on n'est même pas obligée de les fabriquer, on peut les acheter tout faits dans un magasin bio : par exemple remplacer son gel douche par un savon. On commencer par quelques gestes. D'abord acheter différemment. Quant à la fabrication, j'ai essayé de la limiter à des produits assez simples. Prenez le gommage à l'amande : plutôt que d'aller acheter un tube de gommage dans une grande surface, on prend un peu de poudre d'amande, on rajoute un peu d'eau, un peu de lait et ça fait un gommage excellent.
N.C. : C'est drôle, je viens de recevoir un excellent livre sur la "technique des petits pas", que les Américains ont enseignée aux Japonais après 1945...
T.C. : Je trouve que c'est le seul moyen... Je l'ai expérimenté dans un autre domaine, le végétarisme. Aujourd'hui, je suis végétarienne, mais ça m'a pris du temps. On ne peut pas passer du jour au lendemain d'un régime omnivore à un régime végétarien. Certains tentent ce grand saut, mais c'est très dur. Et beaucoup reviennent brutalement en arrière. Alors qu'à petits pas, on commence par ne plus acheter de viande, mais on continue au restaurant ou chez des amis. Ou bien on supprime uniquement la viande rouge. Il est important de se donner le temps. Il y a tellement de décalage entre l'intellect (« Il faut que je le fasse ! ») et la réalité.
N.C. : Votre livre correspond à ça. Vous prenez le lecteur par la main et vous lui donnez envie, par les odeurs... Il y a finalement quelque chose de plus sensuel à le faire soi-même que d'acheter tout fait. Un peu comme de découvrir qu'on a toujours mangé des conserves et que tout d'un coup quelqu'un vous invite à faire la cuisine vous-même.
T.C. : Je suis très heureuse que vous l'ayez perçu comme ça, parce que c'était justement notre idée ! Il est beaucoup question de plaisir. Si on aime cuisiner, on aimera forcément faire ses cosmétiques. Il y a un grand plaisir à sentir les odeurs, à regarder les textures, à malaxer les crèmes. C'est à la fois créatif et plaisant, comme tout travail manuel.
N.C. : Quels autres exemples simples donneriez-vous en guise de premier pas ?
T.C. : Le rinçage des cheveux au vinaigre ! Une rumeur non fondée dit que le vinaigre attaque. Mais la peau et le cuir chevelu sont acides : finir de les rincer à l'eau vinaigrée (ou citronnée) permet de rétablir le PH naturel, tout en se débarrassant du calcaire.
N.C. : Un troisième exemple ?
T.C. : Un masque au miel. Tout le monde connaît le masque aux concombres, qui n'est pas forcément adapté à toutes les peaux. En réalité, la plupart des fruits et légumes du marché peuvent servir à faire des masques. Il faut d'abord chercher, patiemment là aussi, quels produits conviennent le mieux à notre peau et bien repérer ceux auxquels nous risquerions d'être allergiques.
N.C. : Je suppose que, comme pour les huiles essentielles, vous conseillez de faire un essai, plusieurs heures avant, ou même la veille, en imprégnant une petite surface de peau, dans le creux du coude, et d'observer ce que ça donne. S'il n'y a aucune rougeur, on peut y aller !
T.C. : La plupart des recettes que nous proposons ne sont pas dangereuses, à l'exception de la fabrication du savon, où il s'agit de manipuler de la soude ! Le vrai danger vient de l'inconséquence de beaucoup de gens vis-à-vis des essences de plantes. Je hurle quand je lis dans certains magazines : « Versez quelques gouttes d'essence dans votre bain... » Il ne faut jamais utiliser d'essences pures, mais toujours en solution dans une huile. C'est terriblement puissant, une essence, et ça veut drôlement vous brûler ! Nous avons donc redoublé de prudence, en multipliant les avertissements à ce sujet tout le long du livre.

A lire : 
Cosmétiques naturels - Conseils et recettes plaisir pour préserver sa santé au quotidien , Hélène Baron et Tiphaine Chagnoux (éd. Sully)

Tiphaine Chagnoux par Patrice van Eersel

LA VIE DES FEMMES, LÀ OÙ DIEU ÉTAIT FEMME


QUELLES FURENT LES CONSÉQUENCES
du culte d'une divinité féminine sur le statut social
des femmes de cette époque?


Il serait facile de l'expliquer par une relation de cause à effet simpliste, du genre: si l'on vénérait une déesse, les femmes devaient avoir un statut social très élevé; ou encore, c'est parce que les femmes occupaient un rang élevé qu'on adorait une déesse. Bien que ces deux facteurs soient étroitement liés, si l'on en juge d'après notre civilisation patriarcale, on doit néanmoins considérer d'autres points de vue sur la question, même ceux qui confondent cause et effet ou qui décrivent de façon linéaire des événements simultanés. Car notre but est d'arriver à une compréhension aussi claire que possible du rapport entre la religion et le statut des femmes.

 M. et M. Vaerting, auteurs de The Dominant Sex (Allemagne 1923), ont émis l'hypothèse que le sexe de la divinité est déterminé par le sexe de ceux qui détiennent le pouvoir.

«Le sexe dominant, ayant le pouvoir de diffuser ses propres points de vue, tend à répandre son idéologie spécifique. Si les tendances du sexe dominé vont à l'encontre de cette idéologie, elles seront vraisemblablement éliminées, d'autant plus énergiquement que le sexe dominant est plus puissant. En conséquence, l'hégémonie des divinités masculines accompagne en général une domination sociale des hommes, et l'hégémonie des divinités féminines une domination des femmes.»

Sir James Frazer affirme, quant à lui, que c'est le statut élevé des femmes qui est à l'origine de l'adoration et du culte rendus à la divinité féminine. Il cite la tribu des Pelew en Micronésie, où les femmes jouissent d'un statut politique et social supérieur à celui des hommes.

«Dans cette tribu insulaire, écrit-il, on a expliqué la prééminence des déesses sur les dieux, de façon juste, par la grande importance accordée aux femmes dans les structures sociales de ce peuple.»

D'après Robertson Smith, le sexe attribué à la divinité suprême était lié au sexe de celui, homme ou femme, qui détenait l'autorité au sein de la famille. Il  suggère que l'identité sexuelle du chef de famille déterminait celle de la divinité suprême, selon le système de filiation en vigueur.

Ces quelques exemples illustrent la théorie selon laquelle le sexe de la divinité est prédéterminé par la domination d'un sexe sur l'autre — dans le cas de la Déesse, ce sont les femmes qui étaient prépondérantes dans l'organisation familiale et sociale. A côté de cette théorie, on trouve une foule d'explications pseudo romantiques sur la divinisation de la femme, symbole de fertilité pour l'homme, qui lui aurait voué un culte par peur de sa capacité magique de génitrice.

D'après Frazer, je l'ai dit, c'est le statut élevé des femmes qui est à l'origine du culte de la Déesse suprême.

Ses conclusions sont basées sur des années de recherche auprès des sociétés «primitives» et classiques, recherches qui l'ont amené également à relier le culte de la divinité au système de filiation matrilinéaire et au culte des ancêtres. «Partout où la déesse a la prééminence sur le dieu, et où les aïeules sont plus vénérées que les aïeux, existait presque toujours un système de filiation matri linéaire.»

C'est ce que constate également Robertson Smith, pour qui l'identité sexuelle de la divinité suprême est liée au système de filiation qui prévaut dans chaque société.

Quel que soit l'ordre dans lequel s'enchaînent ces différents facteurs, il en est un qui réapparaît continuellement dans les documents de l'époque historique relatifs au statut et au rôle des femmes dans l'ancienne religion féminine. Il s'agit du rapport étroit qui existe entre le statut des femmes et le système de filiation par la mère, ou matrilinéaire. En examinant la situation des femmes, nous étudierons donc attentivement ce système selon lequel le nom et les biens de la famille se transmettaient par la lignée des femmes.

La matrilinéarité, telle qu'on la définit générale ment, est une structure sociale au sein de laquelle l'héritage se transmet par les femmes, les fils, les maris ou les frères n'ayant accès aux titres et aux propriétés qu'à travers les liens qui les unissent aux femmes, qui en sont les détentrices légales. Filiation matrilinéaire ne veut pas dire matriarcat, qui signifie que le pouvoir est aux mains des femmes et plus spécifiquement de la mère.

Celle-ci, en tant que chef de la famille, régit aussi bien la communauté que les affaires gouvernementales.

Même si dans certaines sociétés, le frère de la femme détentrice des titres et des biens joue un rôle important, il est indéniable que les coutumes matrilinéaires et matrilocales ont affecté grandement le statut et la situation des femmes.


 EXTRAIT DE QUAND DIEU ETAIT FEMME de Merlin STONE "La découverte de la Grande Déesse, source du pouvoir des femmes".

Lorsque le Féminin était vénéré


La découverte de nombreux récits attestant l'existence de divinités féminines, Créatrices de l'Univers, fut pour moi une révélation surprenante. On attribuait à ces divinités, non seulement la naissance du premier peuple, mais la création de la terre entière et des cieux qui la recouvrent. On retrouve la trace de l'existence de ces Déesses à Sumer, à Babylone, en Égypte, en Afrique, en Australie et en Chine.

En Inde, on honorait la Déesse Sarasvati qui avait inventé le premier alphabet, et en Irlande celtique, la Déesse Brigit était considérée comme la patronne du langage.

Certains textes nous apprennent qu'à Sumer, c'est à la Déesse Nidaba qu'on attribuait l'invention des tablettes d'argile et de l'art de l'écriture. Elle était vénérée longtemps avant les autres divinités mâles qui L'ont supplantée par la suite. Le scribe officiel du panthéon sumérien était une femme; et ce sont les tous premiers exemples d'écriture que l'on a retrouvés qui présentent les évidences archéologiques les plus significatives. Ils ont été découverts également à Sumer, dans le temple de la Reine du Ciel à Érech, et datent de plus de cinq mille ans. Bien qu'on pense généralement que l'écriture est une invention de l'homme, l'ensemble des informations ci-dessus nous offre un argument des plus convaincants pour prétendre que ce fut probablement une femme qui traça dans l'argile humide les premiers idéogrammes.

Il est reconnu que le développement de l'agriculture, activité qui prolongeait le travail de cueillette, est le fait des femmes. En accord avec cette théorie, on retrouve partout des divinités féminines à qui l'on attribuait ce cadeau fait à la civilisation. En Mésopotamie, où l'on trouve les premiers signes d'un développement agricole, on adorait la Déesse Ninlil qui avait transmis à Son peuple la connaissance du processus des semailles et de la récolte. Dans presque toutes les régions du monde, des divinités féminines étaient vénérées pour leurs vertus de guérisseuses; c'est à Elles qu'on devait les herbes, les plantes, les racines médicinales et autres remèdes, et c'est pourquoi les prêtresses de leurs sanctuaires jouaient le rôle de médecins envers les fidèles.

Certaines légendes décrivent la Déesse comme une forte et valeureuse guerrière, dirigeant ses troupes au combat. C'est ce dernier trait de la Déesse qui semble être à l'origine des nombreux récits de femmes guerrières, que les Grecs de la période classique nommaient des Amazones. Si l'on examine en détail les récits qui témoignent de l'estime que les Amazones avaient pour cette Déesse guerrière, il apparaît clairement que ces femmes s'adonnaient à la chasse et à la guerre en Libye, en Anatolie, en Bulgarie, en Grèce, en Arménie et en Russie. Nous sommes bien loin des mythes fantaisistes auxquels bien des auteurs contemporains ont voulu nous faire croire.

Je ne peux m'empêcher de remarquer à quel point la mentalité de l'époque préhistorique et celle des tout débuts de l'histoire sont éloignées des conceptions contemporaines en ce qui a trait aux capacités intellectuelles des femmes. En effet, presque partout, la Déesse était considérée comme une sage prophétesse et une conseillère avisée. Dans les légendes pré-chrétiennes d'Irlande, Cerridwen, la Celte, était Déesse de l'Intelligence et de la Connaissance. Dans les sanctuaires de la Grèce pré classique, les prêtresses de Gaia dispensaient la sagesse de la révélation divine, tandis qu'on invoquait la grecque Déméter et l'égyptienne Isis lorsqu'il s'agissait de légiférer, d'obtenir des conseils ou de rendre la justice.

En Égypte, Maat représentait l'ordre, le rythme et l'intégrité de l'univers. En Mésopotamie, Ishtar était le Guide du Peuple, la Prophétesse, la Reine du Futur; et dans la ville de Nimroud où l'on vénérait Ishtar, les recherches archéologiques ont démontré que des femmes détenaient les postes de juges et de magistrats à la cour.

 Les mythes véhiculent certaines idées qui orientent notre perception des choses et conditionnent notre pensée, et même notre sensibilité, d'une manière bien particulière. Ils agissent encore plus fortement sur nous lorsque nous sommes jeunes et impressionnables.

Ils mettent en scène des personnages qui ont été récompensés ou bien punis pour leurs comportements, et nous apprenons à voir en eux des exemples à suivre ou à éviter. Combien d'histoires nous a-t-on raconté dans notre plus jeune âge, qui ont profondément influencé nos comportements et notre compréhension du monde et de nous-mêmes? C'est à partir de ces fables et de ces paraboles entendues au cours de notre enfance que nous avons développé une éthique, des notions de morale, une conduite, des valeurs, un sens du devoir et même un sens de l'humour.

C'est à travers ces contes, reflets de notre société, que nous avons appris ce qui est socialement accepté. Pour ceux qui leur accordent une signification, les mythes définissent le bien et le mal, ce qui est juste et ce qui est injuste, ce qui est naturel et ce qui est contre nature. Il est donc évident que les mythes et les légendes issus d'une religion où l'on vénérait des divinités féminines pour leur sagesse, leur courage, leur force et leur sens de la justice présentaient une image de la féminitude bien différente de celle que nous offrent aujourd'hui les religions à dominance masculine.

 EXTRAIT DE QUAND DIEU ETAIT FEMME de Merlin STONE "La découverte de la Grande Déesse, source du pouvoir des femmes".


samedi 27 septembre 2014

Ana Mendieta, l'art de la terre et du sang


Comment avons-nous pu l'oublier si longtemps ? Ana Mendieta est une des artistes les plus bouleversantes que nous aient offertes les années 1970 : la remarquable rétrospective que lui consacre la Hayward Gallery de Londres le rappelle enfin. Et pourtant…

Il y a peu de temps que ressurgit sa mémoire. Longtemps, son œuvre est restée dans l'ombre d'un géant, le grand sculpteur minimaliste Carl Andre, son amant. Et l'histoire s'est surtout souvenu de la troublante plasticienne comme de la victime d'un fait divers tragique : sa chute mortelle, le 8 septembre 1985, du 34eétage d'un immeuble new-yorkais du Greenwich Village. Meurtre ou suicide ? On savait le couple des plus turbulents, leurs disputes toujours violentes. Mais le doute persiste sur les circonstances du drame. Carl Andre a été relaxé après trois ans de procès. Elle avait 36 ans.
Mais déjà, elle avait développé une œuvre remarquable. Celle d'une pionnière qui mixa l'art corporel et le "land art", interrogeant précocement les questions de genre sexuel. Celle d'une singulière qui mêla le terreau de ses origines cubaines aux influences de l'art conceptuel. De son corps, elle fit une terre de conquête, le lieu de toutes les questions. Nul hasard si elle est devenue une des héroïnes des historiennes d'un art féminin, ou féministe.
Dès ses débuts, en 1972, la jeune étudiante colle sur son visage les poils d'une barbe, en clin d'œil aux élans transsexuels d'un Marcel Duchamp. L'année suivante, elle met en scène un viol dont elle aurait été la sanguinolente victime, invitant le public à découvrir son corps malmené dans son appartement.
LE CORPS ET LA TERRE
C'est de 1973 à 1980 qu'elle réalise sa série la plus connue, celle des "Siluetas". Lors de nombreuses performances, elle entre littéralement en dialogue avec la terre, comme en témoignent aujourd'hui photographies etvidéos que dévoile en intégralité l'exposition londonienne. On y voit sa silhouette faire corps avec le paysage : saisie par la caresse d'une vague ; offerte au flux d'une rivière ; devenant flamme. Creusant sa tombe, déjà, dans l'herbe et la paille, le sable, la pierre ou la boue.
Du corps, ne reste souvent que sa trace. On dirait les empreintes laissées par une divinité préhistorique. Les restes d'un culte primitif : comme l'artiste l'a toujours reconnu, ces œuvres initiées par un voyage marquant au Mexique se souviennent avant tout de son enfance à Cuba, où elle est née en 1948 et qu'elle a quittée en 1961 au moment de la révolution castriste. "C'est le sentiment de magie, de connaissance et de pouvoir de l'art primitif qui influence mon attitude personnelle envers l'art, écrivit-elle. A travers mon art, je veux exprimer l'immédiateté de la vie et l'éternité de la nature".
Apaiser le sentiment de l'exil, aussi : sa douleur perpétuelle, que n'anéantit jamais l'obtention de la nationalité américaine en 1971. Dans ses tentatives de fusion avec la terre, c'est cela aussi qu'Ana Mendieta essaie de réparer. Revenant à cette forme de paganisme des cultes de la santeria cubaine, proches du vaudou : "Mon art repose sur la croyance en une énergie universelle qui traverse tout, de l'insecte à l'homme, de l'homme au spectre, du spectre à la plante, de la plante à la galaxie, résume-t-elle. Mes œuvres sont les veines d'irrigation du fluide universel". Et le sang y coule encore…


Ana Mendieta, Hayward Gallery, Southbank Centre, Belvedere Rd, Londres,Royaume-Uni.  Tarif : 13 euros. Jusqu'au 15 décembre. www.southbankcentre.co.uk

Des mères aux figures de l’Eternel féminin


Aphrodite et Marie-Madeleine sont les figures phares d’un Eternel féminin aux multiples polarités, patronnant l’émotion comme puissance matriarcale. Aussi bien confrontées à Eros qu’à Thanatos, elles sont ambivalentes dans leurs représentations. L’une fille de Zeus et mère d’Eros est la déesse de l’Amour. L’autre oscille à chaque époque entre péché et rédemption. La culture ne cesse de leur faire revêtir différents masques. Nous reviendrons sur leurs histoires et les légendes s’y rapportant.

Aphrodite, « femme née des vagues », déesse grecque de l’Amour, est souvent représentée souriante. Aussi belle que cruelle et sévère pour les Grecs, elle est Vénus, bienfaitrice et bienveillante pour les romains. Ces origines sont multiples et complexes.

Dominatrice, enjôleuse, trompeuse, elle rend « gunamanes » les plus féroces comme Arès. Le nom de Vénus, à l’origine, définissait une manière d’être. Ce substantif latin neutre est ensuite devenu le nom d’une déité. Lucrèce définit son sens premier le venus comme étant le mélange entre attraction et plaisir. Il procure joie, ravissement et avec sa force gracieuse enchaîne, par le désir, tout être vivant. Le venunum était un filtre d’amour puissant qui provoquait la dépendance. On le trouve également appelé pharmakon chez les grecs. Pour cette raison on dit que la beauté de Vénus rend esclave et ensorcelle.

« Plantant le tendre amour aux cœurs des êtres, tu transmets le désir de propager l'espèce. »
« Erasmiotata », avec son « kesto », elle hante les récits antiques tels « l’histoire de Pline et du jeune homme fou de désir pour la Vénus de Cnide au point d’y laisser, de nuit, la trace, la tache de sa jouissance… »

Aphrodite est d’un côté la bonne Peitho et de l’autre préside au leurre de la séduction. Elle veille aussi bien au bonheur des époux qu’elle sème la discorde et le désordre érotique. Elle est le principe primordial de la conjonction amoureuse et de l’union désirée qui submerge les hommes et les dieux. Elle fut elle-même victime de sa propre ruse en concevant Enée avec Anchise.

 Marie-Madeleine, alter ego chrétien de la déesse, naquit de parents nobles : Syrus et Eucharie. Avec son frère Lazare et sa sœur Marthe, ils possédaient la place forte de Magdala à Béthanie. Leurs biens furent divisés en trois. Marie eut Magdala, dont elle prit le nom, Lazare hérita de Jérusalem et Marthe de Béthanie. Marthe veillait aux biens de la famille car Lazare était dans l’armée et Marie dans la lascivité. « Autant Madeleine était riche, autant elle était belle; et elle avait si complètement livré son corps à la volupté qu’on ne la connaissait plus que sous le nom de la Pécheresse. » Simon le lépreux s’étonna que le Seigneur se laisse toucher par une prostituée, mais ce dernier lui répondit qu’elle était lavée de tous péchés. « Et, depuis lors, il n’y eut point de grâce qu’il accordait à Marie-Madeleine, ni de signe d’affection qu’il ne lui témoignât. Il chassa d’elle sept démons, il l’admit dans sa familiarité, il daigna demeurer chez elle, et en toute occasion se plut à la défendre. Il la défendit devant le pharisien qui la disait impure, et devant sa sœur Marthe, qui l’accusait de paresse, et devant Judas, qui lui reprochait sa prodigalité. Et il ne pouvait la voir pleurer sans pleurer lui-même. C’est par faveur pour elle qu’il ressuscita son frère, mort depuis quatre jours, qu’il guérit Marthe d’un flux de sang dont elle souffrait depuis sept ans (…) ».

Après la mort du Christ et sa résurrection, elle fut confiée à un apôtre. Ils furent envoyés par des infidèles sur un bateau avec d’autres chrétiens. Arrivée à Marseille, Marie-Madeleine prêcha le Christ dans les Temples païens. « Et tous l’admirèrent, autant par son éloquence que par sa beauté : éloquence qui n’avait rien de surprenant dans une bouche qui avait touché les pieds du Seigneur. »

En Occident chrétien, deux triades de Marie existent. Tout d’abord, celle des épouses et des mères : la Vierge Marie, Marie Cléophas et Marie Salomé. A ce trio de mères s'opposa ensuite celui des pécheresses et domina(trices) : Marie de Béthanie, Marie de Magdala et Marie l'égyptienne. Ces deux triades résument, comme le dit Estrella Ruiz-Galvez, les « inévitables mères et les indispensables amantes »


Extrait de l’Essai : Relecture des multiples facettes du féminin sacré et profane par Marilyn RENERIC-CHAUVIN École Doctorale Montaigne Humanités

Le rachat des fautes par la maternité


La première femme fut « la fille curieuse » de Dieu. Même si, comme le dit un vieil adage : « la curiosité est un vilain défaut », elle a pour avantage d’avoir permis la propagation de l’espèce et le rachat des péchés. Ainsi la Fille donna naissance à la figure de la Mère. La maternité serait, pour certains, la « nécessité » du fléau-femme. L’étude de ce statut nous permettra de comparer en miroir l’image de la Mère/Epouse, oscillant entre immaculée et toute puissante. Nous reviendrons dans un premier temps sur l’image de la femme forte et respectée dans les mythes grecs, puis nous en étudierons le versant chrétien.

Gaïa est née après Chaos. Elle engendra sans mâle son fils Ouranos, les montagnes et l’océan. Très vite, la Terre, réserve inépuisable de fécondité, devint Mère-universelle et mère des Dieux. Avec Ouranos, elle enfanta les Titans, les Titanides, les cyclopes et les hercatonchires. Comme Ouranos restait couché sur elle et l’empêchait d’accoucher, elle donna une faucille à l’un de ses fils. C’est ainsi que Chronos trancha les testicules de son frère/père, ce qui eut pour conséquence la naissance d’Aphrodite. Hésiode définit Gaïa, dans ses Théogonies, comme étant la Terre aux larges flancs, assise sûre à jamais offerte à tous les vivants49. Elle reste un élément primordial d’où naquirent les races divines.

Ses fils et filles étaient terribles et Ouranos les avait en haine. Il les enfonçait dans les profondeurs de leur génitrice. De son union avec Pontos (un de ses enfants), naquirent les divinités marines. Pour les grecs tout ce qui sort de Gaïa ne peut être que monstrueux.

Héra est aussi une Mère/ Epouse représentative dans la mythologie gréco-romaine. Fille de Chronos et de Rhéa, elle est la sœur et l’épouse de Jupiter. Protectrice des mariages, les poètes antiques l’ont décrite comme violente, jalouse et irascible. Elle est impitoyable avec ceux qu’elle persécute. Elle est davantage considérée comme une puissance royale que comme une figure de la maternité. Elle conçut seule et dans la haine ses enfants. Typhon fut engendré dans le seul but de détrôner son père.

Venue des mythes préhistoriques, Lilith apparaît dans la Kabbale approximativement vers le IIIème siècle après J.C. Dans la Genèse, elle fut remplacée par Eve, née de la côte d'Adam pour assurer sa docilité. Considérée comme un(e) démon(e) ou fée malfaisante, cette femme-serpent (dans certaines traductions, Lilith est appelée sirène ou femme-oiseau) aurait été reprise par la religion juive au temps de Babylone. C'est une maîtresse-femme. Ses attributs sont le miroir et le peigne ainsi que la jarre remplie d'eau. Sa sexualité est la principale cause de sa séparation d’Adam. Elle refuse les grossesses, fornique avec les incubes, refuse de se retrouver en position inférieure pendant l'acte d'amour. Pour finir, elle se rebelle contre Adam qui demanda son bannissement du Jardin d'Eden. Chassée de l'Humanité, elle devient l'épouse de Lucifer ou Yetser Ara (mauvais esprit pour les juifs).

Devenue Grande Maîtresse des démons, elle hante et tourmente les jeunes gens afin de les conduire à la dépravation. Bien que traditionnellement décrite comme ayant une peau d'ébène, les peintres la représentèrent souvent avec le teint clair, les yeux bleus et les cheveux roux comme Eve « la claire ». Elle incarne la haine dans le couple et dévore ses nouveaux nés. Jalouse, car devenue stérile par punition divine, elle poussera Lucifer à pervertir Eve sa rivale sous la forme du serpent. Révoltée, elle est l'archétype de la femme fatale et représente le matriarcat. C’est une puissance féminine proche d’Héra par sa cruauté, rusée comme Athéna, mais possède la beauté ensorcelante de Vénus.

 Extrait de l’Essai : Relecture des multiples facettes du féminin sacré et profane par Marilyn RENERIC-CHAUVIN École Doctorale Montaigne Humanités